DE LA PUISSANCE DE L’ENTENDEMENT OU DE LA LIBERTÉ HUMAINE
DE POTENTIA INTELLECTUS, SEU DE LIBERTATE HUMANA
Je passe enfin à cette autre partie de l’Éthique où il s’agit de la manière de parvenir à la liberté ou de la voie y conduisant. J’y traiterai donc de la puissance de la raison, montrant ce que peut la Raison elle-même sur les affects et ensuite ce qu’est la liberté de l’esprit ou béatitude ; par où nous verrons combien le sage l’emporte en pouvoir sur l’ignorant. Quant à la manière de porter l’entendement à sa perfection et à la voie y conduisant, ce sont choses qui n’appartiennent pas au présent ouvrage, non plus que l’art de traiter le corps de façon qu’il puisse remplir convenablement sa fonction ; cette dernière question est du ressort de la médecine, l’autre de la logique. Ici, comme je l’ai dit, je traiterai donc de la seule puissance de l’esprit, c’est-à-dire de la Raison, et avant tout je montrerai combien d’empire et quelle sorte d’empire elle a sur les affects pour les réfréner et les modérer. Nous n’avons pas en effet sur elles un empire absolu, comme nous l’avons déjà démontré. Les Stoïciens, à la vérité, ont cru qu’ils dépendaient absolument de notre volonté et que nous pouvions leur commander absolument. Les protestations de l’expérience, non certes leurs propres principes, les ont cependant contraints de reconnaître la nécessité pour réfréner et modérer les affects d’un exercice assidu et d’une longue étude. L’un d’eux s’est efforcé de le montrer par l’exemple de deux chiens (si j’ai bon souvenir), l’un domestique et l’autre de chasse : l’exercice, disait-il, peut faire que le chien domestique s’accoutume à chasser ; le chien de chasse au contraire à s’abstenir de la poursuite des lièvres.
Cette opinion trouverait grande faveur auprès de Descartes, car il admet que l’âme ou l’esprit est unie principalement à une certaine partie du cerveau, à savoir la petite glande dite pinéale ; par son moyen l’esprit sent tous les mouvements excités dans le corps et les objets extérieurs, et peut, par cela seul qu’il le veut, la mouvoir diversement. Cette petite glande est suspendue d’après lui au milieu du cerveau de telle façon qu’elle puisse être mue par le moindre mouvement des esprits animaux.
Ensuite il établit que cette glande, suspendue au milieu du cerveau, occupe autant de positions différentes qu’il y a de manières pour elle de recevoir le choc des esprits animaux, et en outre autant de traces différentes s’impriment en elle qu’il y a d’objets extérieurs différents poussant vers elle les esprits animaux ; de la sorte, si la glande plus tard se trouve, par la volonté de l’âme qui la meut diversement, occuper telle ou telle position qu’elle a précédemment occupée sous l’action des esprits animaux diversement agités, elle les poussera et les dirigera de la même façon qu’ils ont été repoussés quand la glande occupait cette même position.
En outre, il établit que chaque volonté de l’esprit est unie par la Nature à un certain mouvement de la glande. Par exemple, si l’on a la volonté de regarder un objet éloigné, cette volonté fera que la pupille se dilate ; mais, si l’on a seulement la pensée que la pupille devrait se dilater, il ne servira de rien d’en avoir la volonté, parce que la Nature n’a pas joint le mouvement de la glande servant à pousser les esprits animaux vers le nerf optique de la façon qui convient pour dilater ou contracter la pupille, à la volonté de la dilater ou de la contracter, mais seulement à la volonté de regarder des objets éloignés ou rapprochés. Enfin, bien que chaque mouvement de la glande pinéale paraisse lié par la Nature au commencement de la vie à telle pensée singulière parmi celles que nous formons, il peut cependant, en vertu de l’habitude, être joint à d’autres ; comme il s’efforce de le prouver Article 50, Partie I, des Passions de l’Âme. Il conclut de là que nulle âme, pour faible qu’elle soit, n’est incapable, avec une bonne direction, d’acquérir un pouvoir absolu sur ses passions. Elles sont en effet, suivant sa définition, « des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle et qui (nota bene) sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits » (voir Article 27, Partie I, des Passions de l’âme). Mais, puisque nous pouvons joindre à une volonté quelconque un mouvement quelconque de la glande et conséquemment des esprits, et que la détermination de la volonté dépend de notre seul pouvoir, si nous déterminons notre volonté par des jugements fermes et assurés suivant lesquels nous voulons diriger les actions de notre vie, et joignons à ces jugements les mouvements des passions que nous voulons avoir, nous acquerrons un empire absolu sur nos passions.
Telle est la manière de voir de cet homme très célèbre (autant que je peux le conjecturer d’après ses paroles) et quant à moi j’eusse eu peine à croire qu’elle provînt d’un tel homme si elle était moins subtile. En vérité je ne puis assez m’étonner qu’un philosophe, après s’être fermement résolu à ne rien déduire que de principes connus d’eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu’il ne le perçût clairement et distinctement, après avoir si souvent reproché aux Scolastiques de vouloir expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte que toute qualité occulte. Qu’entend-il, je le demande, par l’union de l’esprit et du corps ? Quelle conception claire et distincte a-t-il d’une pensée très étroitement liée à une certaine petite portion de l’étendue ? Je voudrais bien qu’il eût expliqué cette union par sa cause prochaine. Mais il avait conçu l’esprit distinct du corps, de telle sorte qu’il n’a pu assigner aucune cause singulière ni de cette union ni de l’esprit lui-même, et qu’il lui a été nécessaire de recourir à la cause de tout l’Univers, c’est-à-dire à Dieu.
Je voudrais, ensuite, savoir combien de degrés de mouvement l’esprit peut attribuer à cette glande pinéale et avec quelle force il peut la tenir suspendue. Je ne sais en effet si cette glande est mue par l’esprit de-ci de-là plus lentement ou plus vite que par les esprits animaux, et si les mouvements de passions que nous avons joints étroitement à des jugements fermes ne peuvent pas en être disjoints par des causes corporelles ; d’où suivrait qu’après s’être fermement proposé d’aller à la rencontre des dangers et avoir joint à ce décret des mouvements d’audace, à la vue du péril la glande se trouvât occuper une position telle que l’esprit ne pût penser qu’à la fuite ; et certes, n’y ayant nulle commune mesure entre la volonté et le mouvement, il n’y a aucune comparaison entre la puissance – ou les forces – de l’esprit et celle du corps ; conséquemment les forces de ce dernier ne peuvent être dirigées par celles du premier.
Ajoutez qu’on cherche en vain une glande située au milieu du cerveau de telle façon qu’elle puisse être mue de-ci de-là avec tant d’aisance et de tant de manières, et que tous les nerfs ne se prolongent pas jusqu’aux cavités du cerveau. Je laisse de côté enfin tout ce qu’affirme Descartes sur la volonté et sa liberté, puisque j’en ai assez et surabondamment montré la fausseté. Puis donc que la puissance de l’esprit se définit, je l’ai fait voir plus haut, par la science seule qui est en elle, nous déterminerons les remèdes aux affects, remèdes dont tous ont, je crois, quelque expérience, mais qu’ils n’observent pas avec soin et ne voient pas distinctement, par la seule connaissance de l’esprit et nous en déduirons tout ce qui concerne sa béatitude.
I. Si dans le même sujet deux actions contraires sont excitées, un changement devra nécessairement avoir lieu dans l’une et l’autre, ou dans l’une seulement des deux, jusqu’à ce qu’elles cessent d’être contraires.
II. La puissance d’un effet se définit par la puissance de sa cause dans la mesure où son essence s’explique ou se définit par l’essence de sa cause.
(Cet Axiome est évident par la Proposition 7, p. III.)
Selon que les pensées et les idées des choses sont ordonnées et enchaînées dans l’esprit, les affections du corps, c’est-à-dire les images des choses, sont exactement ordonnées et enchaînées dans le corps.
L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses (Proposition 7, p. II), et inversement l’ordre et la connexion des choses sont les mêmes que l’ordre et la connexion des idées (Corollaires des Propositions 6 et 7, p. II). De même donc que l’ordre et la connexion des idées dans l’esprit se font suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du corps (Proposition 18, p. II), de même inversement (Proposition 2, p. III) l’ordre et la connexion des affections du corps se font selon que les pensées et les idées des choses s’ordonnent et s’enchaînent dans l’esprit. C.Q.F.D.
Si nous séparons une émotion, ou un affect, de la pensée d’une cause extérieure et la joignons à d’autres pensées, alors l’amour et la haine à l’égard de la cause extérieure seront détruits, de même que les fluctuations de l’âme naissant de ces affects.
Ce qui en effet constitue la forme de l’amour ou de la haine, c’est une joie ou une tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure (Définitions 6 et 7 des affects). Cette idée ôtée donc, la forme de l’amour et de la haine est ôtée du même coup ; et ainsi ces affects et ceux qui en naissent sont détruits. C.Q.F.D.
Un affect qui est une passion, cesse d’être une passion, sitôt que nous en formons une idée claire et distincte.
Un affect qui est une passion est une idée confuse (Définition générale des affects). Si donc nous formons de cet affect une idée claire et distincte, il n’y aura entre cette idée et l’affect lui-même, en tant qu’il se rapporte à l’esprit seul, qu’une distinction de raison (Proposition 21, p. II, avec son Scolie) ; et ainsi (Proposition 3, p. III) l’affect cessera d’être une passion. C.Q.F.D.
Un affect est d’autant plus en notre pouvoir et l’esprit en pâtit d’autant moins que cet affect nous est plus connu.
Il n’est point d’affection du corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct.
Ce qui est commun à toutes choses ne peut se concevoir qu’adéquatement (Proposition 38, p. II) ; par suite (Proposition 12 et Lemme 2, après le Scolie de la Proposition 13, p. II), il n’est point d’affection du corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct. C.Q.F.D.
Il suit de là qu’il n’est point d’affect de l’esprit dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct. Un affect de l’esprit est en effet l’idée d’une affection du corps (Définition générale des affects) et, en conséquence (Proposition précédente), doit envelopper quelque concept clair et distinct.
Puisqu’il n’y a rien d’où ne suive quelque effet (Proposition 36, p. I) et que tout ce qui suit d’une idée qui est adéquate en nous, nous le comprenons clairement et distinctement (Proposition 40, p. II), il suit de là que chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et ses affects, sinon absolument, du moins en partie, clairement et distinctement et de faire en conséquence qu’il ait moins à en pâtir.
À cela donc nous devons travailler surtout, pour que nous connaissions, autant que possible chaque affect clairement et distinctement, de façon que l’esprit soit déterminé par l’affect à penser ce qu’il perçoit clairement et distinctement, et où il trouve un plein contentement ; et pour qu’ainsi l’affect lui-même soit séparé de la pensée d’une cause extérieure et joint à des pensées vraies ; par où il arrivera que non seulement l’amour, la haine, etc., seront détruits (Proposition 2), mais que l’appétit aussi, ou les désirs naissant habituellement de cet affect ne pourront avoir d’excès (Proposition 61, p. IV).
Car il faut noter avant tout que c’est un seul et même appétit par lequel l’homme est dit également bien actif et passif. Par exemple, nous avons montré qu’en vertu d’une disposition de la nature humaine chacun appète que les autres vivent selon sa propre complexion (Scolie de la Proposition 31, p. III) ; dans un homme qui n’est pas dirigé par la Raison, cet appétit est une passion appelée ambition et qui ne diffère guère de l’orgueil ; au contraire, dans un homme qui vit suivant le commandement de la Raison, c’est une action, c’est-à-dire une vertu appelée piété (voir Scolie 1 de la Proposition 37, p. IV, et Démonstration 2 de cette même Proposition). Et de cette manière tous les appétits, ou désirs, sont des passions en tant seulement qu’ils naissent d’idées inadéquates ; et ces mêmes désirs sont tenus pour vertus quand ils sont excités ou engendrés par des idées adéquates. Tous les désirs en effet, par où nous sommes déterminés à faire quelque chose, peuvent naître aussi bien d’idées adéquates que d’inadéquates (Proposition 59, p. IV). Et, pour revenir au point d’où je me suis écarté dans cette digression, outre ce remède aux affects qui consiste dans leur connaissance vraie, on n’en peut concevoir aucun autre plus excellent qui dépende de notre pouvoir, puisqu’il n’y a d’autre puissance de l’esprit que celle de penser et de former des idées adéquates, ainsi que (Proposition 3, p. III) nous l’avons montré précédemment.
Un affect à l’égard d’une chose que nous imaginons simplement et non comme nécessaire, ni comme possible, ni comme contingente est, toutes choses égales d’ailleurs, le plus grand de tous.
Un affect à l’égard d’une chose que nous imaginons qui est libre, est plus grand qu’à l’égard d’une chose nécessaire (Proposition 49, p. III) et en conséquence encore plus grand qu’à l’égard de celle que nous imaginons comme possible ou contingente (Proposition 11, p. IV). Mais imaginer une chose comme libre ne peut rien être d’autre qu’imaginer une chose simplement, tandis que nous ignorons les causes par où elle a été déterminée à agir (par de ce que nous avons montré dans le Scolie de la Proposition 35, p. II) ; donc un affect à l’égard d’une chose que nous imaginons simplement, est plus grand, toutes choses égales d’ailleurs, qu’à l’égard d’une chose nécessaire, possible ou contingente, et conséquemment il est le plus grand de tous. C.Q.F.D.
Dans la mesure où l’esprit comprend toutes choses comme nécessaires, il a sur les affects une puissance plus grande, c’est-à-dire qu’elle en pâtit moins.
L’esprit comprend que toutes choses sont nécessaires (Proposition 29, p. I) et sont déterminées à exister et à produire quelque effet par une liaison infinie de causes (Proposition 28, p. I) ; il fait ainsi (Proposition précédente) dans cette mesure qu’il pâtit moins des affects qui naissent de ces choses et (Proposition 48, p. III) qu’il est moins affecté à l’égard des choses elles-mêmes. C.Q.F.D.
Plus cette connaissance, que les choses sont nécessaires, a trait à des choses singulières que nous imaginons plus distinctement et plus vivement, plus grande est la puissance de l’esprit sur les affects ; ce qu’atteste aussi l’expérience elle-même. Nous voyons en effet la tristesse causée par la perte d’un bien adoucie sitôt que l’homme qui a perdu ce bien considère qu’il ne pouvait être conservé par aucun moyen. De même aussi, nous voyons que personne ne prend un enfant en commisération parce qu’il ne sait pas parler, marcher, raisonner et qu’il vit enfin tant d’années comme sans conscience de lui-même. Mais si la plupart naissaient adultes, et que tel ou tel naquît enfant, alors chacun prendrait les enfants en commisération parce qu’alors on considérerait l’enfance non comme une chose naturelle et nécessaire, mais comme un vice ou un péché de la Nature ; et nous pourrions faire plusieurs autres observations de cette sorte.
Les affects qui tirent leur origine de la Raison ou sont excités par elle, sont, si l’on tient compte du temps, plus puissants que ceux qui se rapportent à des choses singulières que nous considérons comme absentes.
Nous ne considérons pas une chose comme absente par suite de l’affect qui nous fait l’imaginer, mais parce que le corps est affecté d’un autre affect excluant l’existence de cette chose (Proposition 17, p. II). C’est pourquoi l’affect se rapportant à la chose considérée comme absente n’est pas d’une nature telle qu’il l’emporte sur les autres actions et sur la puissance de l’homme (voir à leur sujet Proposition 6, p. IV), mais, au contraire, il est d’une nature telle qu’il puisse être réfréné en quelque manière par les affects qui excluent l’existence de sa cause extérieure (Proposition 9, p. IV).
Or un affect tirant son origine de la Raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses (voir la définition de la Raison dans le Scolie 2 de la Proposition 40, p. II), que nous considérons toujours comme présentes (il ne peut rien y avoir en effet qui en exclue l’existence présente), et que nous imaginons toujours de la même manière (Proposition 38, p. II).
C’est pourquoi un tel affect demeure toujours le même, et en conséquence les affects qui lui sont contraires et qui ne sont point alimentés par leurs causes extérieures, devront (Axiome 1) de plus en plus s’accommoder à ce même affect jusqu’à ce qu’ils ne lui soient plus contraires ; et dans cette mesure un affect qui tire son origine de la Raison est plus puissant. C.Q.F.D.
Plus il y a de causes concourant à la fois à exciter un affect, plus grand il est.
Plusieurs causes ensemble peuvent plus qu’un nombre moindre (Proposition 7, p. III) ; par suite (Proposition 5, p. IV), plus il y a de causes excitant à la fois un affect, plus fort il est. C.Q.F.D.
Cette Proposition est évidente aussi par l’Axiome 2 de cette Partie.
Un affect se rapportant à plusieurs causes différentes, que l’esprit considère en même temps que l’affect lui-même, est moins nuisible, nous en pâtissons moins et nous sommes moins affectés à l’égard de chaque cause en particulier, que s’il s’agissait d’un autre affect également grand se rapportant à une seule cause ou à un nombre moindre de causes.
Un affect n’est mauvais ou nuisible qu’en tant qu’il empêche l’esprit de pouvoir penser (Propositions 26 et 27, p. IV) ; par suite, cet affect par lequel l’esprit est déterminé à considérer plusieurs objets à la fois, est moins nuisible qu’un autre également grand retenant l’esprit dans la seule considération d’un objet unique ou d’un nombre moindre d’objets, de façon qu’il ne puisse penser à d’autres ; ce qui était le premier point.
Ensuite, puisque l’essence de l’esprit, c’est-à-dire sa puissance (Proposition 7, p. III), consiste dans la seule pensée (Proposition 11, p. III), l’esprit pâtit moins d’un affect qui lui fait considérer plusieurs objets que d’un affect également grand tenant l’esprit occupé dans la seule considération d’un objet unique ou d’un nombre moindre d’objets ; ce qui était le second point.
Enfin, cet affect (Proposition 48, p. III), en tant qu’il se rapporte à plusieurs causes extérieures, est moindre aussi à l’égard de chacune. C.Q.F.D.
Aussi longtemps que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont contraires à notre nature, nous avons le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps suivant un ordre propice à l’entendement.
Les affects qui sont contraires à notre nature, c’est-à-dire (Proposition 30, p. IV) mauvais, sont mauvais dans la mesure où ils empêchent l’esprit de comprendre (Proposition 27, p. IV). Aussi longtemps donc que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont contraires à notre nature, la puissance de l’esprit, par où il s’efforce de comprendre (Proposition 26, p. IV), n’est pas empêchée, et il a donc aussi longtemps le pouvoir de former des idées claires et distinctes, et de les déduire les unes des autres (voir Scolie 2 de la Proposition 40 et Scolie de la Proposition 47) ; et, conséquemment (Proposition 1), aussi longtemps nous avons le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps suivant un ordre propice à l’entendement. C.Q.F.D.
Par ce pouvoir d’ordonner et d’enchaîner correctement les affections du corps nous pouvons faire en sorte de n’être pas aisément affectés d’affects mauvais. Car (Proposition 7) une plus grande force est requise pour réfréner des affects ordonnés et enchaînés suivant un ordre propice à l’entendement que s’ils sont incertains et vagues. Le mieux donc que nous puissions faire, tant que nous n’avons pas une connaissance parfaite de nos affects, est de concevoir une conduite droite de la vie, autrement dit des principes assurés de vie, de les imprimer en notre mémoire et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent fréquemment dans la vie, de façon que notre imagination en soit largement affectée et qu’ils nous soient toujours présents.
Nous avons, par exemple, posé parmi les règles de vie (Proposition 46, p. IV, avec le Scolie) que la haine doit être vaincue par l’amour et la générosité, et non compensée par une haine réciproque. Pour avoir ce précepte de la Raison toujours présent quand il sera utile, il faut penser souvent aux offenses que se font communément les hommes et méditer sur elles, ainsi que sur la manière et le moyen de les repousser le mieux possible par la générosité ; de la sorte en effet nous joindrons l’image de l’offense à l’imagination de cette règle, et elle ne manquera jamais de s’offrir à nous (Proposition 18, p. II) quand une offense nous sera faite.
Si nous avions aussi présente la considération de notre intérêt véritable et aussi du bien que produit une amitié mutuelle et une société commune, si de plus nous ne perdions pas de vue qu’un contentement intérieur souverain naît de la conduite droite de la vie (Proposition 52, p. IV) et que les hommes comme les autres êtres agissent par une nécessité de nature, alors l’offense, c’est-à-dire la haine qui en naît habituellement, occupera une très petite partie de l’imagination et sera facilement surmontée ; ou si la colère, qui naît habituellement des offenses les plus graves, n’est pas surmontée aussi aisément, elle le sera cependant, bien que non sans fluctuation de l’âme, en un espace de temps beaucoup moindre que si nous n’avions pas eu d’avance l’esprit occupé par ces méditations, comme il est évident par les Propositions 6, 7 et 8.
Il faut penser de la même manière à l’emploi, pour écarter la crainte, de la Fermeté d’âme ; on doit passer en revue et imaginer souvent les périls communs de la vie et comment on peut les écarter au mieux et les surmonter par la présence d’esprit et la fortitude.
Mais on doit noter qu’en ordonnant nos pensées et nos images il nous faut toujours avoir égard (Corollaire de la Proposition 63, p. IV, et Proposition 59, p. III) à ce qu’il y a de bon en chaque chose, afin d’être ainsi toujours déterminés à agir par un affect de joie. Si, par exemple, quelqu’un voit qu’il recherche trop la gloire, qu’il pense au bon usage qu’on peut en faire et à la fin en vue de laquelle il la faut chercher, ainsi qu’aux moyens de l’acquérir, mais non au mauvais usage de la gloire et à sa vanité ainsi qu’à l’inconstance des hommes, ou à d’autres choses de cette sorte, auxquelles nul ne pense sans chagrin ; par de telles pensées en effet les plus ambitieux se laissent le plus affliger quand ils désespèrent de parvenir à l’honneur dont ils ont l’ambition, et ils veulent paraître sages alors qu’ils écument de colère. Il est donc certain que ceux-là sont le plus désireux de gloire qui parlent le plus haut de son mauvais usage et de la vanité du monde. Et cela n’est pas le propre des ambitieux, mais est commun à tous ceux à qui la fortune est contraire et qui sont intérieurement impuissants. Quand il est pauvre, en effet, l’avare aussi ne cesse de parler du mauvais usage de l’argent et des vices des riches. Ce qui n’a d’autre effet que de l’affliger et de montrer aux autres qu’il prend mal non seulement sa propre pauvreté, mais la richesse d’autrui. De même encore ceux qui sont mal accueillis par leur maîtresse ne pensent à rien qu’à l’inconstance des femmes et à leur fausseté de cœur ainsi qu’aux autres vices féminins dont parle la chanson ; et tout cela est oublié sitôt que leur maîtresse les accueille de nouveau.
Qui donc travaille à maitriser ses affects et ses appétits par le seul amour de la Liberté, il s’efforcera autant qu’il peut de connaître les vertus et leurs causes et de se donner la plénitude d’épanouissement qui naît de leur connaissance vraie ; non du tout de considérer les vices des hommes, de dénigrer l’humanité et de s’épanouir d’une fausse apparence de liberté. Et qui observera cette règle diligemment (cela n’est pas difficile en effet) et s’exercera à la suivre, pourra certes en un court espace de temps diriger ses actions le plus souvent sous l’empire de la Raison.
Plus il y a de choses auxquelles se rapporte une image, plus elle est fréquente, c’est-à-dire plus souvent elle devient vive et plus elle occupe l’esprit.
Plus il y a de choses en effet auxquelles se rapporte une image ou un affect, plus il y a de causes par où il peut être excité et alimenté, causes que l’esprit (par hypothèse) considère toutes à la fois en vertu même de l’affect ; et ainsi l’affect est d’autant plus fréquent, c’est-à-dire d’autant plus souvent vif, et (Proposition 8) occupe l’esprit d’autant plus. C.Q.F.D.
Les images des choses se joignent plus facilement aux images se rapportant aux choses que nous comprenons clairement et distinctement qu’aux autres.
Les choses que nous comprenons clairement et distinctement sont ou bien des propriétés communes des choses ou ce qui s’en déduit (voir la définition de la Raison dans le Scolie 2 de la Proposition 40, p. II), et en conséquence sont (Proposition précédente) plus souvent excitées par nous ; il peut donc plus facilement se faire que nous considérions les autres choses en même temps que celles-ci plutôt qu’en même temps que d’autres, et en conséquence (Proposition 18, p. II) qu’elles se joignent plus facilement à celles-ci qu’à d’autres. C.Q.F.D.
Plus il y a de choses auxquelles est jointe une image, plus souvent elle devient vive.
Plus il y a de choses en effet auxquelles une image est jointe, plus (Proposition 18, p. II) il y a de causes pouvant l’exciter. C.Q.F.D.
L’esprit peut faire en sorte que toutes les affections du corps, c’est-à-dire toutes les images des choses se rapportent à l’idée de Dieu.
Il n’est point d’affections du corps dont l’esprit ne puisse former un concept clair et distinct (Proposition 4) ; il peut donc (Proposition 15, p. I) faire en sorte que toutes se rapportent à l’idée de Dieu. C.Q.F.D.
Qui se comprend lui-même, et ses affects clairement et distinctement, aime Dieu et d’autant plus qu’il se comprend davantage, lui et ses affects
Qui se comprend lui-même et ses affects clairement et distinctement, est joyeux (Proposition 53, p. III), et cela avec l’accompagnement de l’idée de Dieu (Proposition précédente) ; et, par suite (Définition 6 des affects), il aime Dieu et (pour la même raison) l’aime d’autant plus qu’il se comprend davantage, lui et ses affects. C.Q.F.D.
Cet amour envers Dieu doit occuper l’esprit au plus haut point.
Cet amour en effet est joint à toutes les affections du corps (Proposition 14) et alimenté par toutes (Proposition 15) ; par suite (Proposition 11), il doit occuper l’esprit au plus haut point. C.Q.F.D.
Dieu est exempt de passions et n’est affecté d’aucun affect de joie ou de tristesse.
Toutes les idées en tant qu’elles se rapportent à Dieu, sont vraies (Proposition 32, p. II), c’est-à-dire (Définition 4, p. II) adéquates ; et ainsi (Définition générale des affects) Dieu est exempt de passions.
Ensuite, Dieu ne peut passer ni à une plus grande perfection ni à une moindre (Corollaire 2 de la Proposition 20, p. I) ; par suite (Définition 2 et 3 des affects), il n’est affecté d’aucun affect de joie ni de tristesse. C.Q.F.D.
Dieu, à parler proprement, n’a d’amour ni de haine pour personne. Car Dieu (Proposition précédente) n’est affecté d’aucun affect de joie ni de tristesse, et conséquemment (Définition 6 et 7 des affects) n’a d’amour ni de haine pour personne.
Personne ne peut avoir Dieu en haine.
L’idée de Dieu qui est en nous, est adéquate et parfaite (Propositions 46 et 47, p. II), par suite dans la mesure où nous considérons Dieu, nous sommes actifs (Proposition 3, p. III) et, en conséquence (Proposition 59, p. III), il ne peut y avoir de tristesse qu’accompagne l’idée de Dieu, c’est-à-dire (Définition 7 des affects) nul ne peut avoir Dieu en haine. C.Q.F.D.
L’amour envers Dieu ne peut se tourner en haine.
On peut objecter que lorsque nous comprenons que Dieu est cause de toutes choses, nous considérons par cela même Dieu comme la cause de la tristesse. Mais je réponds que dans la mesure où nous comprenons les causes de la tristesse, elle cesse (Proposition 3) d’être une passion, c’est-à-dire (Proposition 59, p. III) cesse d’être une tristesse ; et ainsi, dans la mesure où nous comprenons que Dieu est cause de la tristesse, nous sommes joyeux.
Qui aime Dieu, ne peut faire effort pour que Dieu l’aime en retour.
Si un homme faisait un tel effort, il désirerait donc (Corollaire de la Proposition 17) que Dieu, qu’il aime, ne fût pas Dieu, et en conséquence (Proposition 19, p. III) désirerait être contristé, ce qui (Proposition 28, p. III) est absurde. Donc qui aime Dieu, etc. C.Q.F.D.
Cet amour envers Dieu ne peut être souillé par un affect d’envie ni de jalousie ; mais il est d’autant plus alimenté que nous imaginons plus d’hommes joints à Dieu par le même lien d’amour.
Cet amour envers Dieu est le bien suprême, que nous pouvons appéter suivant le commandement de la Raison (Proposition 28, p. IV), il est commun à tous les hommes (Proposition 36, p. IV), et nous désirons que tous s’en épanouissent (Proposition 37, p. IV) ; et ainsi (Définition 23 des affects) il ne peut être sali par un affect d’envie non plus (Proposition 18 et définition de la jalousie dans le Scolie de la Proposition 35, p. III) que de jalousie ; mais, au contraire (Proposition 31, p. III), il doit être alimenté d’autant plus que nous imaginons que plus d’hommes s’en épanouissent.
Nous pouvons montrer de la même manière qu’il n’y a aucun affect qui soit directement contraire à cet amour, par lequel cet amour même puisse être détruit, et nous pouvons en conclure que cet amour envers Dieu est le plus constant de tous les affects et qu’en tant qu’il se rapporte au corps, il ne peut être détruit qu’avec ce corps lui-même. De quelle nature il est, en tant qu’il se rapporte à l’esprit seul, nous le verrons plus tard.
J’ai réuni dans les propositions précédentes tous les remèdes aux affects, c’est-à-dire tout ce que l’esprit, considéré en lui seule, peut contre les affects ; il apparaît par là que la puissance de l’esprit sur les affects consiste : 1° dans la connaissance même des affects (voir Scolie de la Proposition 4) ; 2° en ce qu’il sépare les affects de la pensée d’une cause extérieure que nous imaginons confusément (voir Proposition 2 avec le même Scolie de la Proposition 4) ; 3° dans le temps, grâce auquel les affections se rapportant à des choses que nous comprenons, surmontent celles qui se rapportent à des choses dont nous avons une idée confuse ou mutilée (voir Proposition 7) ; 4° dans la multitude des causes par lesquelles les affections se rapportant aux propriétés communes des choses ou à Dieu, sont alimentées (voir Propositions 9 et 11) ; 5° dans l’ordre enfin où l’esprit peut ordonner et enchaîner entre eux ses affects (voir Scolie de la Proposition 10 et, en outre, les Propositions 12, 13 et 15).
Mais, pour mieux connaître cette puissance de l’esprit sur les affects, il faut noter avant tout que les affects sont appelés grands par nous quand nous comparons l’affect d’un homme avec celui d’un autre, et que nous voyons l’un en proie plus que l’autre au même affect ; ou quand nous comparons entre eux les affects d’un seul et même homme et que nous le trouvons affecté ou ému par l’un plus que par l’autre. Car (Proposition 5, p. IV) la force d’un affect quelconque se définit par la puissance de la cause extérieure comparée à la nôtre. Or la puissance de l’esprit se définit par la connaissance seule, son impuissance ou sa passion par la seule privation de connaissance, c’est-à-dire s’estime par ce qui fait que les idées sont dites inadéquates. D’où suit que cet esprit est passif au plus haut point, dont les idées inadéquates constituent la plus grande partie, de façon que sa marque distinctive soit plutôt la passivité que l’activité qui est en lui ; et au contraire cet esprit est actif au plus haut point dont des idées adéquates constituent la plus grande partie, de façon que, tout en n’ayant pas moins d’idées inadéquates que le premier, il ait sa marque distinctive plutôt dans des idées adéquates que l’on attribue à la vertu humaine, que dans des idées inadéquates attestant l’impuissance humaine.
Il faut noter, ensuite, que les chagrins et les infortunes tirent leur principale origine d’un amour excessif pour une chose qui est soumise à de nombreux changements et que nous ne pouvons posséder entièrement. Nul en effet n’a de souci ou d’anxiété qu’au sujet de ce qu’il aime ; et les offenses, les soupçons, les inimitiés, etc., ne naissent que de l’amour pour les choses dont personne ne peut réellement avoir la possession complète. Nous concevons facilement par là ce que peut sur les affects la connaissance claire et distincte, et principalement ce troisième genre de connaissance (voir à son sujet le Scolie de la Proposition 47, p. II) dont le principe est la connaissance même de Dieu ; si en effet les affects, en tant qu’ils sont des passions, ne sont point par là absolument ôtés (voir Proposition 3 avec le Scolie de la Proposition 4), il arrive du moins qu’ils constituent la moindre partie de l’esprit (Proposition 14).
De plus, cette connaissance engendre un amour envers une chose immuable et éternelle (Proposition 15) et dont la possession nous est réellement assurée (voir Proposition 45, p. II) ; et conséquemment cet amour ne peut être gâté par aucun des vices qui sont inhérents à l’amour ordinaire, mais il peut devenir de plus en plus grand (Proposition 15) et occuper la plus grande partie de l’esprit (Proposition 16) et l’affecter amplement.
J’ai ainsi terminé ce qui concerne la vie présente. Chacun pourra voir facilement, en effet, ce que j’ai dit au commencement de ce Scolie, à savoir que dans ce petit nombre de propositions j’ai fait entrer tous les remèdes aux affects, pourvu qu’il ait égard à ce qui est dit dans ce Scolie, en même temps qu’aux définitions des affects et enfin aux Propositions 1 et 3 de la Partie III. Il est donc temps maintenant de passer à ce qui touche à la durée de l’esprit sans relation au corps.
L’esprit ne peut rien imaginer, ni se souvenir des choses passées que pendant la durée du corps.
L’esprit n’exprime l’existence actuelle de son corps et ne conçoit aussi comme actuelles les affections du corps que pendant la durée du corps (Corollaire de la Proposition 8, p. II) ; en conséquence (Proposition 26, p. II), il ne conçoit aucun corps comme existant en acte que pendant la durée de son corps, par suite il ne peut rien imaginer (voir la définition de l’imagination dans le Scolie de la Proposition 17, p. II), ni se souvenir des choses passées que pendant la durée du corps (voir la définition de la mémoire dans le Scolie de la Proposition 18, p. II). C.Q.F.D.
Une idée est toutefois nécessairement donnée en Dieu qui exprime l’essence de tel ou tel corps humain sous l’espèce de l’éternité.
Dieu n’est pas seulement la cause de l’existence de tel ou tel corps humain, mais aussi de son essence (Proposition 25, p. I), laquelle doit être conçue nécessairement par le moyen de l’essence même de Dieu (Axiome 4, p. I) ; et cela avec une certaine nécessité éternelle (Proposition 16, p. I) ; et certes ce concept doit être nécessairement donné en Dieu (Proposition 3, p. II). C.Q.F.D.
L’esprit humain ne peut être entièrement détruit avec le corps, mais il reste de lui quelque chose qui est éternel.
Un concept, ou une idée, est nécessairement donné en Dieu, qui exprime l’essence du corps humain (Proposition précédente), et cette idée est, par suite, quelque chose qui appartient nécessairement à l’essence de l’esprit humain (Proposition 13, p. II). Mais nous n’attribuons à l’esprit humain aucune durée pouvant se définir par le temps, sinon en tant qu’il exprime l’existence actuelle du corps, laquelle s’explique par la durée et peut se définir par le temps ; autrement dit (Corollaire de la Proposition 8, p. II) nous n’attribuons la durée à l’esprit lui-même que pendant la durée du corps. Comme cependant ce qui est conçu avec une certaine nécessité éternelle par l’essence même de Dieu est (Proposition précédente) néanmoins quelque chose, ce sera nécessairement quelque chose d’éternel qui appartient à l’essence de l’esprit. C.Q.F.D.
Comme nous l’avons dit, cette idée, qui exprime l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité, est un certain mode du penser qui appartient à l’essence de l’esprit et qui est nécessairement éternel. Il est impossible cependant qu’il nous souvienne d’avoir existé avant le corps, puisqu’il ne peut y avoir dans le corps aucune trace de cette existence et que l’éternité ne peut se définir par le temps ni avoir aucune relation au temps. Nous sentons néanmoins et nous savons par expérience que nous sommes éternels. Car l’esprit ne sent pas moins ces choses qu’il conçoit par un acte de l’entendement que celles qu’il a dans la mémoire. Les yeux de l’esprit en effet, par lesquels il voit et observe les choses, sont les démonstrations elles-mêmes. Bien que donc il ne nous souvienne pas d’avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre esprit, en tant qu’il enveloppe l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité, est éternel, et que cette existence de l’esprit ne peut se définir par le temps ou s’expliquer par la durée. Notre esprit donc peut être dite durer, et son existence peut se définir par un certain temps en tant qu’il enveloppe l’existence actuelle du corps et, dans cette mesure seulement, il a la puissance de déterminer par le temps l’existence des choses et de les concevoir sous la durée.
Plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu.
Cela est évident par le Corollaire de la Proposition 25, p. I.
Le suprême effort de l’esprit et sa suprême vertu est de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance.
Le troisième genre de connaissance procède de l’idée adéquate de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses (voir sa définition dans le Scolie 2 de la Proposition 40, p. II) ; et plus nous comprenons les choses de cette manière, plus (Proposition précédente) nous comprenons Dieu ; et par suite (Proposition 28, p. IV), la suprême vertu de l’esprit c’est-à-dire (Définition 8, p. IV), la puissance ou la nature de l’esprit, autrement dit (Proposition 7, p. III), son suprême effort est de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance. C.Q.F.D.
Plus l’esprit est apte à comprendre les choses par le troisième genre de connaissance, plus il désire comprendre les choses par ce genre de connaissance.
Cela est évident. Dans la mesure en effet où nous concevons que l’esprit est apte à comprendre les choses par ce genre de connaissance, nous le concevons comme déterminé à les comprendre par ce genre de connaissance, et, en conséquence (Définition 1 des affects), plus l’esprit y est apte, plus il le désire. C.Q.F.D.
De ce troisième genre de connaissance naît le contentement de l’esprit le plus élevé qu’il puisse y avoir.
La suprême vertu de l’esprit est de connaître Dieu (Proposition 28, p. IV), c’est-à-dire de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance (Proposition 25) ; et cette vertu est d’autant plus grande que l’esprit connaît plus les choses par ce genre de connaissance (Proposition 24) ; qui donc connaît les choses par ce genre de connaissance, il passe à la plus haute perfection humaine et en conséquence est affecté de la joie la plus haute (Définition 2 des affects), et cela (Proposition 43, p. II) avec l’accompagnement de l’idée de lui-même et de sa propre vertu ; et par suite (Définition 25 des affects) de ce genre de connaissance naît le contentement le plus élevé qu’il puisse y avoir. C.Q.F.D.
L’effort ou le désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance ne peut naître du premier genre de connaissance, mais bien du deuxième.
Cette Proposition est évidente par elle-même. Tout ce en effet que nous comprenons clairement et distinctement, nous le comprenons ou par soi ou par quelque autre chose qui est conçue par soi ; c’est-à-dire que les idées qui sont en nous claires et distinctes, autrement dit celles qui se rapportent au troisième genre de connaissance (Scolie 2 de la Proposition 40, p. II), ne peuvent provenir d’idées mutilées et confuses se rapportant au premier genre de connaissance, mais proviennent d’idées adéquates ; autrement dit (Scolie 2 de la Proposition 40, p. II) du second et du troisième genres de connaissance, et par suite (Définition 1 des affects), le désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance ne peut naître du premier, mais bien du second. C.Q.F.D.
Tout ce que l’esprit comprend sous l’espèce de l’éternité, il le comprend non parce qu’il conçoit l’existence actuelle présente du corps, mais parce qu’il conçoit l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité.
En tant que l’esprit conçoit l’existence présente de son corps, il conçoit la durée qui peut se déterminer par le temps, et dans cette mesure seulement il a la puissance de concevoir les choses avec une relation au temps (Proposition 21 ci-dessus et Proposition 26, p. II).
Or l’éternité ne peut s’expliquer par la durée (Définition 8, p. I, et son Explication). Donc l’esprit n’a pas, dans cette mesure, le pouvoir de concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité ; mais, puisqu’il est de la nature de la Raison de concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité (Corollaire 2 de la Proposition 44, p. II) et qu’il appartient aussi à la nature de l’esprit de concevoir l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité (Proposition 23), et qu’en dehors de ces deux choses il n’est rien qui appartienne à l’essence de l’esprit (Proposition 13, p. II), cette puissance donc de concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité n’appartient à l’esprit qu’en tant qu’il conçoit l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité. C.Q.F.D.
Les choses sont conçues par nous comme actuelles en deux manières : ou bien en tant que nous en concevons l’existence avec une relation à un temps et à un lieu certains, ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu et comme suivant de la nécessité de la nature divine. Celles qui sont conçues comme vraies ou réelles de cette seconde manière, nous les concevons sous l’espèce de l’éternité, et leurs idées enveloppent l’essence éternelle et infinie de Dieu, comme nous l’avons montré Proposition 45, Partie II, dont on verra aussi le Scolie.
Notre esprit, dans la mesure où il se connaît lui-même et connaît le corps sous l’espèce de l’éternité, a nécessairement la connaissance de Dieu et sait qu’il est en Dieu et se conçoit par Dieu.
L’éternité est l’essence même de Dieu en tant qu’elle enveloppe l’existence nécessaire (Définition 8, p. I). Concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité, c’est donc concevoir les choses en tant qu’elles se conçoivent comme des êtres réels par l’essence de Dieu, autrement dit en tant que par l’essence de Dieu elles enveloppent l’existence ; et ainsi notre esprit, en tant qu’il se conçoit lui-même et le corps sous l’espèce de l’éternité, a dans cette mesure nécessairement la connaissance de Dieu et sait, etc. C.Q.F.D.
Le troisième genre de connaissance dépend de l’esprit comme de sa cause formelle, en tant que l’esprit est lui-même éternel.
L’esprit ne conçoit rien sous l’espèce de l’éternité, si ce n’est en tant qu’il conçoit l’essence de son corps sous l’espèce de l’éternité (Proposition 29), c’est-à-dire (Propositions 21 et 23) si ce n’est en tant qu’il est éternel ; et ainsi (Proposition précédente), en tant qu’il est éternel, il a la connaissance de Dieu ; et cette connaissance est nécessairement adéquate (Proposition 46, p. II) ; par suite, l’esprit, en tant qu’il est éternel, est apte à connaître tout ce qui peut suivre de cette connaissance de Dieu donnée (Proposition 40, p. II), c’est-à-dire à connaître les choses par ce troisième genre de connaissance (voir sa définition dans le Scolie 2 de la Proposition 40, p. II), dont l’esprit est ainsi (Définition 1, p. III), en tant qu’il est éternel, la cause adéquate, ou formelle. C.Q.F.D.
Plus haut chacun est puissant dans ce genre de connaissance, mieux il est conscient de lui-même et de Dieu, c’est-à-dire plus il est parfait et possède la béatitude, ce qui se verra encore plus clairement par les propositions suivantes.
Mais il faut noter ici que, tout en étant dès à présent certains que l’esprit est éternel en tant qu’il conçoit les choses sous l’espèce de l’éternité, afin d’expliquer plus facilement et de faire mieux comprendre ce que nous voulons montrer, nous le considérerons, ainsi que nous l’avons fait jusqu’ici, comme s’il commençait seulement d’être et de concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité, ce qu’il nous est permis de faire sans aucun danger d’erreur, pourvu que nous ayons la précaution de ne rien conclure que de prémisses clairement perçues.
À tout ce que nous comprenons par le troisième genre de connaissance nous prenons plaisir, et cela avec l’accompagnement comme cause de l’idée de Dieu.
De ce genre de connaissance naît le contentement de l’esprit le plus élevé qu’il puisse y avoir, c’est-à-dire la joie la plus haute (Définition 25 des affects), et cela avec l’accompagnement de l’idée de soi-même (Proposition 27) et conséquemment (Proposition 30) de l’idée aussi de Dieu comme cause. C.Q.F.D.
Du troisième genre de connaissance naît nécessairement un amour intellectuel de Dieu. Car de ce genre de connaissance (Proposition précédente) naît une joie qu’accompagne comme cause l’idée de Dieu, c’est-à-dire (Définition 6 des affects) l’amour de Dieu, non en tant que nous l’imaginons comme présent (Proposition 29), mais en tant que nous comprenons que Dieu est éternel, et c’est là ce que j’appelle amour intellectuel de Dieu.
L’amour intellectuel de Dieu, qui naît du troisième genre de connaissance, est éternel.
Le troisième genre de connaissance en effet (Proposition 31 et Axiome 3, p. I) est éternel ; par suite (même Axiome 3, p. I), l’amour qui en naît, est lui aussi nécessairement éternel. C.Q.F.D.
Bien que cet amour envers Dieu n’ait pas eu de commencement (Proposition précédente), il a cependant toutes les perfections de l’amour, comme s’il avait pris naissance, ainsi que nous le supposions fictivement dans le Corollaire de la Proposition précédente Et cela ne fait aucune différence, sinon que ces mêmes perfections que nous avons supposées fictivement s’ajouter maintenant à lui, l’esprit les tenait pour éternelles et cela avec l’accompagnement de l’idée de Dieu comme cause éternelle. Que si la joie consiste dans le passage à une perfection plus grande, la béatitude certes doit consister en ce que l’esprit est doué de la perfection elle-même.
L’esprit n’est soumis que pendant la durée du corps aux affects qui se rapportent à des passions.
Une imagination est une idée par laquelle l’esprit considère une chose comme présente (voir sa définition dans le Scolie de la Proposition 17, p. II), et elle indique cependant plutôt l’état présent du corps humain que la nature de la chose extérieure (Corollaire 2 de la Proposition 16, p. II). Une affection est donc une imagination (Définition générale des affects), en tant qu’elle indique l’état présent du corps ; et ainsi (Proposition 21) l’esprit n’est soumis que pendant la durée du corps aux affects qui se rapportent à des passions. C.Q.F.D.
Il suit de là que nul amour, sauf l’amour intellectuel, n’est éternel.
Si nous avons égard à l’opinion commune des hommes, nous verrons qu’ils ont bien conscience de l’éternité de leur esprit, mais qu’ils la confondent avec la durée et l’attribuent à l’imagination ou à la mémoire qu’ils croient subsister après la mort.
Dieu s’aime lui-même d’un amour intellectuel infini.
Dieu est absolument infini (Définition 6, p. I), c’est-à-dire (Définition 6, p. II) la nature de Dieu s’épanouit en une perfection infinie, et cela (Proposition 3, p. II) avec l’accompagnement de l’idée de lui-même, c’est-à-dire (Proposition 11 et Axiome 1, p. I) de l’idée de sa propre cause, et c’est là ce que nous avons dit, dans le Corollaire de la Proposition 32, être l’amour intellectuel.
L’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est l’amour même de Dieu, dont Dieu s’aime lui-même, non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’il peut s’expliquer par l’essence de l’esprit humain considéré sous l’espèce de l’éternité ; c’est-à-dire l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même.
Cet amour de l’esprit doit se rapporter aux actions de l’esprit (Corollaire de la Proposition 32 et Proposition 3, p. III) ; il est donc une action par laquelle l’esprit se considère lui-même avec l’accompagnement comme cause de l’idée de Dieu (Proposition 32 et son Corollaire), c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 25, p. I, et Corollaire de la Proposition 11, p. II) une action par laquelle Dieu, en tant qu’il peut s’expliquer par l’esprit humain, se considère lui-même avec l’accompagnement de l’idée de lui-même ; et ainsi (Proposition précédente) cet amour de l’esprit est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même. C.Q.F.D.
Il suit de là que Dieu, en tant qu’il s’aime lui-même, aime les hommes, et conséquemment que l’amour de Dieu envers les hommes et l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu sont une seule et même chose.
Nous comprenons clairement par là en quoi notre salut, c’est-à-dire notre béatitude ou notre Liberté consiste ; à savoir dans un amour constant et éternel envers Dieu, autrement dit dans l’amour de Dieu envers les hommes. Cet amour, ou cette béatitude, est appelé dans les livres sacrés gloire, non sans raison. Que cet amour en effet soit rapporté à Dieu ou à l’esprit, il peut justement être appelé contentement intérieur, lequel en vérité ne se distingue pas de la gloire (Définition 25 et 30 des affects). En tant en effet qu’il se rapporte à Dieu, il est (Proposition 35) une joie, s’il est permis d’employer encore ce mot, qu’accompagne l’idée de soi-même, et aussi en tant qu’il se rapporte à l’esprit (Proposition 27).
Ensuite, puisque l’essence de notre esprit consiste dans la connaissance seule, dont Dieu est le principe et le fondement (Proposition 15, p. I, et Scolie de la Proposition 47, p. II), nous percevons clairement par là comment et de quelle manière notre esprit suit de la nature divine quant à l’essence et quant à l’existence, et dépend continûment de Dieu. J’ai cru qu’il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple combien la connaissance des choses singulières que j’ai appelée intuitive ou connaissance du troisième genre (Scolie de la Proposition 40, p. II), est puissante et l’emporte sur la connaissance universelle que j’ai dit être celle du deuxième genre. Bien que j’aie montré en général dans la Première Partie que toutes choses (et en conséquence l’esprit humain aussi) dépendent de Dieu quant à l’essence et quant à l’existence, cette démonstration cependant, bien qu’elle soit légitime et soustraite au risque du doute, n’affecte pas notre esprit de la même manière que lorsque cela se conclut de l’essence même d’une chose quelconque singulière, que nous disons dépendre de Dieu.
Il n’est rien donné dans la Nature qui soit contraire à cet amour intellectuel, autrement dit qui le puisse ôter.
Cet amour intellectuel suit nécessairement de la nature de l’esprit en tant qu’on le considère elle-même, par la nature de Dieu, comme une vérité éternelle (Propositions 33 et 29). Si donc quelque chose était donné qui fût contraire à cet amour, ce quelque chose serait contraire au vrai ; et, en conséquence, ce qui pourrait ôter cet amour ferait que ce qui est vrai se trouvât faux ; or cela (comme il est connu de soi) est absurde. Donc il n’est rien donné dans la Nature, etc. C.Q.F.D.
L’Axiome de la Quatrième Partie concerne les choses singulières en tant qu’on les considère avec une relation à un certain temps et à un certain lieu ; personne, je crois, n’a de doute à ce sujet.
Plus l’esprit comprend de choses par le deuxième et le troisième genre de connaissance, moins il pâtit des affects qui sont mauvais et moins il craint la mort.
L’essence de l’esprit consiste dans la connaissance (Proposition 11, p. II) ; à mesure donc que l’esprit connaît plus de choses par les deuxième et troisième genres de connaissance, une plus grande partie de lui-même demeure (Propositions 29 et 23), et en conséquence (Proposition précédente) une plus grande partie de lui-même n’est pas atteinte par les affects qui sont contraires à notre nature, (Proposition 30, p. IV), c’est-à-dire mauvais. Plus donc l’esprit connaît de choses par les deuxième et troisième genres de connaissance, plus grande est la partie de lui-même qui demeure indemne, et conséquemment moins il pâtit des affects, etc. C.Q.F.D.
Nous connaissons par là le point que j’ai touché dans le Scolie de la Proposition 39, Partie IV, et que j’ai promis d’expliquer dans cette Cinquième Partie ; je veux dire que la mort est d’autant moins nuisible que la connaissance claire et distincte de l’esprit est plus grande, et conséquemment que l’esprit aime davantage Dieu.
Ensuite, puisque (Proposition 27) du troisième genre de connaissance naît le contentement le plus élevé qu’il puisse y avoir, il suit de là que l’esprit humain peut être d’une nature telle que la partie de lui-même dont nous avons montré (Proposition 21) qu’elle périt avec le corps, soit insignifiante eu égard à celle qui en demeure. Mais nous reviendrons bientôt plus amplement là-dessus.
Qui a un corps apte à un très grand nombre de choses, a un esprit dont la plus grande partie est éternelle.
Qui a un corps apte à faire un très grand nombre de choses, est très peu en proie aux affects qui sont mauvais (Proposition 38, p. IV), c’est-à-dire par les affects (Proposition 30, p. IV) qui sont contraires à notre nature ; et ainsi (Proposition 10) il a le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps suivant un ordre propice à l’entendement, et conséquemment de faire (Proposition 14) que toutes les affections du corps se rapportent à l’idée de Dieu ; par où il arrivera (Proposition 15) qu’il soit affecté envers Dieu de l’amour qui (Proposition 16) doit occuper ou constituer la plus grande partie de l’esprit, et par suite il a un esprit (Proposition 33) dont la plus grande partie est éternelle. C.Q.F.D.
Les corps humains étant aptes à un très grand nombre de choses, il n’est pas douteux qu’ils puissent être d’une nature telle qu’ils se rapportent à des esprits ayant d’eux-mêmes et de Dieu une grande connaissance et dont la plus grande ou la principale partie est éternelle, et telles qu’ils ne craignent guère la mort.
Mais, pour comprendre cela plus clairement, il faut considérer ici que nous vivons dans une variation continue et qu’on nous dit heureux ou malheureux, suivant que nous changeons en mieux ou en pire. Qui en effet d’enfant ou de jeune garçon passe à l’état de cadavre, est dit malheureux, et, au contraire, on tient pour bonheur d’avoir pu parcourir l’espace entier de la vie avec un esprit sain dans un corps sain. Et réellement qui, comme un enfant ou un jeune garçon, a un corps possédant un très petit nombre d’aptitudes et dépendant au plus haut point des causes extérieures, a un esprit qui, considéré en lui seul, n’a presque aucune conscience de lui-même, ni de Dieu ni des choses ; et, au contraire, qui a un corps aux très nombreuses aptitudes, a un esprit qui, considéré en lui seule, a grandement conscience de lui-même et de Dieu et des choses. Dans cette vie donc nous faisons effort avant tout pour que le corps de l’enfance se change, autant que sa nature le souffre et y contribue, en un autre ayant un très grand nombre d’aptitudes et se rapportant à un esprit conscient au plus haut point de lui-même et de Dieu et des choses, et telle que tout ce qui se rapporte à sa mémoire ou à son imagination soit presque insignifiant eu égard à l’entendement, comme je l’ai dit dans le Scolie de la Proposition précédente.
Plus chaque chose a de perfection, plus elle est active et moins elle est passive ; et inversement plus elle est active, plus parfaite elle est.
Plus chaque chose est parfaite, plus elle a de réalité (Définition 6, p. II) et en conséquence (Proposition 3, p. III avec son Scolie) plus elle est active et moins elle est passive ; la démonstration procède de la même manière dans l’ordre inverse, d’où suit que, inversement, une chose est d’autant plus parfaite qu’elle est plus active. C. Q.F. D.
Il suit de là que la partie de l’esprit qui demeure, de quelque grandeur qu’elle soit, est plus parfaite que l’autre. Car la partie éternelle de l’esprit (Propositions 23 et 29) est l’entendement, par lequel seul nous sommes dits actifs (Proposition 3, p. III) ; cette partie, au contraire, que nous avons montré qui périt, est l’imagination elle-même (Proposition 21), par laquelle seule nous sommes dits passifs (Proposition 3, p. III, et Définition générale des affects) ; et ainsi la première, quelle que soit sa grandeur, est plus parfaite que la deuxième. C.Q.F.D.
Voilà ce que je m’étais proposé de montrer au sujet de l’esprit en tant qu’il est considéré en dehors de sa relation à l’existence du corps ; par là et en même temps par la Proposition 21, p. I, et d’autres encore, il apparaît que notre esprit, en tant qu’il comprend, est un mode éternel du penser, qui est déterminé par un autre mode éternel du penser, ce dernier à son tour par un autre mode et ainsi à l’infini, de façon que toutes ensemble constituent l’entendement éternel et infini de Dieu.
Quand même nous ne saurions pas que notre esprit est éternel, la piété et la Religion et, absolument parlant, tout ce que nous avons montré dans la Quatrième Partie qui se rapporte à la fermeté d’âme et à la générosité, ne laisserait pas d’être pour nous la première des choses.
Le premier et unique fondement de la vertu ou de la conduite droite de la vie est (Corollaire de la Proposition 22 et Proposition 24, p. IV) la recherche de ce qui nous est utile. Or, pour déterminer ce que la Raison commande comme utile, nous n’avons tenu aucun compte de l’éternité de l’esprit, que nous n’avons connue que dans cette Cinquième Partie. Quoique donc nous ayons à ce moment ignoré que l’esprit est éternel, ce que nous avons montré qui se rapporte à la Fermeté d’âme et à la générosité n’a pas laissé d’être pour nous la première des choses ; par suite, quand bien même nous l’ignorerions encore, nous tiendrions ces prescriptions de la Raison pour la première des choses. C.Q.F.D.
La persuasion commune du vulgaire semble être autre. La plupart en effet semblent croire qu’ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d’obéir à l’appétit sensuel et qu’ils renoncent à leurs droits dans la mesure où ils sont astreints à vivre suivant les prescriptions de la loi divine. La piété donc et la Religion, et absolument parlant tout ce qui se rapporte à la fortitude de l’âme, ils croient que ce sont des fardeaux dont ils espèrent être déchargés après la mort pour recevoir le prix de la servitude, c’est-à-dire de la piété et de la Religion, et ce n’est pas seulement cet espoir, c’est aussi et principalement la crainte d’être punis d’affreux supplices après la mort qui les induit à vivre suivant les prescriptions de la loi divine autant que leur petitesse et leur impuissance intérieure le permettent. Et, si les hommes n’avaient pas cet espoir et cette crainte, s’ils croyaient au contraire que les esprits périssent avec le corps et que les malheureux, épuisés par le fardeau de la piété, n’ont devant eux aucune vie à venir, ils reviendraient à leur complexion et voudraient tout soumettre à leur appétit sensuel et obéir à la fortune plutôt qu’à eux-mêmes. Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si quelqu’un, parce qu’il ne croit pas pouvoir nourrir son corps de bons aliments dans l’éternité, aimait mieux se saturer de poisons et de substances mortifères ; ou parce qu’on croit que l’esprit n’est pas éternel ou immortel, on aimait mieux être dément et vivre sans Raison ; absurdités telles qu’elles méritent à peine d’être relevées.
La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même ; et nous ne nous en épanouissons pas parce que nous réfrénons nos appétits sensuels, mais c’est au contraire parce que nous nous en épanouissons que nous pouvons réfréner nos appétits sensuels.
La béatitude consiste dans l’amour envers Dieu (Proposition 36 avec son Scolie), et cet amour naît lui-même du troisième genre de connaissance (Corollaire de la Proposition 32) ; ainsi cet amour doit être rapporté à l’esprit en tant qu’il est actif, et par suite (Définition 8, p. IV) il est la vertu même, ce qui était le premier point.
Ensuite, plus l’esprit s’épanouit de cet amour divin ou de cette béatitude, plus il comprend (Proposition 32), c’est-à-dire (Corollaire de la Proposition 3) plus grande est sa puissance sur les affects et (Proposition 38) moins il pâtit des affects qui sont mauvais ; par suite donc de ce que l’esprit s’épanouit de l’amour divin ou béatitude, il a le pouvoir de réfréner les appétits sensuels. Et, puisque la puissance humaine pour réfréner les affects consiste dans l’entendement seul, nul ne s’épanouit de la béatitude parce qu’il a réfréné ses appétits sensuels, mais au contraire le pouvoir de les réfréner naît de la béatitude elle-même.
J’ai achevé ici ce que je voulais établir concernant la puissance de l’âme sur ses affects et la liberté de l’esprit. Il apparaît par là combien le sage est puissant et combien il l’emporte en pouvoir sur l’ignorant conduit par le seul appétit sensuel. L’ignorant en effet, outre qu’il est de beaucoup de manières ballotté par les causes extérieures et ne possède jamais le vrai contentement intérieur, vit en outre dans une inconscience presque complète de lui-même, de Dieu et des choses et, sitôt qu’il cesse de pâtir, il cesse aussi en même temps d’être. Le sage au contraire, en tant qu’il est considéré comme tel, ne connaît guère le trouble intérieur, mais ayant, par une certaine nécessité éternelle conscience de lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d’être et possède toujours le vrai contentement de l’âme. Si maintenant la voie que j’ai montré qui y conduit, paraît être extrêmement ardue, encore peut-on la découvrir. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible en effet, si le salut était sous la main et qu’on pût le trouver sans grand’ peine, qu’il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare.
Transeo tandem ad alteram Ethices Partem, quae est de modo, sive via, quae ad Libertatem ducit. In hac ergo de potentia rationis agam, ostendens, quid ipsa ratio in affectus possit, & deinde, quid Mentis Libertas seu beatitudo sit, ex quibus videbimus, quantum sapiens potior sit ignaro. Quomodo autem, & qua via debeat intellectus perfici, & qua deinde arte Corpus sit curandum, ut possit suo officio recte fungi, huc non pertinet; hoc enim ad Medicinam, illud autem ad Logicam spectat. Hic igitur, ut dixi, de sola Mentis, seu rationis potentia agam, & ante omnia, quantum, & quale imperium in affectus habeat, ad eosdem coercendum, & moderandum, ostendam. Nam nos in ipsos imperium absolutum non habere, jam supra demonstravimus. Stoici tamen putarunt, eosdem a nostra voluntate absolute pendere, nosque iis absolute imperare posse. Attamen ab experientia reclamante, non vero ex suis principiis coacti sunt fateri, usum, & studium non parvum requiri ad eosdem coercendum, & moderandum; quod quidam exemplo duorum canum (si recte memini), unius scilicet domestici, alterius venatici, conatus est ostendere; nempe quia usu efficere tandem potuit, ut domesticus venari, venaticus contra a leporibus sectandis abstinere assuesceret. Huic opinioni non parum favet Cartesius. Nam statuit Animam, seu Mentem unitam praecipue esse cuidam parti cerebri, glandulae scilicet pineali dictae, cujus ope Mens motus omnes, qui in corpore excitantur, & objecta externa sentit, quamque Mens eo solo, quod vult, varie movere potest. Hanc glandulam in medio cerebri ita suspensam esse statuit, ut minimo spirituum animalium motu possit moveri. Deinde statuit, quod haec glans tot variis modis in medio cerebro suspendatur, quot variis modis spiritus animales in eandem impingunt, & quod praeterea tot varia vestigia in eadem imprimantur, quot varia objecta externa ipsos spiritus animales versus eandem propellunt, unde fit, ut si glans postea ab Animae voluntate, illam diversimode movente, hoc, aut illo modo suspendatur, quo semel fuit suspensa a spiritibus, hoc, aut illo modo agitatis, tum ipsa glans ipsos spiritus animales eodem modo propellet, & determinabit, ac antea a simili glandulae suspensione repulsi fuerant. Praeterea statuit, unamquamque Mentis voluntatem natura esse unitam certo cuidam glandis motui. Ex. gr. si quis voluntatem habet objectum remotum intuendi, haec voluntas efficiet, ut pupilla dilatetur; sed si de sola dilatanda pupilla cogitet, nihil proderit ejus rei habere voluntatem, quia natura non junxit motum glandis, qui inservit impellendis spiritibus versus nervum Opticum modo conveniente dilatandae, vel contrahendae pupillae cum voluntate eandem dilatandi, vel contrahendi; sed demum cum voluntate intuendi objecta remota, vel proxima. Denique statuit, quod, etsi unusquisque motus hujus glandulae videatur connexus esse per naturam singulis ex nostris cogitationibus ab initio nostrae vitae, aliis tamen per habitum possunt jungi, quod probare conatur art. 50 p. 1 de Pass. Animae. Ex his concludit, nullam esse tam imbecillem Animam, quae non possit, cum bene dirigitur, acquirere potestatem absolutam in suas Passiones. Nam hae, ut ab eo definiuntur, sunt perceptiones, aut sensus, aut commotiones animae, quae ad eam speciatim referuntur, quaeque NB. producuntur, conservantur, & corroborantur, per aliquem motam spirituum (vide art. 27 p. 1, Pass. Anim.). At quandoquidem cuilibet voluntati possumus jungere motum quemcunque glandis, & consequenter spirituum; & determinatio voluntatis a sola nostra potestate pendet; si igitur nostram voluntatem certis, & firmis judiciis, secundum quae nostrae vitae actiones dirigere volumus, determinemus, & motus passionum, quas habere volumus, hisce judiciis jungamus, imperium acquiremus absolutum in nostras Passiones. Haec est clarissimi hujus Viri sententia (quantum ex ipsius verbis conjicio), quam ego vix credidissem a tanta Viro pralatam esse, si minus acuta fuisset. Profecto mirari satis non possum, quod vir Philosophus, qui firmiter statuerat, nihil deducere, nisi ex principiis per se notis, & nihil affirmare, nisi quod clare, & distincte perciperet, & qui toties Scholasticos reprehenderat, quod per occultas qualitates res obscuras voluerint explicare, Hypothesin sumat omni occulta qualitate occuitiorem. Quid quaeso, per Mentis, & Corporis unionem intelligit? quem, inquam, clarum, & distinctum conceptum habet cogitationis arctissime unitae cuidam quantitatis portiunculae? Vellem sane, ut hanc unionem per proximam suam causam explicuisset. Sed ille Mentem a Corpore adeo distinctam conceperat, ut nec hujus unionis, nec ipsius Mentis ullam singularem causam assignare potuerit; sed necesse ipsi fuerit, ad causam totius Universi, hoc est, ad Deum recurrere. Deinde pervelim scire, quot motus gradus potest glandulae isti pineali Mens tribuere, & quanta cum vi eandem suspensam tenere potest. Nam nescio, an haec glans tardius, vel celerius a Mente circumagatur, quam a spiritibus animalibus, & an motus Passionum, quos firmis judiciis arcte junximus, non possint ab iisdem iterum a causis corporeis disjungi, ex quo sequeretur, ut, quamvis Mens firmiter proposuerit contra pericula ire, atque huic decreto motus audaciae junxerit, viso tamen periculo, glans ita suspendatur, ut Mens non, nisi de fuga, possit cogitare; & sane, cum nulla detur ratio voluntatis ad motum, nulla etiam datur comparatio inter Mentis, & Corporis potentiam, seu vires; & consequenter hujus vires nequaquam viribus illius determinari possunt. His adde, quod nec haec glans ita in medio cerebro sita reperiatur, ut tam facile, totque modis circumagi possit, & quod non omnes nervi ad cavitates usque cerebri protendantur. Denique omnia, quae de voluntate, ejusque libextate asserit, omitto, quandoquidem haec falsa esse, satis superque ostenderim. Igitur quia Mentis potentia, ut supra ostendi, sola intelligentia definitur, affectuum remedia, quae omnes experiri quidem, sed non accurate observare, nec distincte videre credo, sola Mentis cognitione determinabimus, & ex eadem illa omnia, quae ad ipsius beatitudinem spectant, deducemus.
I. Si in eodem subjecto duae contrariae actiones excitentur, debebit necessario vel in utraque, vel in una sola mutatio fieri, donec desinant contrariae esse
II. Effectus potentia definitur potentia ipsius causae, quatenus ejus essentia per ipsius causae essentxam explicatur, vel definitur. Patet hoc Axioma ex Prop. 7 Part. 3.
Prout cogitationes, rerumque ideae ordinantur, & concatenantur in Mente, ita corporis affectiones, seu rerum imagines ad amussim ordinantur, & concatenantur in Corpore.
Ordo, & connexio idearum idem est (per Prop. 7 Part. 2.
), ac ordo, & connexio rerum, & vice versa, ordo, & connexio rerum idem est (per Coroll. Prop. 6 & 7 p. 2), ac ordo, & connexio idearum. Quare sicuti ordo, & connexio idearum in Mente fit secundum ordinem, & concatenationem affectionum Corporis (Prop. 18 part. 2.), sic vice versa (per Prop. 2 p. 3) ordo, & connexio affectionum Corporis fit, prout cogitationes, rerumque ideae ordinantur, & concatenantur in Mente. Q.E.D.Si animi commotionem, seu affectum a causae externae cogitatione amoveamus, & aliis jungamus cogitationibus, tum Amor, seu Odium erga causam externam, ut & animi fluctuationes, quae ex his affectibus oriuntur, destruentur.
Id enim, quod formam Amoris, vel Odii constituit, est Laetitia, vel Tristitia, concomitante idea causae externae (per Defin. 6 & 7 Affect.), hac igitur sublata, Amoris, vel Odii forma simul tollitur; adeoque hi affectus, & qui ex his oriuntur, destruuntur. Q.E.D.
Affectus, qui passio est, desinit esse passio, simulatque ejus claram, & distinctam formamus ideam.
Affectus, qui passio est, idea est confusa (per gen. Affect. Defin.). Si itaque ipsius affectus claram, & distinctam formemus ideam, haec idea ab ipso affectu, quatenus ad solam Mentem refertur, non nisi ratione distinguetur (per Prop. 21 p. 2 cum ejusdem Schol.); adeoque (per Prop. 3 p. 3) affectus desinet esse passio. Q.E.D.
Affectus igitur eo magis in nostra potestate est, & Mens ab eo minus patitur, quo nobis est notior.
Nulla est Corporis affectio, cujus aliquem clarum, & distinctum non possumus formare conceptum.
Quae omnibus communia sunt, non possunt concipi nisi adaequate (per Prop. 38 p. 2), adeoque (per Prop. 12 & Lem. 2, quod habetur post Schol. Prop. 13 p. 2) nulla est Corporis affectio, cujus aliquem clarum, & distinctum non possumus formare conceptum. Q.E.D.
Hinc sequitur, nullum esse affectum, cujus non possumus aliquem clarum, & distinctum formare conceptum. Est namque affectus Corporis affectionis idea (per gen. Affect. Defin.), quae propterea (per Prop. praeced.) aliquem clarum, & distinctum involvere debet conceptum.
Quandoquidem nihil datur, ex quo aliquis effectus non sequatur (per Prop. 36 p. 1), & quicquid ex idea, quae in nobis est adaequata, sequitur, id omne clare, & distincte intelligimus (per Prop. 40 p. 2); hinc sequitur, unumquemque potestatem habere se, suosque affectus, si non absolute, ex parte saltem clare, & distincte intelligendi, & consequenter efficiendi, ut ab iisdem minus patiatur. Huic igitur rei praecipue danda est opera, ut unumquemque affectum, quantum fieri potest, clare, & distincte cognoscamus, ut sic Mens ex affectu ad illa cogitandum determinetur, quae clare, & distincte percipit, & in quibus plane acquiescit; atque adeo, ut ipse affectus a cogitatione causae externae separetur, & veris jungatur cogitationibus; ex quo fiet, ut non tantum Amor, Odium, &c. destruantur (per Prop. 2 hujus), sed ut etiam appetitus, seu Cupiditates, quae ex tali affectu oriri solent, excessum habere nequeant (per Prop. 61 p. 4). Nam apprime notandum est, unum, eundemque esse appetitum, per quem homo tam agere, quam pati dicitur. Ex. gr. cum natura humana ita comparatum esse ostendimus, ut unusquisque appetat, ut reliqui ex ipsius ingenio vivant (vide Schol. Prop. 31 p. 3); qui quidem appetitus in homine, qui ratione non ducitur, passio est, quae Ambitio vocatur, nec multum a Superbia discrepat; & contra in homine, qui ex rationis dictamine vivit, actio, seu virtus est quae Pietas appellatur (vide Schol. 1 Prop. 37 p. 4 & Demonstrat. 2 ejusdem Prop.). Et hoc modo omnes appetitus, seu Cupiditates eatenus tantum passiones sunt, quatenus ex ideis inadaequatis oriuntur; atque eaedem virtuti accensentur, quando ab ideis adaequatis excitantur, vel generantur. Nam omnes Cupiditates, quibus ad aliquid agendum determinamur, tam oriri possunt ab adaequatis, quam ab inadaequatis ideis (vide Prop. 59 p. 4). Atque hoc (ut eo, unde digressus sum, revertar) affectuum remedio, quod scilicet in eorum vera cognitione consistit, nullum praestantius aliud, quod a nostra potestate pendeat, excogitari potest, quandoquidem nulla alia Mentis potentia datur, quam cogitandi, & adaequatas ideas formandi, ut supra (per Prop. 3 p. 3) ostendimus.
Affectus erga rem, quam simpliciter, & non ut necessariam, neque ut possibilem, neque ut contingentem imaginamur, caeteris paribus, omnium est maximus.
Affectus erga rem, quam liberam esse imaginamur, major est, quam erga necessariam (per Prop. 49 p. 3), & consequenter adhuc major, quam erga illam, quam ut possibilem, vel contingentem imaginamur (per Prop. 11 p. 4). At rem aliquam ut liberam imaginari nihil aliud esse potest, quam quod rem simpliciter imaginamur, dum causas, a quibus ipsa ad agendum determinata fuit, ignoramus (per illa, quae in Schol. Prop. 35 p. 2 ostendimus); ergo affectus erga rem, quam simpliciter imaginamur, caeteris paribus major est, quam erga necessariam, possibilem, vel contingentem, & consequenter maximus. Q.E.D.
Quatenus Mens res omnes, ut necessarias intelligit, eatenus majorem in affectus potentiam habet, seu minus ab iisdem patitur.
Mens res omnes necessarias esse intelligit (per Prop. 29 p. 1), & infinito causarum nexu determinari ad existendum, & operandum (per Prop. 28 p. 1); adeoque (per Prop. praeced.) eatenus efficit, ut ab affectibus, qui ex iis oriuntur, minus patiatur, & (per Prop. 48 p. 3) minus erga ipsas afficiatur. Q.E.D.
Quo haec cognitio, quod scilicet res necessariae sint, magis circa res singulares, quas distinctius, & magis vivide imaginamur, versatur, eo haec Mentis in affectus potentia major est, quod ipsa etiam experientia testatur. Videmus enim Tristitiam boni alicujus, quod periit, mitigari, simulac homo, qui id perdidit, considerat bonum illud servari nulla ratione potuisse. Sic etiam videmus, quod nemo miseretur infantis, propterea quod nescit loqui, ambulare, ratiocinari, & quod denique tot annos quasi sui inscius vivat. At si plerique adulti, & unus, aut alter infans nascerentur, tum unumquemque misereret infantum, quia tum ipsam infantiam, non ut rem naturalem, & necessariam, sed ut naturae vitium, seu peccatum consideraret; & ad hunc modum plura alia notare possemus.
Affectus, qui ex ratione oriuntur, vel excitantur, si ratio temporis habeatur, potentiores sunt iis, qui ad res singulares referuntur, quas ut absentes contemplamur.
Rem aliquam ut absentem non contemplamur ex affectu, quo eandem imaginamur; sed ex eo, quod Corpus alio afficitur affectu, qui ejusdem rei existentiam secludit (per Prop. 17 p. 2). Quare affectus, qui ad rem, quam ut absentem contemplamur, refertur, ejus naturae non est, ut reliquas hominis actiones, & potentiam superet (de quibus vide Prop. 6 p. 4); sed contra ejus naturae est, ut ab iis affectionibus, quae existentiam externae ejus causae secludunt, coerceri aliquo modo possit (per Prop. 9 p. 4). At affectus, qui ex ratione oritur, refertur necessario ad communes rerum proprietates (vide rationis Defin. in Schol. 2 Prop. 40 p. 2), quas semper ut praesentes contemplamur (nam nihil dari potest, quod earum praesentem existentiam secludat), & quas semper eodem modo imaginamur (per Prop. 38 p. 2): Quare talis affectus idem semper manet, & consequenter (per Axiom. 1 hujus) affectus, qui eidem sunt contrarii, quique a suis causis externis non foventur, eidem magis magisque sese accomodare debebunt, donec non amplius sint contrarii, & eatenus affectus, qui ex ratione oritur, est potentior. Q.E.D.
Quo affectus aliquis a pluribus causis simul concurrentibus excitatur, eo major est.
Plures causae simul plus possunt, quam si pauciores essent (per Prop. 7 p. 3): adeoque (per Prop. 5 p. 4), quo affectus aliquis a pluribus causis simul excitatur, eo fortior est. Q.E.D.
Haec Propositio patet etiam ex Axiomate 2 hujus Partis.
Affectus, qui ad plures, & diversas causas refertur, quas Mens cum ipso affectu simul contemplatur, minus noxius est, & minus per ipsum patimur, & erga unamquamque causam minus afficimur, quam alius aeque magnus affectus, qui ad unam solam, vel pauciores causas refertur.
Affectus eatenus tantum malus, seu noxius est, quatenus Mens ab eo impeditur, quominus possit cogitare (per Prop. 26 & 27 p. 4): adeoque ille affectus, a quo Mens ad plura simul objecta contemplandum determinantur, minus noxius est, quam alius aeque magnus affectus, qui Mentem in sola unius, aut pauciorum objectorum contemplatione ita detinet, ut de aliis cogitare nequeat, quod erat primum. Deinde, quia Mentis essentia, hoc est (per Prop. 7 p. 3), potentia in sola cogitatione consistit (per Prop. 11 p. 3), ergo Mens per affectum, a quo ad plura simul contemplandum determinatur, minus patitur, quam per aeque magnum affectum, qui Mentem in sola unius, aut pauciorum objectorum contemplatione occupatum tenet, quod erat secundum. Denique hic affectus (per Prop. 48 p. 3), quatenus ad plures causas externas refertur, est etiam erga unamquamque minor. Q.E.D.
Quamdiu affectibus, qui nostrae naturae sunt contrarii, non conflictamur, tamdiu potestatem habemus ordinandi, & concatenandi Corporis affectiones secundum ordinem ad intellectum.
Affectus, qui nostrae naturae sunt contrarii, hoc est (per Prop. 30 p. 4), qui mali sunt, eatenus mali sunt, quatenus impediunt, quominus Mens intelligat (per Prop. 27 p. 4). Quamdiu igitur affectibus, qui nostrae naturae contrarii sunt, non conflictamur, tamdiu Mentis & potentia, qua res intelligere conatur (per Prop. 26 p. 4) non impeditur, atque adeo tamdiu potestatem habet claras, & distinctas ideas formandi, & alias ex aliis deducendi (vide Schol. 2 Prop. 40 & Schol. Prop. 47 p. 2); & consequenter (per Prop. 1 hujus), tamdiu potestatem habemus ordinandi, & concatenandi affectiones Corporis secundum ordinem ad intellectum. Q.E.D.
Hac potestate recte ordinandi, & concatenandi Corporis affectiones efficere possumus, ut non facile malis affectibus afficiamur. Nam (per Prop. 7 hujus) major vis requiritur ad Affectus, secundum ordinem ad intellectum ordinatos, & concatenatos coercendum, quam incertos, & vagos. Optimum igitur, quod efficere possumus, quamdiu nostrorum affectuum perfectam cognitionem non habemus, est rectam vivendi rationem, seu certa vitae dogmata concipere, eaque memoriae mandare, & rebus particularibus, in vita frequenter obviis, continuo applicare, ut sic nostra imaginatio late iisdem afficiatur, & nobis in promptu sint semper. Ex. gr. inter vitae dogmata posuimus (vide Prop. 46 p. 4 cum ejusdem Schol.), Odium Amore, seu Generositate vincendum, non autem reciproco Odio compensandum. Ut autem hoc rationis praescriptum semper in promptu habeamus, ubi usus erit, cogitandae, & saepe meditandae sunt communes hominum injuriae, & quomodo, & qua via Generositate optime propulsentur; sic enim imaginem injuriae imaginationi hujus dogmatis jungemus, & nobis (per Prop. 18 p. 2) in promptu semper erit, ubi nobis injuria afferetur. Quod si etiam in promptu habuerimus rationem nostri veri utilis, ac etiam boni, quod ex mutua amicitia, & communi societate sequitur, & praeterea quod ex recta vivendi ratione summa animi acquiescentia oriatur (per Prop. 52 p. 4), & quod homines, ut reliqua, ex naturae necessitate agant: tum injuria, sive Odium, quod ex eadem oriri solet, minimam imaginationis partem occupabit, & facile superabitur; vel si Ira, quae ex maximis injuriis oriri solet, non adeo facile superetur, superabitur tamen, quamvis non sine animi fluctuatione, longe minore temporis spatio, quam si haec non ita praemeditata habuissemus, ut patet ex Propositione 6, 7 & 8 hujus Partis. De Animositate ad Metum deponendum eodem modo cogitandum est; enumeranda scilicet sunt, & saepe imaginanda communia vitae pericula, & quomodo animi praesentia, & fortitudine optime vitari, & superari possunt. Sed notandum, quod nobis in ordinandis nostris cogitationibus, & imaginibus semper attendendum est (per Coroll. Prop. 63 p. 4 & Prop. 59 p. 3) ad illa, quae in unaquaque re bona sunt, ut sic semper ex Laetitiae affectu ad agendum determinemur. Ex. gr. si quis videt, se nimis gloriam sectari, de ejus recto usu cogitet, & in quem finem sectanda sit, & quibus mediis acquiri possit; sed non de ipsius abusu, & vanitate, & hominum inconstantia, vel aliis hujusmodi, de quibus nemo, nisi ex animi aegritudine, cogitat; talibus enim cogitationibus maxime ambitiosi se maxime afflictant, quando de assequendo honore, quem ambiunt, desperant; &, dum Iram evomunt, sapientes videri volunt. Quare certum est, eos gloriae maxime esse cupidos, qui de ipsius abusu, & mundi vanitate maxime clamant. Nec hoc ambitiosis proprium, sed omnibus commune est, quibus fortuna est adversa, & animo impotentes sunt. Nam pauper etiam avarus de abusu pecuniae, & divitum vitiis non cessat loqui; quo nihil aliud efficit, quam se afflictare, & aliis ostendere, se non tantum paupertatem suam, sed etiam aliorum divitias iniquo animo ferre. Sic etiam, qui male ab amasia excepti sunt, nihil cogitant, quam de mulierum inconstantia, & fallaci animo, & reliquis earundem decantatis vitiis, quae omnia statim oblivioni tradunt, simulac ab amasia iterum recipiuntur. Qui itaque suos affectus, & appetitus ex solo Libertatis amore moderari studet, is, quantum potest, nitetur, virtutes, earumque causas noscere, & animum gaudio, quod ex earum vera cognitione oritur, implere; at minime hominum vitia contemplari, hominesque obtrectare, & falsa libertatis specie gaudere. Atque haec qui diligenter observabit (neque enim difficilia sunt), & exercebit, nae ille brevi temporis spatio actiones suas ex rationis imperio plerumque dirigere poterit.
Quo imago aliqua ad plures res refertur, eo frequentior est, seu saepius viget, & Mentem magis occupat.
Quo enim imago, seu affectus ad plures res refertur, eo plures dantur causae, a quibus excitari, & foveri potest, quas omnes Mens (per Hypothesin) ex ipso affectu simul contemplatur; atque adeo affectus eo frequentior est, seu saepius viget, & (per Prop. 8 hujus) Mentem magis occupat. Q.E.D.
Rerum imagines facilius imaginibus, quae ad res referuntur, quas clare, & distincte intelligimus, junguntur, quam aliis.
Res, quas clare, & distincte intelligimus, vel rerum communes proprietates sunt, vel quae ex iis deducuntur (vide rationis Defin. in Schol. 2 Prop. 40 p. 2), & consequenter saepius (per Prop. praeced.), in nobis excitantur; adeoque facilius fieri potest, ut res alias simul cum his, quam cum aliis contemplemur, & consequenter (per Prop. 18 p. 2) ut facilius cum his, quam cum aliis, jungantur. Q.E.D.
Quo imago aliqua pluribus aliis juncta est, eo saepius viget.
Nam, quo imago aliqua pluribus aliis juncta est, eo (per Prop. 18 p. 2) plures causae dantur, a quibus excitari potest. Q.E.D.
Mens efficere potest, ut omnes Corporis affectiones, seu rerum imagines ad Dei ideam referantur.
Nulla est Corporis affectio, cujus aliquem (VM ; OP : aliquod) clarum, & distinctum non possit Mens formare conceptum (per Prop. 4 hujus); adeoque efficere potest (per Prop. 15 p. 1), ut omnes ad Dei ideam referuntur. Q.E.D.
Qui se, suosque affectus clare, & distincte intelligit, Deum amat, & eo magis, quo se, suosque affectus magis intelligit.
Qui se, suosque affectus clare, & distincte intelligit, laetatur (per Prop. 53 p. 3), idque concomitante idea Dei (per Prop. praeced.); atque adeo (per Defin. 6 Affect.) Deum amat, & (per eandem rationem) eo magis, quo se, suosque affectus magis intelligit. Q.E.D.
Hic erga Deum Amor Mentem maxime occupare debet.
CEst enim hic Amor junctus omnibus Corporis affectionibus (per Prop. 14 hujus), quibus omnibus fovetur (per Prop. 15 hujus); atque adeo (per Prop. 11 hujus) Mentem maxime occupare debet. Q.E.D.
Deus expers est passionum, nec ullo Laetitiae, aut Tristitiae affectu afficitur.
Ideae omnes, quatenus ad Deum referuntur, verae sunt (per Prop. 32 p. 2), hoc est (per Defin. 4 p. 2), adaequatae; atque adeo (per gen. Affect. Defin.) Deus expers est passionum. Deinde Deus neque ad majorem, neque ad minorem perfectionem transire potest (per Coroll. 2 Prop. 20 p. 1); adeoque (per Defin. 2 & 3 Affect.) nullo Laetitiae, neque Tristitiae affectu afficitur. Q.E.D.
Dieu, à parler proprement, n’a d’amour ni de haine pour personne. Car Dieu (Proposition précédente) n’est affecté d’aucun affect de joie ni de tristesse, et conséquemment (Définitions 6 et 7 des affects) n’a d’amour ni de haine pour personne.
Nemo potest Deum odio habere.
Idea Dei, quae in nobis est, est adaequata, & perfecta (per Prop. 46 & 47 p. 2); adeoque quatenus Deum contemplamur, eatenus agimus (per Prop. 3 p. 3), & consequenter (per Prop. 59 p. 3) nulla potest dari Tristitia concomitante idea Dei, hoc est, (per Defin. 7 Affect.) nemo Deum odio habere potest. Q.E.D.
Amor erga Deum in odium verti nequit.
At objici potest, quod dum Deum omnium rerum causam intelligimus, eo ipso Deum Tristitiae causam consideramus. Sed ad hoc respondeo, quod quatenus Tristitiae causas intelligimus, eatenus (per Prop. 3 hujus) ipsa desinit esse passio, hoc est (per Prop. 59 p. 3), eatenus desinit esse Tristitia; atque adeo, quatenus Deum Tristitiae causam esse intelligimus, eatenus laetamur.
Qui Deum amat, conari non potest, ut Deus ipsum contra amet.
Si homo id conaretur, cuperet ergo (per Coroll. Prop. 17 hujus), ut Deus, quem amat, non esset Deus, & consequenter (per Prop. 19 p. 3), contristari cuperet, quod (per Prop. 28 p. 3) est absurdum. Ergo, qui Deum amat, &c. Q.E.D.
Hic erga Deum Amor, neque Invidiae, neque Zelotypiae affectu inquinari potest; sed eo magis fovetur, quo plures homines eodem Amoris vinculo cum Deo junctos imaginamur.
Hic erga Deum Amor summum bonum est, quod ex dictamine rationis appetere possumus (per Prop. 28 p. 4), & omnibus hominibus commune est (per Prop. 36 p. 4), & omnes, ut eodem gaudeant, cupimus (per Prop. 37 p. 4); atque adeo (per Defin. 23 Affect.) Invidiae affectu maculari nequit, neque etiam (per Prop. 18 hujus, & Defin. Zelotypiae, quam vide in Schol. Prop. 35 p. 3) Zelotypiae affectu; sed contra (per Prop. 31 p. 3) eo magis foveri debet, quo plures homines eodem gaudere imaginamur. Q.E.D.
Possumus hoc eodem modo ostendere, nullum dari affectum, qui huic Amori directe sit contrarius, a quo hic ipse Amor possit destrui; atque adeo concludere possumus, hunc erga Deum Amorem omnium affectuum esse constantissimum, nec, quatenus ad Corpus refertur, posse destrui, nisi cum ipso Corpore. Cujus autem naturae sit, quatenus ad solam Mentem refertur, postea videbimus. Atque his omnia affectuum remedia, sive id omne, quod Mens, in se sola considerata, adversus affectus potest, comprehendi; ex quibus apparet, Mentis in affectus potentiam consistere: Iº. In ipsa affectuum cognitione (vide Schol. Prop. 4 hujus). IIº. In eo, quod affectus a cogitatione causae externae, quam confuse imaginamur, separat (vide Prop. 2 cum eodem . Schol Prop. 4 hujus). IIIº. In tempore, quo affectiones, quae ad res, quas intelligimus, referuntur, illas superant, quae ad res referuntur, quas confuse, seu mutilate concipimus (vide Prop. 7 hujus). IVº. In multitudine causarum, a quibus affectiones, quae ad rerum communes proprietates, vel ad Deum referuntur, foventur (vide Prop. 9 & 11 hujus). Vº. Denique in ordine, quo Mens suos affectus ordinare, & invicem concatenare potest (vide Schol. Prop. 10 & insuper Prop. 12, 13 & 14 hujus). Sed ut haec Mentis in affectus potentia melius intelligatur, venit apprime notandum, quod affectus a nobis magni appellantur, quando unius hominis affectum cum affectu alterius comparamus, & unum magis, quam alium eodem affectu conflictari videmus; vel quando unius, ejusdemque hominis affectus ad invicem comparamus, eundemque uno affectu magis, quam alio affici, sive moveri comperimus: Nam (per Prop. 5 p. 4) vis cujuscunque affectus definitur potentia causae externae cum nostra comparata. At Mentis potentia sola cognitione definitur; impotentia autem, seu passio a sola cognitionis privatione, hoc est, ab eo, per quod ideae dicuntur inadaequatae, aestimatur; ex quo sequitur, Mentem illam maxime pati, cujus maximam partem ideae inadaequatae constituunt, ita ut magis per id, quod patitur, quam per id, quod agit, dignoscatur; & illam contra maxime agere, cujus maximam partem ideae adaequatae constituunt, ita ut, quamvis huic tot inadaequatae ideae, quam illi insint, magis tamen per illas, quae humanae virtuti tribuuntur, quam per has, quae humanam impotentiam arguunt, dignoscatur. Deinde notandum, animi aegritudines, & infortunia potissimum originem trahere ex nimio Amore erga rem, quae multis variationibus est obnoxia, & cujus nunquam compotes esse possumus. Nam nemo de re ulla, nisi quam amat, sollicitus, anxiusve est, neque injuriae, suspiciones, inimicitiae, &c. oriuntur, nisi ex Amore erga res, quarum nemo potest revera esse compos. Ex his itaque facile concipimus, quid clara, & distincta cognitio, & praecipue tertium illud cognitionis genus (de quo vide Schol. Prop. 47 p. 2), cujus fundamentum est ipsa Dei cognitio, in affectus potest, quos nempe, quatenus passiones sunt, si non absolute tollit (vide Prop. 3 cum Schol. Prop. 4 hujus), saltem efficit, ut minimam Mentis partem constituant (vide Prop. 14 hujus). Deinde Amorem gignit erga rem immutabilem, & aeternam (vide Prop.15 hujus), & cujus revera sumus compotes (vide Prop. 45 p. 2), & propterea nullis vitiis, quae in communi Amore insunt, inquinari, sed qui semper major, ac major esse potest (per Prop. 15 hujus), & Mentis maximam partem occupare (per Prop. 16 hujus), lateque afficere. Atque his omnia, quae praesentem hanc vitam spectant, absolvi. Nam quod in hujus Scholii principio dixi, me his paucis omnia affectuum remedia amplexum esse, facile poterit unusquisque videre, qui ad haec, quae in hoc Scholio diximus, & simul ad Mentis, ejusque affectuum définitiones, & denique ad Propositiones 1 & 3 Partis 3 attenderit. Tempus igitur jam est, ut ad illa transeam, quae ad Mentis durationem sine relatione ad Corpus pertinent.
Mens nihil imaginari potest, neque rerum praeteritarum recordari, nisi durante Corpore.
Mens actualem sui Corporis existentiam non exprimit, neque etiam Corporis affectiones, ut actuales, concipit, nisi durante Corpore (per Coroll. Prop. 8 p. 2), & consequenter (per Prop. 26 p. 2) nullum corpus, ut actu existens, concipit, nisi durante suo Corpore, ac proinde nihil imaginari (vide Imaginat. Defin. in Schol. Prop. 17 p. 2), neque rerum praeteritarum recordari potest, nisi durante Corpore (vide Defin. Memoriae in Schol. Prop.18 p. 2). Q.E.D.
In Deo tamen datur necessario idea, quae hujus, & illius Corporis humani essentiam sub aeternitatis specie exprimit.
Deus non tantum est causa hujus, & illius Corporis humani existentiae, sed etiam essentiae (per Prop. 25 p. 1), quae propterea per ipsam Dei essentiam necessario debet concipi (per Axiom. 4 p. 1), idque aeterna quadam necessitate (per Prop. 16 p. 1), qui quidem conceptus necessario in Deo dari debet (per Prop. 3 p. 2). Q.E.D.
Mens humana non potest cum Corpore absolute destrui; sed ejus aliquid remanet, quod aeternum est.
In Deo datur necessario conceptus, seu idea, quae Corporis humani essentiam exprimit (per Prop. praeced.), quae propterea aliquid necessario est, quod ad essentiam Mentis humanae pertinet (per Prop. 13 p. 2). Sed Menti humanae nullam durationem, quae tempore definiri potest, tribuimus, nisi quatenus Corporis actualem existentiam, quae per durationem explicatur, & tempore definiri potest, exprimit, hoc est (per Coroll. Prop. 8 p. 2), ipsi durationem non tribuimus, nisi durante Corpore. Cum tamen aliquid nihilominus sit id, quod aeterna quadam necessitate per ipsam Dei essentiam concipitur (per Prop. praeced.), erit necessario hoc aliquid, quod ad Mentis essentiam pertinet, aeternum. Q.E.D.
Est, uti diximus, haec idea, quae Corporis essentiam sub specie aeternitatis exprimit, certus cogitandi modus, qui ad Mentis essentiam pertinet; quique necessario aeternus est. Nec tamen fieri potest, ut recordemur nos ante Corpus exstitisse, quandoquidem nec in corpore ulla ejus vestigia dari, ner aeternitas tempore definiri, nec ullam ad tempus relationem habere potest. At nihilominus sentimus, experimurque, nos aeternos esse. Nam Mens non minus res illas sentit, quas intelligendo concipit, quam quas in memoria habet. Mentis enim oculi, quibus res videt, observatque, sunt ipsae demonstrationes. Quamvis itaque non recordemur nos ante Corpus exstitisse, sentimus tamen Mentem nostram, quatenus Corporis essentiam sub aeternitatis specie involvit, aeternam esse, & hanc ejus existentiam tempore definiri, sive per durationem explicari non posse. Mens igitur nostra eatenus tantum potest dici durare, ejusque existentia certo tempore definiri potest, quatenus actualem Corporis existentiam involvit, & eatenus tantum potentiam habet rerum existentiam tempore determinandi, easque sub duratione concipiendi.
Quo magis res singulares intelligimus, eo magis Deum intelligimus.
Patet ex Coroll. Prop. 25 p. 1.
Summus Mentis conatus, summaque virtus est res intelligere tertio cognitionis genere.
Tertium cognitionis genus procedit ab adaequata idea quorumdam Dei attributorum ad adaequatam cognitionem essentiae rerum (vide hujus Defin. in Schol. 2 Prop. 40 p. 2); & quo magis hoc modo res intelligimus, eo magis (per Prop. praeced.) Deum intelligimus, ac proinde (per Prop. 28 p. 4) summa Mentis virtus, hoc est (per Defin. 8 p. 4), Mentis potentia, seu natura, sive (per Prop. 7 p. 3) summus conatus est res intelligere tertio cognitionis genere. Q.E.D.
Quo Mens aptior est ad res tertio cognitionis genere intelligendum, eo magis cupit, res eodem hoc cognitionis genere intelligere.
Patet. Nam quatenus concipimus Mentem aptam esse ad res hoc cognitionis genere intelligendum, eatenus eandem determinatam concipimus ad res eodem cognitionis genere intelligendum, & consequenter (per Defin. 1 Affect.), quo Mens ad hoc aptior est, eo magis hoc cupit. Q.E.D.
Ex hoc tertio cognitionis genere summa, quae dari potest, Mentis acquiescentia oritur.
Summa Mentis virtus est Deum cognoscere (per Prop. 28 p. 4), sive res tertio cognitionis genere intelligere (per Prop. 25 hujus); quae quidem virtus eo major est, quo Mens hoc cognitionis genere magis res cognoscit (per Prop. 24 hujus); adeoque qui res hoc cognitionis genere cognoscit, is ad summam humanam perfectionem transit, & consequenter (per Defin. 2 Affect.), summa Laetitia afficitur, idque (per Prop. 43 p. 2) concomitante idea sui, suaeque virtutis, ac proinde (per Defin. 25 Affect.) ex hoc cognitionis genere summa, quae dari potest, oritur acquiescentia. Q.E.D.
Conatus, seu Cupiditas cognoscendi res tertio cognitionis genere, oriri non potest ex primo; at quidem ex secundo cognitionis genere.
Haec Propositio per se patet. Nam quicquid clare, & distincte intelligimus, id vel per se, vel per aliud, quod per se concipitur, intelligimus, hoc est, ideae, quae in nobis clarae, & distinctae sunt, sive quae ad tertium cognitionis genus referuntur (vide Schol. 2 Prop. 40 p. 2), non possunt sequi ex ideis mutilatis, & confusis, quae (per idem Schol) ad primum cognitionis genus referuntur, sed ex ideis adaequatis, sive (per idem Schol.) ex secundo, & tertio cognitionis genere; ac proinde (per Defin. 1 Affect.) Cupiditas cognoscendi res tertio cognitionis genere non potest oriri ex primo, at quidem ex secundo. Q.E.D.
Quicquid Mens sub specie aeternitatis intelligit, id ex eo non intelligit, quod Corporis praesentem actualem existentiam concipit, sed ex eo, quod Corporis essentiam concipit sub specie aeternitatis.
Quatenus Mens praesentem sui Corporis existentiam concipit, eatenus durationem concipit, quae tempore determinari potest, & eatenus tantum potentiam habet concipiendi res cum relatione ad tempus (per Prop. 21 hujus & Prop. 26 p. 2). At aeternitas per durationem explicari nequit (per Defin. 8 p. 1 & ipsius explicat.). Ergo Mens eatenus potestatem non habet concipiendi res sub specie aeternitatis; sed quia de natura rationis est res sub specie aeternitatis concipere (per Coroll. 2 Prop. 44 p. 2), & ad Mentis naturam etiam pertinet Corporis essentiam sub specie aeternitatis concipere (per Prop. 23 hujus), & praeter haec duo nihil aliud ad Mentis essentiam pertinet (per Prop.13 p. 2); ergo haec potentia concipiendi res sub specie aeternitatis ad Mentem non pertinet, nisi quatenus Corporis essentiam sub specie aeternitatis concipit. Q.E.D.
Res duobus modis a nobis ut actuales concipiuntur, vel quatenus easdem cum relatione ad certum tempus, & locum existere, vel quatenus ipsas in Deo contineri, & ex naturae divinae necessitate consequi concipimus. Quae autem hoc secundo modo ut verae, seu reales concipiuntur, eas sub aeternitatis specie concipimus, & earum ideae aeternam, & infinitam Dei essentiam involvunt, ut Propositione 45 Partis 2 ostendimus, cujus etiam Scholium vide.
Mens nostra, quatenus se, & Corpus sub aeternitatis specie cognoscit, eatenus Dei cognitionem necessario habet, scitque se in Deo esse, & per Deum concipi.
Aeternitas est ipsa Dei essentia, quatenus haec necessariam involvit existentiam (per Defin. 8 p. 1). Res igitur sub specie aeternitatis concipere, est res concipere, quatenus per Dei essentiam, ut entia realia, concipiuntur, sive quatenus per Dei essentiam involvunt existentiam; adeoque Mens nostra, quatenus se, & Corpus sub specie aeternitatis concipit, eatenus Dei cognitionem necessario habet, scitque &c. Q.E.D.
Tertium cognitionis genus pendet a Mente, tanquam a formali causa, quatenus Mens ipsa aeterna est.
Mens nihil sub aeternitatis specie concipit, nisi quatenus sui Corporis essentiam sub aeternitatis specie concipit (per Prop. 29 hujus), hoc est (per Prop. 21 & 23 hujus), nisi quatenus aeterna est; adeoque (per Prop. praeced.) quatenus aeterna est, Dei habet cognitionem, quae quidem cognitio est necessario adaequata (per Prop. 46 p. 2), ac proinde Mens, quatenus aeterna est, ad illa omnia cognoscendum est apta, quae ex data hac Dei cognitione consequi possunt (per Prop. 40 p. 2), hoc est, ad res tertio cognitionis genere cognoscendum (vide hujus Defin. in Schol. 2 Prop. 40 p. 2), cujus propterea Mens (per Defin. 1 p. 3), quatenus aeterna est, causa est adaequata, seu formalis. Q.E.D.
Quo igitur unusquisque hoc cognitionis genere plus pollet, eo melius sui, & Dei conscius est, hoc est, eo est perfectior, & beatior, quod adhuc clarius ex seqq. patebit. Sed hic notandum, quod, tametsi jam certi sumus, Mentem aeternam esse, quatenus res sub aeternitatis specie concipit, nos tamen, ut ea, quae ostendere volumus, facilius explicentur, & melius intelligantur, ipsam, tanquam jam inciperet esse, & res sub aeternitatis specie intelligere jam inciperet, considerabimus, ut huc usque fecimus; quod nobis absque ullo erroris periculo facere licet, modo nobis cautio sit nihil concludere, nisi ex perspicuis praemissis.
Quicquid intelligimus tertio cognitionis genere, eo delectamur, & quidem concomitante idea Dei, tanquam causa.
Ex hoc cognitionis genere summa, quae dari potest, Mentis acquiescentia (per Prop. 27 hujus), hoc est (per Defin. 25 Affect.), Laetitia oritur, eaque concomitante idea sui, & consequenter (per Prop. 30 hujus) concomitante etiam idea a Dei, tanquam causa. Q.E.D.
Ex tertio cognitionis genere oritur necessario Amor Dei intellectualis. Nam ex hoc cognitionis genere oritur (per Prop. praeced.) Laetitia concomitante idea Dei, tanquam causa, hoc est (per Defin. 6 Affect.), Amor Dei, non quatenus ipsum ut praesentem imaginamur (per Prop. 29 hujus), sed quatenus Deum aeternum esse intelligimus, & hoc est, quod amorem Dei intellectualem voco.
Amor Dei intellectualis, qui ex tertio cognitionis genere oritur, est aeternus.
Tertium enim cognitionis genus (per Prop. 31 hujus, & Axiom. 3 p. 1) est aeternum; adeoque (per idem Axiom. p. 1) Amor, qui ex eodem oritur, est etiam necessario aeternus. Q.E.D.
Quamvis hic erga Deum Amor principium non habuerit (per Prop. praeced.), habet tamen omnes Amoris perfectiones, perinde ac si ortus fuisset, sicut in Coroll. Prop. praec. finximus. Nec ulla hic est differentia, nisi quod Mens easdem has perfectiones, quas eidem jam accedere finximus, aeternas habuerit, idque concomitante idea Dei tanquam causa aeterna. Quod si Laetitia in transitione ad majorem perfectionem consistit, beatitudo sane in eo consistere debet, quod Mens ipsa perfectione sit praedita.
Mens non nisi durante corpore obnoxia est affectibus, qui ad passiones referuntur.
Imaginatio est idea, qua Mens rem aliquam ut praesentem contemplatur (vide ejus Defin. in Schol. Prop. 17 p. 2), quae tamen magis Corporis humani praesentem constitutionem, quam rei externae naturam indicat (per Coroll. 2 Prop. 16 p. 2). Est igitur affectus (per gen. Affect. Defin..) imaginatio, quatenus Corporis praesentem constitutionem indicat; atque adeo (per Prop. 21 hujus) Mens non nisi durante corpore obnoxia est affectibus, qui ad passiones referuntur. Q.E.D.
Hinc sequitur nullum Amorem praeter Amorem intellectualem esse aeternum.
Si ad hominum communem opinionem attendamus, videbimus, eos suae Mentis aeternitatis esse quidem conscios; sed ipsos eandem cum duratione confundere, eamque imaginationi, seu memoriae tribuere, quam post mortem remanere credunt.
Deus se ipsum Amore intellectuali infinito amat.
Deus est absolute infinitus (per Defin. 6 p. 1), hoc est (per Defin. 6 p. 2), Dei natura gaudet infinita perfectione, idque (per Prop. 3 p. 2) concomitante idea sui, hoc est (per Prop. 11 & Ax. 1 p. 1), idea suae causae, & hoc est, quod in Coroll. Prop. 32 hujus Amorem intellectualem esse diximus.
Mentis Amor intellectualis erga Deum est ipse Dei Amor, quo Deus se ipsum amat, non quatenus infinitus est, sed quatenus per essentiam humanae Mentis, sub specie aeternitatis consideratam, explicari potest, hoc est, Mentis erga Deum Amor intellectualis pars est infiniti amoris, quo Deus se ipsum amat.
Hic Mentis Amor ad Mentis actiones referri debet (per Coroll. Prop. 32 hujus, & per Prop. 3 p. 3), qui proinde actio est, qua Mens se ipsam contemplatur, concomitante idea Dei tanquam causa (per Prop. 32 hujus, & ejus Coroll.), hoc est (per Coroll. Prop. 25 p. 1 & Coroll. Prop. 11 p. 2), actio, qua Deus, quatenus per Mentem humanam explicari potest, seipsum contemplatur, concomitante idea sui; atque adeo (per Prop. praeced.) hic Mentis Amor pars est infiniti amoris, quo Deus seipsum amat. Q.E.D.
Hinc sequitur, quod Deus, quatenus seipsum amat, homines amat, & consequenter quod amor Dei erga homines, & Mentis erga Deum Amor intellectualis unum, & idem sit.
Ex his clare intelligimus, qua in re nostra salus, seu beatitudo, seu Libertas consistit, nempe in constanti, & aeterno erga Deum Amore, sive in Amore Dei erga homines. Atque hic Amor, seu beatitudo in Sacris codicibus Gloria appellatur, nec immerito. Nam sive hic Amor ad Deum referatur, sive ad Mentem, recte animi acquiescentia, quae revera a Gloria (per Defin. 25 & 30 Affect.) non distinguitur, appellari potest. Nam quatenus ad Deum refertur, est (per Prop. 35 hujus) Laetitia, liceat hoc adhuc vocabulo uti, concomitante idea sui, ut & quatenus ad Mentem refenur (per Prop. 27 hujus). Deinde quia nostrae Mentis essentia in sola cognitione consistit, cujus principium, & fundamentum Deus est (per Prop. 15 p. 1 & Schol. Prop. 47 p. 2): hinc perspicuum nobis fit, quomodo, & qua ratione Mens nostra secundum essentiam, & existentiam ex natura divina sequatur, & continuo a Deo pendeat; quod hic notare operae pretium duxi, ut hoc exemplo ostenderem, quantum rerum singularium cognitio, quam intuitivam, sive tertii generis appellavi (vide Schol. 2 Prop. 40 p. 2), polleat, potiorque sit cognitione universali, quam secundi generis esse dixi. Nam quamvis in Prima Parte generaliter ostenderim, omnia (& consequenter Mentem etiam humanam) a Deo secundum essentiam, & existentiam pendere, illa tamen demonstratio, tametsi legitima sit, & extra dubitationis aleam posita, non ita tamen Mentem nostram afficit, quam quando id ipsum ex ipsa essentia rei cujuscunque singularis, quam a Deo pendere dicimus, concluditur.
Nihil in natura datur, quod huic Amori intellectuali sit contrarium, sive quod ipsum possit tollere.
Hic intellectualis Amor ex Mentis natura necessario sequitur, quatenus ipsa, ut aeterna veritas, per Dei naturam consideratur (per Prop. 33 & 29 hujus). Siquid ergo daretur, quod huic Amori esset contrarium, id contrarium esset vero, & consequenter id, quod hunc Amorem posset tollere, efficeret, ut id, quod verum est, falsum esset, quod (ut per se notum) est absurdum. Ergo nihil in natura datur, &c. Q.E.D.
Partis Quartae Axioma res singulares respicit, quatenus cum relatione ad certum tempus, & locum considerantur, de quo neminem dubitare credo.
Quo plures res secundo, & tertio cognitionis genere Mens intelligit, eo minus ipsa ab affectibus, qui mali sunt, patitur, & mortem minus timet.
Mentis essentia in cognitione consistit (per Prop. 11 p. 2); quo igitur Mens plures res cognoscit secundo, & tertio cognitionis genere, eo major ejus pars remanet (per Prop. 23 & 29 hujus), & consequenter (per Prop. praeced.) eo major ejus pars non tangitur ab affectibus, qui nostrae naturae sunt contrarii, hoc est (per Prop. 30 p. 4), qui mali sunt. Quo itaque Mens plures res secundo, & tertio cognitionis genere intelligit, eo major ejus pars illaesa manet, & consequenter minus ab affectibus patitur, &c. Q.E.D.
Hinc intelligimus id, quod in Schol. Prop. 39 p. 4 attigi, & quod in hac Parte explicare promisi; nempe, quod mors eo minus est noxia, quo Mentis clara, & distincta cognitio major est, & consequenter, quo Mens magis Deum amat. Deinde, quia (per Prop. 27 hujus) ex tertio cognitionis genere summa, quae dari potest, oritur acquiescentia, hinc sequitur Mentem humanam posse ejus naturae esse, ut id, quod ejus cum corpore perire ostendimus (vide Prop. 21 hujus), in respectu ad id, quod ipsius remanet, nullius sit momenti. Sed de his mox prolixius.
Qui Corpus ad plurima aptum habet, is Mentem habet, cujus maxima pars est aeterna.
Qui Corpus ad plurima agendum aptum habet, is minime affectibus, qui mali sunt, conflictatur (per Prop. 38 p. 4), hoc est (per Prop. 30 p. 4), affectibus, qui naturae nostrae sunt contrarii, atque adeo (per Prop. 10 hujus) potestatem habet ordinandi, & concatenandi Corporis affectiones secundum ordinem ad intellectum, & consequenter efficiendi (per Prop. 14 hujus), ut omnes Corporis affectiones ad Dei ideam referantur, ex quo fiet (per Prop. 15 hujus), ut erga Deum afficiatur Amore, qui (per Prop. 16 hujus) Mentis maximam partem occupare, sive constituere debet, ac proinde (per Prop. 33 hujus) Mentem habet, cujus maxima pars est aeterna. Q.E.D.
Quia Corpora humana ad plurima apta sunt, non dubium est, quin ejus naturae possint esse, ut ad Mentes referantur, quae magnam sui, & Dei habeant cognitionem, & quarum maxima, seu praecipua pars est aeterna, atque adeo ut mortem vix timeant. Sed ut haec clarius intelligantur, animadvertendum hic est, quod nos in continua vivimus variatione, & prout in melius, sive in pejus mutamur, eo felices, aut infelices dicimur. Qui enim ex infante, vel puero in cadaver transiit, infelix dicitur, & contra id felicitati tribuitur, quod totum vitae spatium Mente sana in Corpore sano percurrere potuerimus. Et revera qui Corpus habet, ut infans, vel puer, ad paucissima aptum, & maxime pendens a causis externis, Mentem habet, quae in se sola considerata nihil fere sui, nec Dei, nec rerum sit conscia; & contra, qui Corpus habet ad plurima aptum, Mentem habet, quae in se sola considerata multum sui, & Dei, & rerum sit conscia. In hac vita igitur apprime conamur, ut Corpus infantiae in aliud, quantum ejus natura patitur, eique conducit, mutetur, quod ad plurima aptum sit, quodque ad Mentem referatur, quae sui, & Dei, & rerum plurimum sit conscia; atque ita ut id omne, quod ad ipsius memoriam, vel imaginationem refertur, in respectu ad intellectum vix alicujus sit momenti, ut in Schol. Prop. praeced. jam dixi.
Quo unaquaeque res plus perfectionis habet, eo magis agit, & minus patitur, & contra, quo magis agit, eo perfectior est.
Quo unaquaeque res perfectior est, eo plus habet realitatis (per Defin. 6 p. 2), & consequenter (per Prop. 3 p. 3 cum ejus Schol.) eo magis agit, & minus patitur; quae quidem Demonstratio inverso ordine eodem modo procedit, ex quo sequitur, ut res contra eo sit perfectior, quo magis agit. Q.E.D.
Hinc sequitur partem Mentis, quae remanet, quantacunque ea sit, perfectiorem esse reliqua. Nam pars Mentis aeterna (per Prop. 23 & 29 hujus) est intellectus, per quem solum nos agere dicimur (per Prop. 3 p. 3); illa autem, quam perire ostendimus, est ipsa imaginatio (per Prop. 21 hujus), per quam solam dicimur pati (per Prop. 3 p. 3 & gen. Affect. Defin.), atque adeo (per Prop. praeced.) illa, quantacunque ea sit, hac est perfectior. Q.E.D.
Haec sunt, quae de Mente, quatenus sine relatione ad Corporis existentiam consideratur, ostendere constitueram; ex quibus, & simul ex Prop. 21 p. 1 &. aliis apparet, quod Mens nostra, quatenus intelligit, aeternus cogitandi modus sit, qui alio aeterno cogitandi modo determinatur, & hic iterum ab alio, & sic in infinitum; ita ut omnes simul Dei aeternum, & infinitum intellectum constituant.
Quamvis nesciremus, Mentem nostram aeternam esse, Pietatem tamen, & Religionem, & absolute omnia, quae ad Animositatem, & Generositatem referri ostendimus in Quarta Parte, prima haberemus.
Primum, & unicum virtutis, seu recte vivendi rationis fundamentum (per Coroll. Prop. 22 & per Prop. 24 p. 4) est suum utile quaerere. Ad illa autem determinandum, quae ratio utilia esse dictat, nullam rationem habuimus Mentis aeternitatis, quam demum in hac Quinta Parte novimus. Quamvis igitur tum temporis ignoraverimus, Mentem esse aeternam, illa tamen, quae ad Animositatem, & Generositatem referri ostendimus, prima habuimus; atque adeo, quamvis etiam nunc hoc ipsum ignoraremus, eadem tamen rationis praescripta prima haberemus. Q.E.D.
Communis vulgi persuasio alia videtur esse. Nam plerique videntur credere, se eatenus liberos esse, quatenus libidini parere licet, & eatenus de suo jure cedere, quatenus ex legis divinae praescripto vivere tenentur. Pietatem igitur, & Religionem, & absolute omnia, quae ad animi Fortitudinem referuntur, onera esse credunt, quae post mortem deponere, & pretium servitutis, nempe Pietatis, & Religionis accipere sperant, nec hac spe sola; sed etiam, & praecipue metu, ne diris, scilicet suppliciis post mortem puniantur, inducuntur, ut ex legis divinae praescripto, quantum eorum fert tenuitas, & impotens animus, vivant; & nisi haec Spes, & Metus hominibus inessent, at contra si crederent, mentes cum corpore interire, nec restare miseris, Pietatis onere confectis, vivere longius, ad ingenium redirent, & ex libidine omnia moderari, & fortunae potius, quam sibi parere, vellent. Quae mihi non minus absurda videntur, quam si quis propterea, quod non credit, se posse bonis alimentis corpus in aeternum nutrire, venenis potius, & lethiferis se exsaturare vellet; vel quia videt Mentem non esse aeternam, seu immortalem, ideo amens mavult esse, & sine ratione vivere: quae adeo absurda sunt, ut vix recenseri mereantur.
Beatitudo non est virtutis praemium, sed ipsa virtus; nec eadem gaudemus, quia libidines coercemus; sed contra quia eadem gaudemus, ideo libidines coercere possumus.
Beatitudo in Amore erga Deum consistit (per Prop. 36 hujus, & ejus Schol.), qui quidem Amor ex tertio cognitionis genere oritur (per Coroll. Prop. 32 hujus), atque adeo hic Amor (per Prop. 59 & 3 p. 3) ad Mentem, quatenus agit, referri debet; ac proinde (per Defin. 8 p. 4) ipsa virtus est, quod erat primum. Deinde quo Mens hoc Amore divino, seu beatitudine magis gaudet, eo plus intelligit (per Prop. 32 hujus), hoc est (per Coroll. Prop. 3 hujus), eo majorem in affectus habet potentiam, & (per Prop. 38 hujus) eo minus ab affectibus, qui mali sunt, patitur; atque adeo ex eo, quod Mens hoc Amore divino, seu beatitudine gaudet, potestatem habet libidines coercendi; & quia humana potentia ad coercendos affectus in solo intellectu consistit, ergo nemo beatitudine gaudet, quia affectus coercuit; sed contra potestas libidines coercendi ex ipsa beatitudine oritur. Q.E.D.
His omnia, quae de Mentis in affectus potentia, quaeque de Mentis Libertate ostendere volueram, absolvi. Ex quibus apparet, quantum Sapiens polleat, potiorque sit ignaro, qui sola libidine agitur. Ignarus enim, praeterquam quod a causis externis, multis modis agitatur, nec unquam vera animi acquiescentia potitur, vivit praeterea sui, & Dei, & rerum quasi inscius, & simulac pati desinit, simul etiam esse desinit. Cum contra sapiens, quatenus ut talis consideratur, vix animo movetur; sed sui, & Dei, & rerum aeterna quadam necessitate conscius, nunquam esse desinit; sed semper vera animi acquiescentia potitur. Si jam via, quam ad haec ducere ostendi, perardua videatur, inveniri tamen potest. Et sane arduum debet esse, quod adeo raro reperitur. Qui enim posset fieri, si salus in promptu esset, & sine magno labore reperiri posset, ut ab omnibus fere negligeretur? Sed omnia praeclara tam difficilia, quam rara sunt.