DE L’ORIGINE ET DE LA NATURE DES AFFECTS
DE ORIGINE ET NATURA AFFECTUUM
La plupart de ceux qui ont écrit sur les affects et la conduite de la vie humaine semblent traiter non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la Nature mais de choses qui sont hors de la Nature. Mieux, ils semblent concevoir l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Ils croient, en effet, que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions une puissance absolue et ne tire que de lui-même sa détermination. Ils cherchent ensuite la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, non dans la puissance commune de la Nature, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine et, pour cette raison, pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent ou, ce qui arrive le plus souvent, la détestent : qui sait le plus éloquemment ou le plus subtilement censurer l’impuissance de l’esprit humain est tenu pour divin.
Il n’a cependant pas manqué d’hommes éminents (au labeur et à l’industrie desquels nous avouons devoir beaucoup) pour écrire sur la conduite droite de la vie beaucoup de belles choses, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais, quant à déterminer la nature et les forces des affects, et ce que peut l’esprit de son côté pour les modérer, nul, que je sache, ne l’a fait. Je sais bien que le très célèbre Descartes, bien qu’il ait cru aussi que l’esprit possède sur ses actions une puissance absolue, s’est appliqué cependant à expliquer les affects humains par leurs premières causes et à montrer en même temps par quelle voie l’esprit peut avoir sur les affects un empire absolu ; mais, à mon avis, il n’a rien montré que la pénétration de son grand esprit comme je l’établirai en son lieu.
Pour le moment je veux revenir à ceux qui aiment mieux détester ou railler les affects et les actions des hommes que les connaître. À ceux-là certes il paraîtra surprenant que j’entreprenne de traiter des vices des hommes et de leurs inepties à la manière des géomètres et que je veuille démontrer par un raisonnement rigoureux ce qu’ils ne cessent de proclamer contraire à la Raison, vain, absurde et digne d’horreur. Mais voici quelle est ma raison. Rien n’arrive dans la Nature qui puisse être attribué à un vice existant en elle ; elle est toujours la même en effet ; sa vertu et sa puissance d’agir est une et partout la même, c’est-à-dire les lois et règles de la Nature, conformément auxquelles tout arrive et changent d’une forme à une autre, sont partout et toujours les mêmes ; par suite, la voie droite pour connaître la nature des choses, quelles qu’elles soient, doit être aussi une et la même, à savoir par les lois et règles universelles de la Nature. Les affects donc de la haine, de la colère, de l’envie, etc., considérés en eux-mêmes, suivent de la même nécessité et de la même vertu de la Nature que les autres choses singulières ; en conséquence, ils reconnaissent des causes certaines, par où lesquelles on les comprend, et ont certaines propriétés tout aussi dignes de connaissance que les propriétés d’une autre chose quelconque, dont la seule considération nous donne du plaisir. Je traiterai donc de la nature des affects et de leurs forces, de la puissance de l’esprit sur eux, suivant la même méthode que dans les Parties précédentes de Dieu et de l’esprit, et je considérerai les actions et les appétits humains comme s’il était question de lignes, de surfaces ou de corps.
I. J’appelle cause adéquate celle dont l’effet peut être perçu clairement et distinctement par elle-même ; j’appelle cause inadéquate ou partielle celle dont l’effet ne peut être compris par elle seule.
II. Je dis que nous sommes actifs, quand, en nous ou hors de nous, quelque chose se fait dont nous sommes la cause adéquate, c’est-à-dire (Définition précédente) quand, en nous ou hors de nous, il suit de notre nature quelque chose qui se peut par elle seule comprendre clairement et distinctement. Au contraire, je dis que nous sommes passifs quand il se fait en nous quelque chose ou qu’il suit de notre nature quelque chose, dont nous ne sommes que la cause partielle.
III. Par affect j’entends les affections du corps par lesquelles la puissance d’agir de ce corps est accrue ou diminuée, secondée ou réfrénée, et en même temps les idées de ces affections.
Si donc nous pouvons être la cause adéquate de quelqu’une de ces affections, j’entends par affect une action ; dans les autres cas, une passion.
I. Le corps humain peut être affecté de multiples manières qui accroissent ou diminuent sa puissance d’agir et aussi en d’autres qui ne rendent sa puissance d’agir ni plus grande, ni moindre.
Ce Postulat ou Axiome s’appuie sur le Postulat 1 et les Lemmes 5 et 7 qu’on voit à la suite de la Proposition 13, p. II.
II. Le corps humain peut subir un grand nombre de modifications et retenir néanmoins les impressions ou traces des objets (voir à leur sujet Postulat 5, p. II) et conséquemment les mêmes images des choses (pour leur définition voir Scolie de la Proposition 17, p. II)..
Notre esprit est actif en certaines choses, passif en d’autres, savoir, en tant qu’il a des idées adéquates, il est nécessairement actif en certaines choses ; en tant qu’il a des idées inadéquates, il est nécessairement passif en certaines choses.
Les idées d’un esprit humain quelconque sont les unes adéquates, les autres mutilées et confuses (Scolie<s 1 et 2> de la Proposition 40, p. II). Les idées qui sont adéquates dans l’esprit de quelqu’un sont adéquates en Dieu en tant qu’il constitue l’essence de cet esprit (Corollaire de la Proposition 11, p. II), et celles qui sont inadéquates dans l’esprit sont aussi adéquates en Dieu (même Corollaire) non en tant qu’il constitue seulement l’essence de cet esprit, mais aussi en tant qu’il contient en même temps en lui les esprits d’autres choses. De plus, d’une idée quelconque supposée donnée quelque effet doit suivre nécessairement (Proposition 36, p. I), et de cet effet Dieu est cause adéquate (Définition 1) non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée supposée donnée (Proposition 9, p. II). Soit maintenant un effet dont Dieu est cause en tant qu’affecté d’une idée qui est adéquate dans l’esprit de quelqu’un ; de cet effet ce même esprit est la cause adéquate (Corollaire de la Proposition 11, p. II). Donc notre esprit (Définition 2), en tant qu’il a des idées adéquates, est nécessairement actif en certaines choses ; ce qui était le premier point.
Ensuite, pour tout ce qui suit nécessairement d’une idée qui est adéquate en Dieu non en tant qu’il a en lui l’esprit d’un certain homme seulement, mais, en même temps que lui, les esprits d’autres choses, l’esprit de cet homme n’en est pas la cause adéquate, mais seulement partielle (même Corollaire de la Proposition 11, p. II), par suite (Définition 2) l’esprit, en tant qu’il a des idées inadéquates, est passif nécessairement en certaines choses ; ce qui était le second point. Donc notre esprit, etc.
C.Q.F.D.
Il suit de là que l’esprit est soumis à d’autant plus de passions qu’il a plus d’idées inadéquates, et, au contraire, est d’autant actif plus qu’il a plus d’idées adéquates.
Ni le corps ne peut déterminer l’esprit à penser, ni l’esprit, le corps au mouvement ni au repos ni à rien d’autre (s’il en est).
Tous les modes de penser ont Dieu pour cause en tant qu’il est chose pensante, non en tant qu’il s’explique par un autre attribut (Proposition 6, p. II). Ce donc qui détermine l’esprit à penser est un mode du Penser et non de l’Étendue, c’est-à-dire (Définition 1, p. II) que ce n’est pas un corps ; ce qui était le premier point.
Ensuite, le mouvement et le repos du corps doivent venir d’un autre corps qui a lui aussi été déterminé au mouvement et au repos par un autre et, absolument parlant, tout ce qui survient dans un corps a dû venir de Dieu en tant qu’on le considère comme affecté d’un mode de l’Étendue et non d’un mode du Penser (même Proposition 6, p. II) ; c’est-à-dire ne peut venir de l’esprit qui (Proposition 11, p. II) est un mode de penser ; ce qui était le second point.
Donc ni le corps, etc. C.Q.F.D.
Ce qui précède se comprend plus clairement par ce qui a été dit dans le Scolie de la Proposition 7, Partie II, à savoir que l’esprit et le corps sont une seule et même chose qui est conçue tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Étendue. D’où vient que l’ordre ou l’enchaînement des choses est un, que la Nature soit conçue sous tel attribut ou sous tel autre ; et conséquemment que l’ordre des actions et des passions de notre corps est simultané par nature avec l’ordre des actions et des passions de l’esprit. Cela est encore évident par la façon dont nous avons démontré la Proposition 12, Partie II.
Bien que les choses soient telles qu’il ne reste aucune raison de douter à ce sujet, j’ai du mal à croire cependant qu’à moins de leur donner de ce fait une confirmation expérimentale, les hommes puissent être induits à examiner ce point d’une âme égale ; tant ils sont fermement persuadés que le corps entre tantôt en mouvement, tantôt en repos au seul geste de l’esprit, et fait un grand nombre d’actes qui dépendent de la seule volonté de l’esprit et de son art de penser. Personne, il est vrai, n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps, c’est-à-dire l’expérience n’a enseigné à personne jusqu’à présent ce que, par les seules lois de la Nature considérée en tant seulement que corporelle, le corps peut faire et ce qu’il ne peut pas faire à moins d’être déterminé par l’esprit. Personne en effet n’a jusqu’à présent connu si exactement la structure du corps qu’il ait pu en expliquer toutes les fonctions, pour ne rien dire ici de ce que l’on observe maintes fois dans les bêtes qui dépasse de beaucoup la sagacité humaine, et de ce que font très souvent les somnambules pendant le sommeil, qu’ils n’oseraient pas pendant la veille ; ce qui montre assez que le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent à son esprit de l’étonnement. Nul ne sait, en outre, de quelle manière ou par quels moyens l’esprit meut le corps, ni combien de degrés de mouvement elle peut lui imprimer et avec quelle vitesse elle peut le mouvoir. D’où suit que les hommes, quand ils disent que telle ou telle action du corps vient de l’esprit, qui a un empire sur le corps, ne savent pas ce qu’ils disent et ne font rien d’autre qu’avouer en un langage spécieux qu’ils ignorent la vraie cause de cette action sans s’en étonner.
Mais, diront-ils, qu’ils sachent ou ignorent par quels moyens l’esprit meut le corps, ils savent cependant, par expérience, que le corps serait inerte si l’esprit humain n’était apte à penser. Et ensuite ils diront qu’ils savent par expérience qu’il est également au seul pouvoir de l’esprit de parler et de se taire et bien d’autres choses qu’ils croient par suite dépendre du décret de l’esprit.
Mais, quant au premier argument, je leur demande si l’expérience n’enseigne pas aussi que, si de son côté le corps est inerte, l’esprit est en même temps inapte à penser ? Quand le corps est au repos dans le sommeil, l’esprit en effet reste endormi avec lui et n’a pas le pouvoir de penser comme pendant la veille. Ensuite, tous savent par expérience, à ce que je crois, que l’esprit n’est pas toujours également apte à penser sur un même sujet, et qu’en proportion de l’aptitude du corps à se prêter au réveil de l’image de tel ou tel objet, l’esprit est aussi plus apte à considérer tel ou tel objet.
Ils diront cependant qu’il est impossible de tirer des seules lois de la nature, considérée seulement en tant que corporelle, les causes des édifices, des peintures et des choses de cette sorte qui se font par le seul art de l’homme, et que le corps humain, s’il n’était déterminé et conduit par l’esprit, n’aurait pas le pouvoir d’édifier un temple.
Mais quant à moi j’ai déjà montré qu’ils ne savent pas ce que peut le corps ou ce qui se peut déduire de la seule considération de sa nature propre et que, très souvent, ils font eux-mêmes l’expérience que les seules lois de la Nature peuvent faire de nombreuses choses qu’ils n’auraient jamais cru possible sans la direction de l’esprit ; telles sont les actions des somnambules pendant le sommeil, qui les étonnent eux-mêmes quand ils sont éveillés. J’ajoute à cet exemple la structure même du corps humain qui surpasse de bien loin en artifice tout ce que l’art humain peut bâtir, pour ne rien dire ici de ce que j’ai montré plus haut : que de la Nature considérée sous un attribut quelconque suivent une infinité de choses.
Pour ce qui est maintenant du second argument, certes les affaires des hommes seraient en bien meilleur point s’il était également au pouvoir des hommes tant de se taire que de parler, mais, l’expérience l’a montré surabondamment, rien n’est moins au pouvoir des hommes que de tenir leur langue, et il n’est rien qu’ils puissent moins faire que de modérer leurs appétits ; et c’est pourquoi la plupart croient que nous n’agissons librement qu’à l’égard des choses où nous tendons légèrement, parce que l’appétit peut en être aisément contraint par le souvenir de quelque autre chose fréquemment rappelée ; tandis que nous ne sommes pas du tout libres quand il s’agit de choses auxquelles nous tendons avec un affect vif que le souvenir d’une autre chose ne peut apaiser. Mais en vérité s’ils ne savaient d’expérience que maintes fois nous effectuons des actes dont nous nous repentons par la suite et que souvent, quand nous sommes en proie à des affects contraires, nous voyons le meilleur et faisons le pire, rien ne les empêcherait de croire que toutes nos actions sont libres. C’est ainsi qu’un petit enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d’ébriété aussi croit dire par un libre décret de l’esprit ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, <le bavard>, l’enfant et un très grand nombre d’individus de même farine croient parler par un libre décret de l’esprit, alors cependant qu’ils ne peuvent contenir l’impulsion qu’ils ont à parler ; en sorte que l’expérience même enseigne, non moins clairement que la Raison, que les hommes se croient libres pour cette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ; et, en outre, que les décrets de l’esprit ne sont rien d’autre que les appétits eux-mêmes et varient en conséquence selon la disposition variable du corps. Chacun, en effet, soumet tout à son affect, et ceux qui, de plus, sont en proie à des affects contraires, ne savent ce qu’ils veulent ; pour ceux qui sont sans affects, ils sont poussés d’un côté ou de l’autre par le plus léger motif. Tout cela certes montre clairement qu’aussi bien le décret que l’appétit de l’esprit, et la détermination du corps sont de leur nature choses simultanées, ou plutôt sont une seule et même chose que nous appelons décret quand elle est considérée sous l’attribut de la Pensée et expliquée par lui, détermination quand elle est considérée sous l’attribut de l’Étendue et déduite des lois du mouvement et du repos, et cela se verra encore plus clairement par ce qui me reste à dire.
Il y a autre chose, en effet que je voudrais en effet que l’on observât particulièrement : c’est que nous ne pouvons rien faire par décret de l’esprit que nous n’en ayons d’abord le souvenir. Par exemple, nous ne pouvons dire un mot à moins qu’il ne nous en souvienne. D’autre part, il n’est pas au libre pouvoir de l’esprit de se souvenir d’une chose ou de l’oublier. Aussi croit-on que ce qui est au pouvoir de l’esprit, c’est seulement que nous pouvons dire ou taire suivant son seul décret la chose dont il nous souvient. Mais quand nous rêvons que nous parlons, nous croyons parler par le libre décret de l’esprit, et néanmoins nous ne parlons pas ou, si nous parlons, cela se fait par un mouvement spontané du corps. Nous rêvons aussi que nous cachons aux hommes certaines choses, et cela par le même décret de l’esprit en vertu duquel pendant la veille nous taisons ce que nous savons. Nous rêvons enfin que nous faisons par un décret de l’esprit ce que, pendant la veille, nous n’osons pas. Je voudrais bien savoir, en conséquence, s’il y a dans l’esprit deux genres de décrets, les imaginaires et les libres ? Que si l’on ne veut pas aller jusqu’à ce point d’extravagance, il faudra nécessairement accorder que ce décret de l’esprit, cru libre, ne se distingue pas de l’imagination elle-même ou de la mémoire, et n’est rien d’autre que l’affirmation nécessairement enveloppée dans l’idée en tant qu’elle est idée (voir Proposition 49, p. II). Et ainsi ces décrets de l’esprit se forment dans l’esprit avec la même nécessité que les idées des choses existant en acte. Ceux donc qui croient qu’ils parlent, ou se taisent, ou font quelque action que ce soit, par un libre décret de l’esprit, rêvent les yeux ouverts.
Les actions de l’esprit naissent des seules idées adéquates ; les passions dépendent des seules idées inadéquates.
Ce qui constitue en premier l’essence de l’esprit n’est rien d’autre que l’idée d’un corps existant en acte (Proposition 11 et 13, p. II), et cette idée (Proposition 15, p. II) est composée de beaucoup d’autres dont les unes sont adéquates (Corollaire de la Proposition 38, p. II), les autres inadéquates (Corollaire de la Proposition 29, p. II). Toute chose donc qui suit de la nature de l’esprit et dont l’esprit est la cause prochaine, par laquelle cette chose se doit comprendre, suit nécessairement d’une idée adéquate ou inadéquate. Mais, en tant que l’esprit a des idées inadéquates (Proposition 1), elle est nécessairement passive ; donc les actions de l’esprit suivent des seules idées adéquates et, pour cette raison, et l’esprit ne pâtit que parce qu’il a des idées inadéquates. C.Q.F.D.
Nous voyons donc que les passions ne se rapportent à l’esprit qu’en tant qu’il a quelque chose qui enveloppe une négation, c’est-à-dire en tant qu’on la considère comme une partie de la Nature qui ne peut être perçue clairement et distinctement par elle-même sans les autres parties ; et je pourrais, par le même raisonnement, montrer que les passions se rapportent aux choses singulières de même façon qu’à l’esprit et ne peuvent être perçues sous un autre rapport, mais mon dessein est ici de traiter seulement de l’esprit humain.
Nulle chose ne peut être détruite sinon par une cause extérieure.
Cette Proposition est évidente par elle-même, car la définition d’une chose quelconque affirme, mais ne nie pas l’essence de cette chose ; autrement dit, elle pose, mais n’ôte pas l’essence de la chose. Aussi longtemps donc que nous avons égard seulement à la chose elle-même et non à des causes extérieures, nous ne pourrons rien trouver en elle qui la puisse détruire. C.Q.F.D.
Des choses sont d’une nature contraire, c’est-à-dire ne peuvent être dans le même sujet, dans la mesure où l’une peut détruire l’autre.
Si elles pouvaient en effet convenir entre elles ou être en même temps dans le même sujet, quelque chose pourrait être donné dans ce sujet qui eût le pouvoir de le détruire, ce qui (Proposition précédente) est absurde. Donc des choses, etc. C.Q.F.D.
Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être.
Les choses singulières en effet sont des modes par où les attributs de Dieu s’expriment d’une manière certaine et déterminée (Corollaire de la Proposition 25, p. I), c’est-à-dire (Proposition 34, p. I) des choses qui expriment d’une manière certaine et déterminée la puissance de Dieu, par laquelle Dieu est et agit ; et aucune chose n’a rien en elle par quoi elle puisse être détruite, c’est-à-dire qui ôte son existence (Proposition 4) ; mais, au contraire, elle est opposée à tout ce qui peut ôter son existence (Proposition précédente) ; et ainsi, autant qu’elle peut et qu’il est en elle, elle s’efforce de persévérer dans son être. C.Q.F.D.
L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose.
De l’essence donnée d’une chose quelconque suit nécessairement quelque chose (Proposition 36, p. I), et les choses ne peuvent rien que ce qui suit nécessairement de leur nature déterminée (Proposition 29, p. I) ; donc la puissance d’une chose quelconque, ou l’effort par lequel, soit seule, soit avec d’autres choses, elle fait ou s’efforce de faire quelque chose, c’est-à-dire (Proposition 6, p. III) la puissance ou l’effort, par lequel elle s’efforce de persévérer dans son être, n’est rien en dehors de l’essence donnée ou actuelle de cette chose. C.Q.F.D.
L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être, n’enveloppe aucun temps fini, mais un temps indéfini.
Si en effet il enveloppait un temps limité qui déterminât la durée de la chose, il suivrait alors de cette seule puissance même, par où la chose existe, qu’après ce temps limité la chose ne pourrait plus exister mais devrait être détruite ; or cela (Proposition 4) est absurde ; donc l’effort par lequel la chose existe, n’enveloppe aucun temps défini ; mais, au contraire, puisque (même Proposition 4), si elle n’est détruite par aucune cause extérieure, elle continuera toujours d’exister par la même puissance par laquelle elle existe actuellement, cet effort donc enveloppe un temps indéfini. C.Q.F.D.
L’esprit, aussi bien en tant qu’il a des idées claires et distinctes, qu’en tant qu’il a des idées confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une certaine durée indéfinie et a conscience de son effort.
L’essence de l’esprit est constituée d’idées adéquates et inadéquates (comme nous l’avons montré dans la Proposition 3) ; par suite (Proposition 7), elle s’efforce de persévérer dans son être aussi bien en tant qu’elle a les unes qu’en tant qu’elle a les autres ; et cela (Proposition 8) pour quelque durée indéfinie. Puisque, d’ailleurs, l’esprit (Proposition 23, p. II), par les idées des affections du corps, est nécessairement conscient de lui-même, l’esprit est (Proposition 7) conscient de son effort. C.Q.F.D.
Cet effort, quand il se rapporte à l’esprit seul, est appelé volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l’esprit et au corps, il est nommé appétit ; lequel n’est par là rien d’autre que l’essence même de l’homme, de la nature duquel suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l’homme est ainsi déterminé à le faire.
De plus, il n’y a nulle différence entre l’appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le désir est l’appétit avec conscience de lui-même. Il est donc établi par tout cela que nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons.
Une idée qui exclut l’existence de notre corps, ne peut être donnée dans notre esprit, mais lui est contraire.
Ce qui peut détruire notre corps, ne peut être donné en lui (Proposition 5), et l’idée de cette chose ne peut être donnée en Dieu, en tant qu’il a l’idée de notre corps (Corollaire de la Proposition 9, p. II) ; c’est-à-dire (Propositions 11 et 13, p. II) l’idée de cette chose ne peut être donnée dans notre esprit ; mais, au contraire, puisque (Propositions 11 et 13, p. II) ce qui constitue en premier l’essence de notre esprit, est l’idée du corps existant en acte, ce qui est premier et principal dans l’effort de notre esprit est (Proposition 7) d’affirmer l’existence de notre corps ; et ainsi une idée qui nie l’existence de notre corps est contraire à notre esprit, etc. C.Q.F.D.
Ce qui augmente ou diminue, seconde ou réfrène la puissance d’agir de notre corps, l’idée de cette chose augmente ou diminue, seconde ou réfrène la puissance de penser de notre esprit.
Cette Proposition est évidente par la Proposition 7, p. II, ou encore par la Proposition 14, p. II.
Nous voyons donc que l’esprit peut subir de grands changements et passe tantôt à une perfection plus grande, tantôt à une moindre ; et ces passions nous expliquent les affects de joie et de tristesse. Par joie j’entendrai donc, par la suite, une passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande. Par tristesse, une passion par laquelle il passe à une perfection moindre. En outre, l’affect de joie, rapporté à la fois à l’esprit et au corps, je le nomme chatouillement ou gaieté ; celui de tristesse, douleur ou mélancolie. Il faut noter toutefois que le chatouillement et la douleur se rapportent à l’homme, quand une partie de lui est affectée plus que les autres, la gaieté et la mélancolie, quand toutes les parties sont pareillement affectées. Pour le désir j’ai expliqué ce que c’est dans le Scolie de la Proposition 9, et je ne reconnais aucun affect primaire outre ces trois. Je montrerai en effet par la suite que les autres naissent de ces trois. Avant de poursuivre, toutefois, il me paraît bon d’expliquer ici plus amplement la Proposition 10 de cette Partie , afin que l’on comprenne mieux pour quelle raison une idée est contraire à une autre.
Dans le Scolie de la Proposition 17, Partie II, nous avons montré que l’idée constituant l’essence de l’esprit enveloppe l’existence du corps aussi longtemps que le corps lui-même existe. De plus, de ce que nous avons fait voir dans le Corollaire et dans le Scolie de la Proposition 8, Partie II, il suit que l’existence présente de notre esprit dépend de cela seul, à savoir de ce que l’esprit enveloppe l’existence actuelle du corps. Nous avons montré enfin que la puissance de l’esprit par laquelle il imagine les choses et s’en souvient, dépend de cela aussi (Propositions 17 et 18, p. II, avec son Scolie) qu’il enveloppe l’existence actuelle du corps. D’où il suit que l’existence présente de l’esprit et sa puissance d’imaginer sont ôtées, sitôt que l’esprit cesse d’affirmer l’existence présente du corps. Mais la cause pour quoi l’esprit cesse d’affirmer cette existence du corps, ne peut être l’esprit lui-même (Proposition 4) et n’est pas non plus que le corps cesse d’exister. Car (Proposition 6, p. II) la cause pour quoi l’esprit affirme l’existence du corps, n’est pas que le corps a commencé d’exister ; donc, pour la même raison, il ne cesse pas d’affirmer l’existence du corps parce que le corps cesse d’être ; mais (Proposition 8, p. II) cela provient d’une autre idée qui exclut l’existence présente de notre corps et, conséquemment, celle de notre esprit et qui est, par suite, contraire à l’idée constituant l’essence de notre esprit.
L’esprit, autant qu’il peut, s’efforce d’imaginer ce qui accroît ou seconde la puissance d’agir du corps.
Aussi longtemps que le corps humain est affecté d’une manière qui enveloppe la nature d’un corps extérieur, l’esprit humain considérera ce même corps comme présent (Proposition 17, p. II), et en conséquence (Proposition 17, p. II) aussi longtemps que l’esprit humain considère un corps extérieur comme présent, c’est-à-dire l’imagine (même Proposition 17, scolie), le corps humain est affecté d’une manière qui enveloppe la nature de ce même corps extérieur. Aussi longtemps donc que l’esprit imagine ce qui accroît ou seconde la puissance d’agir de notre corps, le corps est affecté de manières d’être qui accroissent ou secondent sa puissance d’agir (Postulat 1), et en conséquence (Proposition 11) aussi longtemps la puissance de penser de l’esprit, est accrue ou secondée ; et, par suite, (Proposition 6 ou 9) l’esprit, autant qu’il peut, s’efforce d’imaginer une telle chose. C.Q.F.D.
Quand l’esprit imagine ce qui diminue ou réfrène la puissance d’agir du corps, il s’efforce, autant qu’il peut, de se souvenir de choses qui excluent l’existence de ce qu’il imagine.
Aussi longtemps que l’esprit imagine quelque chose de tel, la puissance de l’esprit et du corps est diminuée ou réfrénée (comme nous l’avons démontré dans la Proposition précédente) ; et, néanmoins, il imaginera cette chose jusqu’à ce qu’il en imagine une autre qui exclue l’existence présente de la première (Proposition 17, p. II) ; c’est-à-dire (comme nous venons de le montrer) la puissance de l’esprit et du corps est diminuée ou réfrénée jusqu’à ce que l’esprit imagine une autre chose qui exclut l’existence de celle qu’il imagine ; il s’efforcera donc (Proposition 9, p. III), autant qu’il peut, d’imaginer cette autre chose ou de s’en souvenir. C.Q.F.D.
Il suit de là que l’esprit a en aversion d’imaginer ce qui diminue ou réfrène sa propre puissance d’agir et celle du corps.
Nous comprenons clairement par là ce qu’est l’amour et ce qu’est la haine. L’amour, dis-je, n’est rien d’autre que la joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ; et la haine n’est rien d’autre que la tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure.
Nous voyons ensuite que celui qui aime, s’efforce nécessairement d’avoir présente et de conserver la chose qu’il aime ; et au contraire celui qui hait s’efforce d’écarter et de détruire la chose qu’il a en haine. Mais il sera traité plus amplement de tout cela par la suite.
Si l’esprit a été affecté une fois de deux affects en même temps, lorsque plus tard il sera affecté de l’un, il sera affecté aussi de l’autre.
Si une première fois le corps humain a été affecté en même temps par deux corps, sitôt que plus tard l’esprit imagine l’un, il se souviendra aussitôt de l’autre (Proposition 18, p. II). Mais les imaginations de l’esprit indiquent plutôt les affects de notre corps que la nature des corps extérieurs (Corollaire 2 de la Proposition 16, p. II) ; donc si le corps et conséquemment l’esprit ont été affectés une fois de deux affects en même temps, lorsque plus tard ils le seront de l’un d’eux, ils le seront aussi de l’autre. C.Q.F.D.
Une chose quelconque peut être par accident cause de joie, de tristesse ou de désir.
Supposons que l’esprit soit affecté en même temps de deux affects, dont l’un n’accroît ni ne diminue sa puissance d’agir et dont l’autre ou l’accroît ou la diminue (voir Postulat 1). Il est évident par la Proposition précédente que, si l’esprit plus tard vient à être affecté du premier par sa vraie cause, laquelle (suivant l’hypothèse) n’accroît par elle-même ni ne diminue la puissance de penser de l’esprit, il sera aussitôt affecté aussi du second, lequel accroît ou diminue sa puissance de penser, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) qu’il sera affecté de joie ou de tristesse ; et, par suite, cette chose sera, non par elle-même, mais par accident, cause de joie ou de tristesse. Et l’on peut de la même façon montrer aisément que cette chose peut par accident être cause d’un désir. C.Q.F.D.
Par cela seul que nous avons considéré une chose avec un affect de joie ou de tristesse dont elle n’est pas la cause efficiente, nous pouvons l’aimer ou l’avoir en haine.
Par cela seul en effet il arrive (Proposition 14) que l’esprit, en imaginant cette chose plus tard, éprouve un affect de joie, ou de tristesse, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) que la puissance de l’esprit et du corps soit accrue ou diminuée, etc. ; et conséquemment (Proposition 12) que l’esprit désire l’imaginer ou (Corollaire de la Proposition 13) ait en aversion de l’imaginer ; c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) l’aime ou l’ait en haine. C.Q.F.D.
Nous connaissons par là comment il peut arriver que nous aimions certaines choses ou les ayons en haine sans aucune cause de nous connue, mais seulement par sympathie (comme on dit) ou par antipathie. Et il faut y ramener aussi ces objets qui nous affectent de joie ou de tristesse par cela seul qu’ils ont quelque trait de ressemblance avec des objets nous affectant habituellement de ces mêmes affects, ainsi que je le montrerai dans la Proposition suivante. Je sais bien que les auteurs qui, les premiers, ont introduit ces noms de sympathie et d’antipathie, ont voulu signifier par là certaines qualités occultes des choses ; je crois néanmoins qu’il nous est permis d’entendre par ces mots des qualités connues ou même manifestes.
Par cela seul que nous imaginons qu’une chose a quelque trait de ressemblance avec un objet affectant habituellement l’esprit de joie ou de tristesse, bien que ce en quoi cette chose ressemble à cet objet ne soit pas la cause efficiente de ces affects, nous aimerons cependant cette chose ou l’aurons en haine.
Nous avons considéré avec un affect de joie ou de tristesse dans l’objet lui-même (par hypothèse) le trait de ressemblance qu’a la chose avec l’objet ; par suite (Proposition 14), sitôt que l’esprit sera affecté de l’image de ce trait, il sera aussi affecté de l’un ou l’autre de ces affects, et en conséquence la chose dont nous percevons qu’elle a ce trait, sera par accident (Proposition 15) cause de joie ou de tristesse ; et ainsi (Corollaire précédent) nous l’aimerons ou l’aurons en haine, bien que ce trait par où elle ressemble à l’objet, ne soit pas la cause efficiente de ces affects. C.Q.F.D.
Si nous imaginons qu’une chose qui a coutume de nous affecter d’un affect de tristesse a quelque trait de ressemblance avec une autre qui a coutume de nous affecter d’un affect de joie également grand, nous l’aurons en haine et l’aimerons en même temps.
Cette chose est, en effet (par hypothèse), cause de tristesse par elle-même et (Scolie de la Proposition 13), en tant que nous l’imaginons affectés de la sorte, nous l’avons en haine ; et de plus, en tant que nous imaginons qu’elle a quelque trait de ressemblance avec une autre qui a coutume de nous affecter d’un affect de joie également grand, nous l’aimerons d’un élan de joie également grand (Proposition précédente) ; nous l’aurons donc en haine et l’aimerons en même temps. C.Q.F.D.
Cet état de l’esprit, qui naît de deux affects contraires, s’appelle fluctuation de l’âme ; lequel par suite est à l’égard de l’affect ce que le doute est à l’égard de l’imagination (voir Scolie de la Proposition 44, p. II), et il n’y a de différence entre la fluctuation de l’âme et le doute que du plus au moins. Mais il faut noter que, si j’ai dans la Proposition précédente déduit les fluctuations de l’âme de causes qui produisent l’un des deux affects par elles-mêmes, l’autre par accident, je l’ai fait parce que les propositions précédentes rendaient ainsi la déduction plus aisée ; mais je ne nie pas que les fluctuations de l’âme ne naissent le plus souvent d’un objet qui est cause efficiente de l’un et l’autre affects. Le corps humain en effet est composé (Postulat 1, p. II) d’un très grand nombre d’individus de nature différente, et, par suite (voir l’Axiome 1 venant après le Lemme 3 qui suit la Proposition 13, p. II), il peut être affecté par un seul et même corps de manières très nombreuses et diverses ; et inversement, comme une seule et même chose peut être affectée de beaucoup de manières, elle pourra aussi affecter une seule et même partie du corps de manières multiples et diverses. Par où nous pouvons facilement concevoir qu’un seul et même objet peut être cause d’affects multiples et contraires.
L’homme est affecté par l’image d’une chose passée ou future du même affect de joie ou de tristesse que par l’image d’une chose présente.
Aussi longtemps que l’homme est affecté de l’image d’une chose, il la considérera comme présente encore qu’elle n’existe pas (Proposition 17, p. II, avec son Corollaire), et il ne l’imagine comme passée ou future qu’en tant que l’image en est jointe à l’image du temps passé ou futur (voir Scolie de la Proposition 44, p. II) ; considérée en elle seule, l’image d’une chose est donc la même, soit qu’on la rapporte au futur ou au passé, soit qu’on la rapporte au présent ; c’est-à-dire (Corollaire 2 de la Proposition 16, p. II) l’état du corps, ou son affect, est le même, que l’image soit celle d’une chose passée ou future, ou qu’elle soit celle d’une chose présente ; et, par suite, l’affect de joie et de tristesse sera le même, que l’image soit celle d’une chose passée ou future, ou celle d’une chose présente. C.Q.F.D.
J’appelle ici une chose passée ou future, en tant que nous avons été ou serons affectés par elle. Par exemple en tant que nous l’avons vue ou la verrons, qu’elle a servi à notre réfection ou y servira, nous a causé du dommage ou nous en causera, etc. En tant que nous l’imaginons ainsi, en effet, nous en affirmons l’existence ; c’est-à-dire que le corps n’est affecté d’aucun affect qui exclue l’existence de la chose, et ainsi (Proposition 17, p. II) le corps est affecté par l’image de cette chose de la même manière que si elle était présente. Comme, toutefois, il arrive la plupart du temps que les personnes ayant déjà fait plus d’une expérience, pendant le temps qu’elles considèrent une chose comme future ou passée, sont flottantes et en tiennent le plus souvent l’issue pour douteuse (voir Scolie de la Proposition 44, p. II), il en résulte que les affects nés de semblables images ne sont pas aussi constants et sont le plus souvent troublés par des images d’autres choses, jusqu’à ce que les hommes aient acquis quelque certitude au sujet de l’issue de la chose.
Nous comprenons par ce qui vient d’être dit ce que sont l’espoir, la crainte, la sécurité, le désespoir, l’épanouissement et le remords de conscience. L’espoir en effet n’est rien d’autre qu’une joie inconstante née de l’image d’une chose future ou passée dont nous doutons de l’issue. La crainte, au contraire, est une tristesse inconstante née elle aussi de l’image d’une chose douteuse. Si maintenant de ces affects on ôte le doute, l’espoir devient la sécurité, et la crainte le désespoir ; j’entends une joie ou une tristesse née de l’image d’une chose qui nous a affectés de crainte ou d’espoir. L’épanouissement ensuite est une joie née de l’image d’une chose passée dont nous avons douté de l’issue. Le remords de conscience enfin est la tristesse opposée à l’épanouissement.
Qui imagine que ce qu’il aime est détruit, sera contristé ; et joyeux, s’il l’imagine conservé.
L’esprit, autant qu’il peut, s’efforce d’imaginer ce qui accroît ou seconde la puissance d’agir du corps (Proposition 12), c’est-à-dire (Scolie de la même Proposition) ce qu’il aime. Mais l’imagination est secondée par ce qui pose l’existence de la chose, et réfrénée au contraire par ce qui l’exclut (Proposition 17, p. II) ; donc les images des choses qui posent l’existence de la chose aimée secondent l’effort de l’esprit par lequel il s’efforce de l’imaginer, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) affectent l’esprit de joie ; et, au contraire, les choses qui excluent l’existence de la chose aimée réfrènent ce même effort de l’esprit, c’est-à-dire (même Scolie) affectent l’esprit de tristesse. Qui donc imagine que ce qu’il aime est détruit, sera contristé, etc. C.Q.F.D.
Qui imagine que ce qu’il a en haine est détruit, sera joyeux.
L’esprit (Proposition 13) s’efforce d’imaginer ce qui exclut l’existence des choses par lesquelles la puissance d’agir du corps est diminuée ou réfrénée ; c’est-à-dire (Scolie de la même Proposition) qu’il s’efforce d’imaginer ce qui exclut l’existence des choses qu’il a en haine ; et ainsi l’image d’une chose qui exclut l’existence de ce que l’esprit a en haine, seconde cet effort de l’esprit, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) l’affecte de joie. Qui donc imagine que ce qu’il a en haine est détruit, sera joyeux. C.Q.F.D.
Qui imagine ce qu’il aime affecté de joie ou de tristesse, sera aussi affecté de joie ou de tristesse et l’un et l’autre affects seront plus grands ou moindres dans l’amant, selon qu’ils le seront dans la chose aimée.
Les images des choses (comme nous l’avons montré dans la Proposition 19) qui posent l’existence de la chose aimée, secondent l’effort de l’esprit par lequel il s’efforce d’imaginer la chose aimée elle-même. Mais la joie pose l’existence de la chose joyeuse, et cela d’autant plus que l’affect de joie est plus grand, car elle est (Scolie de la Proposition 11) un passage à une perfection plus grande ; donc l’image de la joie de la chose aimée seconde dans l’amant l’effort de l’esprit, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) affecte l’amant de joie, et cela d’autant plus que cet affect aura été plus grand dans la chose aimée. Ce qui était le premier point.
Ensuite, en tant qu’une chose est affectée de tristesse, elle est dans cette mesure détruite, et cela d’autant plus qu’elle est affectée d’une tristesse plus grande (Scolie de la Proposition 11) ; et ainsi (Proposition 19) qui imagine que ce qu’il aime est affecté de tristesse, sera affecté lui aussi de tristesse, et cela d’autant plus que cet affect aura été plus grand dans la chose aimée. C.Q.F.D.
Si nous imaginons que quelqu’un affecte de joie la chose que nous aimons, nous serons affectés d’amour à son égard. Si, au contraire, nous imaginons qu’il l’affecte de tristesse, nous serons au contraire affectés nous aussi de haine contre lui.
Qui affecte de joie ou de tristesse la chose que nous aimons, il nous affecte aussi de joie ou de tristesse, si bien sûr nous imaginons la chose aimée affectée de cette joie ou de cette tristesse (Proposition précédente). Mais cette joie ou cette tristesse est supposée donnée en nous accompagnée de l’idée d’une cause extérieure ; donc (Scolie de la Proposition 13), si nous imaginons que quelqu’un affecte de joie ou de tristesse la chose que nous aimons, nous serons affectés d’amour ou de haine à son égard. C.Q.F.D.
La Proposition 21 nous explique ce qu’est la commisération, que nous pouvons définir comme la tristesse née du dommage d’autrui. Pour la joie née du bien d’autrui, je ne sais de quel nom il faut l’appeler. Nous appellerons, en outre, faveur l’amour qu’on a pour celui qui a fait du bien à autrui et, au contraire, indignation la haine qu’on a pour celui qui a fait du mal à autrui. Il faut noter enfin que nous n’avons pas seulement de la commisération pour une chose que nous avons aimée (comme nous l’avons montré dans la Proposition 21), mais aussi pour une chose à l’égard de laquelle nous n’avons eu d’affect d’aucune sorte pourvu que nous la jugions semblable à nous (comme je le ferai voir plus bas). Et, par suite, nous voyons aussi avec faveur celui qui a fait du bien à notre semblable, et sommes indignés contre celui qui lui a porté dommage.
Qui imagine affecté de tristesse ce qu’il a en haine, sera joyeux ; si, au contraire, il l’imagine affecté de joie, il sera contristé ; et l’un et l’autre affects seront plus grands ou moindres, selon que l’affect contraire sera plus grand ou moindre dans la chose haïe.
Dans la mesure où une chose odieuse est affectée de tristesse, elle est dans cette mesure détruite et cela d’autant plus qu’elle est affectée d’une tristesse plus grande (Scolie de la Proposition 11). Qui donc (Proposition 20) imagine affectée de tristesse la chose qu’il a en haine, sera au contraire affecté de joie ; et cela d’autant plus qu’il imagine la chose odieuse affectée d’une tristesse plus grande ; ce qui était le premier point.
Ensuite la joie pose l’existence de la chose joyeuse (Scolie de la Proposition 11), et cela d’autant plus que la joie est conçue plus grande. Si quelqu’un imagine affectée de joie la chose qu’il a en haine, cette imagination (Proposition 13), réfrénera son effort, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) que celui éprouve la haine sera affecté de tristesse, etc. C.Q.F.D.
Cette joie ne peut guère être solide et sans conflit intérieur. Car (comme je vais le montrer bientôt dans la Proposition 27), en tant qu’on imagine affectée d’un affect de tristesse une chose semblable à soi, on doit dans cette mesure être contristé ; et inversement, si on l’imagine affectée de joie. Mais nous n’avons égard ici qu’à la haine.
Si nous imaginons que quelqu’un affecte de joie une chose que nous avons en haine, nous serons affectés de haine à son égard. Si, au contraire, nous imaginons qu’il l’affecte de tristesse, nous serons affectés d’amour à son égard.
Cette Proposition se démontre de la même manière que la Proposition 22 ci-dessus.
Ces affects de haine et ceux qui leur ressemblent, se rapportent à l’envie, qui n’est donc rien d’autre que la haine même, en tant qu’on la considère comme disposant un homme à s’épanouir du mal d’autrui, et à se contrister au contraire de son bien.
Nous nous efforçons d’affirmer de nous et de la chose aimée tout ce que nous imaginons nous affecter ou affecter la chose aimée de joie ; et, au contraire, de nier tout ce que nous imaginons nous affecter ou affecter la chose aimée de tristesse.
Ce que nous imaginons affecter la chose aimée de joie ou de tristesse, nous affecte de joie ou de tristesse (Proposition 21). Mais l’esprit (Proposition 12) s’efforce, autant qu’il peut, d’imaginer ce qui nous affecte de joie, c’est-à-dire (Proposition 17, p. II et son Corollaire) de le considérer comme présent ; et, au contraire (Proposition 13), d’exclure l’existence de ce qui nous affecte de tristesse ; nous nous efforçons donc d’affirmer de nous et de la chose aimée tout ce que nous imaginons nous affecter ou affecter la chose aimée de joie, et inversement. C.Q.F.D.
Nous nous efforçons d’affirmer d’une chose que nous avons en haine, tout ce que nous imaginons l’affecter de tristesse, et, au contraire, de nier tout ce que nous imaginons l’affecter de joie.
Cette Proposition suit de la Proposition 23, comme la précédente de la Proposition 21.
Nous voyons par là qu’il arrive facilement que l’homme fasse cas de lui-même et de la chose aimée plus qu’il n’est juste et, au contraire, de la chose qu’il hait moins qu’il n’est juste ; cette imagination, quand elle concerne l’homme lui-même qui fait de lui plus de cas qu’il n’est juste, s’appelle orgueil, et est une espèce de délire, puisque l’homme rêve les yeux ouverts qu’il peut tout ce qu’il atteint par sa seule imagination, et qu’il considère pour cette raison comme réel et qui le transporte de joie, aussi longtemps qu’il ne peut imaginer ce qui en exclut l’existence et détermine sa propre puissance d’agir. L’orgueil donc est une joie née de ce que l’homme fait de lui-même plus de cas qu’il n’est juste. La joie ensuite, qui naît de ce que l’homme fait d’un autre plus de cas qu’il n’est juste, s’appelle surestime ; et enfin mésestime, celle qui naît de ce qu’il fait d’un autre moins de cas qu’il n’est juste.
De ce que nous imaginons qu’une chose semblable à nous, et que nous n’avons poursuivie d’aucun affect, est affectée de quelque affect, nous sommes par cela même affecté d’un affect semblable.
Les images des choses sont des affections du corps humain dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents (Scolie de la Proposition 17, p. II), c’est-à-dire (Proposition 16, p. II) dont les idées enveloppent la nature de notre corps et en même temps la nature présente d’un corps extérieur. Si donc la nature d’un corps extérieur est semblable à la nature de notre corps, alors l’idée du corps extérieur que nous imaginons, enveloppera une affection de notre corps semblable à celle du corps extérieur ; et, conséquemment, si nous imaginons quelqu’un de semblable à nous affecté de quelque affect, cette imagination exprimera une affection de notre corps semblable à cet affect. Par cela même donc que nous imaginons qu’une chose semblable à nous est affectée de quelque affect, nous sommes affectés d’un affect semblable au sien.
Que si, au contraire, nous avions en haine une chose semblable à nous, nous serons affectés (Proposition 23) dans cette mesure d’un affect contraire au sien et non semblable. C.Q.F.D.
Cette imitation des affects, quand elle se rapporte à la tristesse, s’appelle commisération (voir Scolie de la Proposition 22) ; mais, rapportée au désir, elle devient l’émulation qui n’est donc rien d’autre que le désir d’une chose qui est engendré en nous de ce que nous imaginons que d’autres êtres semblables à nous en ont le désir.
Si nous imaginons que quelqu’un, que nous ne poursuivions d’aucun affect, affecte de joie une chose semblable à nous, nous serons affectés d’amour envers lui. Si, au contraire, nous imaginons qu’il l’affecte de tristesse, nous serons au contraire affectés de haine envers lui.
Cela se démontre par la Proposition précédente de même manière que la Proposition 22 par la Proposition 21.
La chose qui nous inspire de la commisération, nous ne pouvons l’avoir en haine à cause de la tristesse dont sa misère nous affecte.
Si en effet nous pouvions l’avoir en haine à cause de cela, alors (Proposition 23) nous serions joyeux de sa tristesse, ce qui est contre l’hypothèse.
La chose qui nous inspire de la commisération, nous nous efforcerons, autant que nous pouvons, de la délivrer de sa misère.
Ce qui affecte de tristesse l’objet qui nous inspire de la commisération, nous affecte aussi d’une tristesse semblable (Proposition précédente) ; par suite, nous nous efforcerons de nous rappeler tout ce qui ôte l’existence de cette chose ou la détruit (Proposition 13), c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 9) nous aurons l’appétit de le détruire, autrement dit serons déterminés à le détruire ; et par suite nous nous efforcerons de délivrer de sa misère l’objet qui nous inspire de la commisération. C.Q.F.D.
Cette volonté ou cet appétit de faire du bien qui naît de notre commisération à l’égard de la chose à laquelle nous voulons faire du bien, s’appelle bienveillance, laquelle par suite n’est rien d’autre qu’un désir né de la commisération. Au sujet d’ailleurs de l’amour et de la haine pour celui qui fait du bien ou du mal à la chose que nous imaginons semblable à nous, voir Scolie de la Proposition 22.
Tout ce que nous imaginons conduire à la joie, nous nous efforçons d’en procurer la venue ; mais ce que nous imaginons lui être contraire ou conduire à la tristesse, nous nous efforçons de l’écarter ou de le détruire.
Ce que nous imaginons conduire à la joie, nous nous efforçons, autant que nous pouvons, de l’imaginer (Proposition 12), c’est-à-dire (Proposition 17, p. II) nous nous efforcerons, autant que nous pouvons, de le considérer comme présent ou comme existant en acte. Mais l’effort de l’esprit ou la puissance qu’il a en pensant est par nature égal et simultané à l’effort du corps ou la puissance qu’il a en agissant (comme il suit clairement du Corollaire de la Proposition 7 et du Corollaire de la Proposition 11, p. II). Donc, nous faisons effort absolument parlant pour que cette chose existe, c’est-à-dire (ce qui revient au même d’après le Scolie de la Proposition 9) nous en avons l’appétit et y tendons ; ce qui était le premier point.
Ensuite, si nous imaginons que ce que nous croyons être cause de tristesse, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) si nous imaginons que ce que nous avons en haine est détruit, nous serons joyeux (Proposition 20) ; et par suite, nous nous efforcerons de le détruire (par la première partie de cette démonstration), c’est-à-dire (Proposition 13) de l’écarter de nous, afin de ne le point considérer comme présent ; ce qui était le second point.
Donc tout ce que <nous imaginons conduire> à la joie, etc. C.Q.F.D.
Nous nous efforcerons aussi de faire tout ce que nous imaginons que les hommes (NB : Comprenez ici et dans ce qui suit les hommes que nous n’avons poursuivis d’aucun affect) regardent avec joie, et au contraire nous aurons en aversion de faire ce que nous imaginons que les hommes ont en aversion.
Du fait que nous imaginons que les hommes aiment une chose ou l’ont en haine, par cela même nous l’aimerons ou l’aurons en haine (Proposition 27), c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) par cela même la présence de cette chose nous rendra joyeux ou nous contristera ; et par suite (Proposition précédente), tout ce que nous imaginons que les hommes aiment, autrement dit regardent avec joie, nous nous efforcerons de le faire, etc.
C.Q.F.D.
Cet effort pour faire une chose et aussi pour nous en abstenir dans le seul but de plaire aux hommes s’appelle ambition, surtout quand nous nous efforçons de plaire au vulgaire avec une propension telle que nous agissons ou nous abstenons à notre propre dommage ou à celui d’autrui ; autrement on a coutume de l’appeler humanité. J’appelle ensuite louange la joie que nous éprouvons à imaginer l’action d’autrui par laquelle il s’est efforcé de nous être agréable, et blâme la tristesse que nous éprouvons quand nous avons au contraire l’action d’autrui en aversion.
Si quelqu’un a fait quelque chose qu’il imagine affecter les autres de joie, il sera affecté d’une joie qu’accompagnera l’idée de lui-même comme cause ; autrement dit il se considérera lui-même avec joie. S’il a fait au contraire quelque chose qu’il imagine affecter les autres de tristesse, il se considérera au contraire lui-même avec tristesse.
Qui imagine qu’il affecte les autres de joie ou de tristesse, sera, par cela même (Proposition 27) affecté de joie ou de tristesse. Or, puisque l’homme (Propositions 19 et 23, p. II) a conscience de lui-même par les affections par lesquelles il est déterminé à agir, celui donc qui a fait quelque chose que lui-même imagine affecter les autres de joie, sera affecté de joie avec conscience de lui-même comme cause, c’est-à-dire se considérera lui-même avec joie, et inversement. C.Q.F.D.
L’amour étant une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure (Scolie de la Proposition 13), et la haine une tristesse qu’accompagne aussi l’idée d’une cause extérieure, cette joie et cette tristesse seront donc une espèce d’amour et de haine. Comme, toutefois, l’amour et la haine se rapportent à des objets extérieurs, nous désignerons ici ces affects par d’autres noms ; nous appellerons gloire une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure, et honte la tristesse contraire ; comprenez quand la joie et la tristesse naissent de ce que l’homme se croit loué ou blâmé. Dans d’autres cas, j’appellerai contentement de soi la joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure, et repentir la tristesse opposée à cette joie.
Ensuite, comme il peut arriver (Corollaire de la Proposition 17, p. II) que la joie dont quelqu’un imagine qu’il affecte les autres soit seulement imaginaire, et que (Proposition 25) chacun s’efforce d’imaginer au sujet de lui-même tout ce qu’il imagine qui l’affecte de joie, il pourra donc facilement arriver que le glorieux soit orgueilleux et s’imagine être agréable à tous alors qu’il est insupportable à tous.
Si nous imaginons que quelqu’un aime, ou désire, ou a en haine ce que nous-même aimons, désirons, ou avons en haine, notre amour, etc., deviendra par cela même plus constant. Si, au contraire, nous imaginons qu’il a en aversion ce que nous aimons, ou inversement, alors nous pâtirons de la fluctuation de l’âme.
De cela seul que nous imaginons que quelqu’un aime quelque chose, nous aimerons cette chose par cela même (Proposition 27). Mais nous supposons que nous l’aimons sans cela, à cet amour s’ajoute donc une cause nouvelle, par laquelle il est alimenté ; et, par suite, nous l’aimerons par cela même de façon plus constante.
Ensuite, si nous imaginons que quelqu’un a quelque chose en aversion, nous aurons cette chose en aversion ( même Proposition). Mais si nous supposons qu’au même moment nous l’aimons, nous aurons donc au même moment pour cette même chose de l’amour et de l’aversion, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 17) que nous pâtirons de la fluctuation de l’âme. C.Q.F.D.
Il suit de là et de la Proposition 28 que chacun, autant qu’il peut, fait effort pour que chacun aime ce qu’il aime lui-même et haïsse aussi ce qu’il a lui-même en haine ; d’où ce mot du Poète :
Amants, nous voulons pareillement espérer et craindre ;
Cœur de pierre, qui aime avec l’aval d’un autre.
Cet effort pour faire que chacun approuve l’objet de notre amour et de notre haine, est, en réalité, de l’ambition (voir Scolie de la Proposition 29) ; nous voyons ainsi que chacun a, de nature, l’appétit de voir vivre les autres selon sa propre complexion, et, comme tous ont pareil appétit, ils se font pareillement obstacle l’un à l’autre, et comme tous veulent être loués ou aimés par tous, on en vient à une haine mutuelle.
Si nous imaginons que quelqu’un s’épanouit d’une chose qu’un seul peut posséder, nous nous efforcerons de faire qu’il n’en ait plus la possession.
Par cela seul que nous imaginons que quelqu’un s’épanouit de quelque chose (Proposition 27 avec son Corollaire 1), nous aimerons cette chose et désirerons nous en épanouir. Mais (par hypothèse) nous imaginons que l’obstacle à cette joie vient de ce qu’un autre s’en épanouit ; nous ferons donc effort (Proposition 28) pour qu’il n’en ait plus la possession. C.Q.F.D.
Nous voyons ainsi que la nature des hommes est telle en général qu’ils ont de la commisération pour ceux qui sont malheureux et envient ceux qui sont heureux, et (Proposition précédente) avec une haine d’autant plus grande qu’ils aiment davantage ce qu’ils imaginent dans la possession d’un autre.
Nous voyons ensuite que la même propriété de la nature humaine d’où suit qu’ils sont miséricordieux, fait aussi qu’ils sont envieux et ambitieux.
Enfin, si nous voulons consulter l’expérience, nous verrons d’expérience qu’elle nous enseigne tout cela, surtout si nous avons égard à nos premières années. L’expérience nous montre en effet que les enfants, dont le corps est continuellement comme en équilibre, rient ou pleurent par cela seul qu’ils voient d’autres personnes rire ou pleurer, et tout ce qu’ils voient faire par autrui, ils <veulent> aussitôt l’imiter, et ils désirent enfin pour eux-mêmes tout ce à quoi ils imaginent que d’autres prennent plaisir ; c’est qu’en effet, nous l’avons dit, les images des choses sont les affections mêmes du corps humain, c’est-à-dire les manières dont ce corps est affecté par les causes extérieures et disposé à faire ceci ou cela.
Quand nous aimons une chose semblable à nous, nous nous efforçons, autant que nous pouvons, de faire qu’elle nous aime en retour.
Une chose que nous aimons par-dessus les autres, nous nous efforçons, autant que nous pouvons, de l’imaginer (Proposition 12). Si donc la chose nous est semblable, nous nous efforcerons de l’affecter de joie par-dessus les autres (Proposition 29), autrement dit nous nous efforcerons, autant que nous pouvons, de faire que la chose aimée soit affectée d’une joie qu’accompagne l’idée de nous-mêmes, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) qu’elle nous aime en retour. C.Q.F.D.
Plus grand est l’affect que nous imaginons que la chose aimée éprouve à notre égard, plus nous nous glorifierons.
Nous faisons effort, autant que nous pouvons (Proposition précédente), pour faire que la chose aimée nous aime en retour ; c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) pour que la chose aimée soit affectée d’une joie qu’accompagne l’idée de nous-mêmes. Plus grande donc est la joie dont nous imaginons que la chose est affectée à cause de nous, plus cet effort est secondé, c’est-à-dire (Proposition 11 avec son Scolie) plus grande est la joie dont nous sommes affectés. Mais, puisque notre joie provient de ce que nous avons affecté de joie un de nos semblables, nous nous considérons nous-même avec joie (Proposition 30) : donc, plus grand est l’affect que nous imaginons que la chose aimée éprouve à notre égard, plus grande est la joie avec laquelle nous nous considérerons nous-mêmes, c’est-à-dire plus nous nous glorifierons. C.Q.F.D.
Si quelqu’un imagine qu’un autre s’attache la chose aimée par le même lien d’Amitié, ou un plus étroit, que celui par lequel il l’avait seul en sa possession, il sera affecté de haine envers la chose aimée elle-même, et sera envieux de l’autre.
Plus grand est l’amour dont quelqu’un imagine la chose aimée affectée à son égard, plus il se glorifiera (Proposition précédente), c’est-à-dire sera joyeux ( Scolie de la Proposition 30) ; il s’efforcera donc (Proposition 28), autant qu’il peut, d’imaginer la chose aimée attachée à lui le plus étroitement possible ; et cet effort ou cet appétit est encore alimenté s’il imagine qu’un autre désire pour lui la même chose (Proposition 31). Mais on suppose cet effort ou appétit réfréné par l’image de la chose aimée elle-même, accompagnée de l’image de celui qu’elle se joint ; il sera donc (Scolie de la Proposition 11) par cela même affecté d’une tristesse qu’accompagne comme cause l’idée de la chose aimée, et en même temps l’image d’un autre ; c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) il sera affecté de haine envers la chose aimée et en même temps envers cet autre (Corollaire de la Proposition 15), auquel il portera envie parce qu’il tire du plaisir de la chose aimée (Proposition 23). C.Q.F.D.
Cette haine envers une chose aimée jointe à l’envie s’appelle jalousie, et ainsi la jalousie n’est rien d’autre qu’une fluctuation de l’âme née de ce qu’il y a amour et haine en même temps avec accompagnement de l’idée d’un autre auquel on porte envie. De plus, cette haine envers la chose aimée est plus grande à proportion de la joie dont le jaloux avait coutume d’être affecté par l’amour que lui rendait la chose aimée, et à proportion aussi de l’affect dont il était affecté à l’égard de celui qu’il imagine que la chose aimée se joint. Car, s’il le haïssait, par cela même (Proposition 24), il aura en haine la chose aimée, puisqu’il l’imagine affectant de joie ce qui lui est odieux ; et aussi (Corollaire de la Proposition 15) parce qu’il est obligé de joindre l’image de la chose aimée à l’image de celui qu’il hait.
Cette dernière raison se trouve généralement dans l’amour qu’on a pour une femme ; qui imagine en effet la femme qu’il aime se livrant à un autre sera contristé, non seulement parce que son propre appétit est réfréné, mais aussi parce qu’étant obligé de joindre l’image de la chose aimée aux parties honteuses et aux excrétions de l’autre, il l’a en aversion ; à quoi s’ajoute enfin que le jaloux n’est pas accueilli par la chose aimée du même visage qu’elle avait coutume de lui présenter, et que pour cette cause aussi un amant est contristé, comme je vais le montrer.
Qui se souvient d’une chose dont il a pris plaisir une fois, désire la posséder avec les mêmes circonstances que la première fois qu’il y a pris plaisir.
Tout ce que l’homme a vu en même temps que la chose dont il a pris plaisir sera par accident (Proposition 15) cause de joie ; il désirera donc (Proposition 28) posséder tout cela en même temps que la chose dont il a pris plaisir, c’est-à-dire qu’il désirera posséder la chose avec les mêmes circonstances que la première fois qu’il y a pris plaisir. C.Q.F.D.
Si donc il s’est aperçu qu’une de ces circonstances manquait, l’amant sera contristé.
Dans la mesure en effet, où il s’aperçoit qu’une circonstance fait défaut, il imagine dans cette mesure quelque chose qui exclut l’existence de la chose. Or, puisque par amour il est désireux de cette chose, c’est-à-dire de cette circonstance (Proposition précédente), en tant qu’il imagine qu’elle fait défaut (Proposition 19), il sera contristé. C.Q.F.D.
Cette tristesse, en tant qu’elle est relative à l’absence de ce que nous aimons, se nomme regret.
Le désir qui prend naissance à cause d’une tristesse ou d’une joie, d’une haine ou d’un amour, est d’autant plus grand que l’affect est plus grand.
La tristesse diminue ou réfrène la puissance d’agir de l’homme (Scolie de la Proposition 11), c’est-à-dire (Proposition 7) l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer dans son être ; ainsi (Proposition 5) elle est contraire à cet effort ; et tout ce à quoi s’efforce l’homme affecté de tristesse est d’écarter la tristesse.
Mais (par la <même> définition de la tristesse) plus grande est la tristesse, plus grande est la partie de la puissance d’agir de l’homme à laquelle elle s’oppose nécessairement ; donc plus grande est la tristesse, plus grande est la puissance d’agir par laquelle l’homme s’efforcera à son tour d’écarter la tristesse ; c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 9) plus grand est le désir ou l’appétit par lequel il s’efforcera d’écarter la tristesse.
Ensuite, puisque la joie (même Scolie de la Proposition 11) augmente ou seconde la puissance d’agir de l’homme, on démontre aisément par la même voie qu’un homme affecté d’une joie ne désire rien d’autre que la conserver, et cela d’un désir d’autant plus grand que la joie sera plus grande.
Enfin, puisque la haine et l’amour sont les affects mêmes de la joie et de la tristesse, il suit de la même manière que l’effort, l’appétit, ou le désir qui prend naissance à cause d’une haine ou d’un amour, sera plus grand à proportion de la haine et de l’amour. C.Q.F.D.
Si quelqu’un commence d’avoir en haine une chose aimée, de façon que l’amour soit entièrement aboli, il la poursuivra, à cause égale, d’une haine plus grande que s’il ne l’avait jamais aimée, et d’autant plus que son amour était auparavant plus grand.
Si quelqu’un, en effet, commence d’avoir en haine la chose qu’il aime, un plus grand nombre de ses appétits sont réfrénés que s’il ne l’avait pas aimée. Car l’amour est une joie (Scolie de la Proposition 13) que l’homme, autant qu’il peut (Proposition 28), s’efforce de conserver ; et cela ( même Scolie) en considérant la chose aimée comme présente et en l’affectant de joie (Proposition 21), autant qu’il peut. Cet effort (Proposition précédente) est d’autant plus grand d’ailleurs que l’amour est plus grand, de même que l’effort pour faire que la chose aimée l’aime à son tour (Proposition 33).
Mais ces efforts sont réfrénés par la haine envers la chose aimée (Corollaire de la Proposition 13 et Proposition 23) : donc l’amant (Scolie de la Proposition 11), pour cette cause aussi, sera affecté de tristesse et d’autant plus que son amour était plus grand ; c’est-à-dire, outre la tristesse qui fut cause de la haine, une autre naît de ce qu’il a aimé la chose, et conséquemment il considérera la chose aimée avec un affect de tristesse plus grand, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) la poursuivra d’une haine plus grande que s’il ne l’avait pas aimée, et d’autant plus grande que son amour était plus grand. C.Q.F.D.
Qui a quelqu’un en haine s’efforcera de lui faire du mal, à moins qu’il n’ait peur qu’un mal plus grand naisse pour lui de là ; et, au contraire, qui aime quelqu’un s’efforcera par la même loi de lui faire du bien.
Avoir quelqu’un en haine, c’est (Scolie de la Proposition 13) l’imaginer comme une cause de tristesse ; par suite (Proposition 28), celui qui a quelqu’un en haine s’efforcera de l’écarter ou de le détruire. Mais, s’il a peur qu’il en sorte pour lui-même quelque chose de plus triste ou (ce qui est la même chose) un mal plus grand, et s’il croit pouvoir l’éviter en ne faisant pas à celui qu’il hait le mal qu’il méditait, il désirera s’abstenir (même Proposition 28) de lui faire du mal ; et cela (Proposition 37) avec un effort plus grand que celui qui le portait à faire du mal et qui, en conséquence, prévaudra, comme nous le voulions démontrer.
La démonstration de la deuxième partie procède de même. Donc qui a quelqu’un en haine, etc. C.Q.F.D.
Par bien j’entends ici tout genre de joie et tout ce qui, en outre, y mène, et principalement ce qui satisfait le regret, quel qu’il soit. Par mal j’entends tout genre de tristesse et principalement ce qui frustre le regret. Nous avons en effet montré ci-dessus (Scolie de la Proposition 9) que nous ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne, mais qu’au contraire nous appelons bonne la chose que nous désirons ; conséquemment, nous appelons mauvaise la chose que nous avons en aversion ; chacun juge ainsi ou estime d’après son affect ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui est meilleur, ce qui est pire, ce qui enfin est le meilleur ou le pire. Ainsi l’avare juge que l’abondance d’argent est ce qu’il y a de meilleur, la pauvreté ce qu’il y a de pire. L’ambitieux ne désire rien tant que la gloire et ne redoute rien tant que la honte. À l’envieux ensuite rien n’est plus agréable que le malheur d’autrui, et rien plus insupportable que le bonheur d’un autre ; et ainsi chacun juge de par son affect qu’une chose est bonne ou mauvaise, utile ou inutile.
Cet affect d’ailleurs par lequel l’homme est disposé de telle sorte qu’il ne veut pas ce qu’il veut, ou veut ce qu’il ne veut pas, s’appelle la peur ; la peur n’est donc autre chose que la crainte en tant qu’elle dispose un homme à éviter un mal qu’il juge devoir venir par un mal moindre (voir Proposition 28). Si le mal dont on a peur est la honte, alors la peur s’appelle pudeur. Enfin, si le désir d’éviter un mal futur est réfréné par la peur d’un autre mal, de façon qu’on ne sache plus ce qu’on préfère, alors la crainte s’appelle consternation, principalement si l’un et l’autre maux dont on a peur sont parmi les plus grands.
Qui imagine être tenu en haine par quelqu’un, et croit ne lui avoir donné aucune cause de haine, aura en retour cet autre en haine.
Qui imagine quelqu’un affecté de haine sera par cela même affecté de haine (Proposition 27), c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) d’une tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure. Mais (par hypothèse) il n’imagine aucune cause de cette tristesse, sauf celui qui l’a en haine ; par cela donc qu’il imagine être tenu en haine par quelqu’un, il sera affecté d’une tristesse qu’accompagnera l’idée de celui qui l’a en haine, autrement dit (même Scolie) il l’aura en haine. C.Q.F.D.
S’il imagine avoir donné une juste cause de haine, alors (Proposition 30 et Scolie) il sera affecté de honte. Mais cela (Proposition 25) arrive rarement. Cette réciprocité de haine peut naître aussi de ce que la haine est suivie d’un effort pour faire du mal à celui qu’on a en haine (Proposition 39). Qui donc imagine être tenu en haine par quelqu’un, l’imaginera cause de quelque mal, c’est-à-dire d’une tristesse ; et par suite il sera affecté d’une tristesse, ou d’une crainte qu’accompagnera comme cause l’idée de celui qui l’a en haine, autrement dit il sera comme ci-dessus affecté de haine en retour.
Qui imagine celui qu’il aime affecté de haine à son égard, sera en proie en même temps à la haine et à l’amour. En tant qu’il imagine en effet que l’autre l’a en haine, il est déterminé (Proposition précédente) à l’avoir en haine en retour. Mais (par hypothèse) il l’aime néanmoins ; il sera donc en proie à la fois à la haine et à l’amour.
Si quelqu’un imagine qu’un mal lui a été fait par haine par un autre, à l’égard duquel il n’avait d’affect d’aucune sorte, il s’efforcera aussitôt de lui rendre le même mal
Qui imagine quelqu’un affecté de haine à son égard l’aura en haine en retour (Proposition précédente) et (Proposition 26) s’efforcera de se rappeler tout ce qui peut affecter cet autre de tristesse et s’appliquera (Proposition 39) à le lui faire éprouver. Mais (par hypothèse) ce qu’il imagine en premier dans ce genre est le mal qui lui a été fait à lui-même ; il s’efforcera donc aussitôt de rendre ce même mal à l’autre. C.Q.F.D.
L’effort pour faire du mal à celui que nous haïssons est nommé la colère ; l’effort pour rendre le mal qui nous a été fait s’appelle la vengeance.
Si quelqu’un imagine qu’il est aimé par un autre et croit ne lui avoir donné aucune cause d’amour (ce qui, suivant le Corollaire de la Proposition 15 et la Proposition 16, peut arriver), il l’aimera en retour.
Cette Proposition se démontre par la même voie que la précédente, dont on verra aussi le Scolie.
S’il croit avoir donné une juste cause d’amour, il se glorifiera (Proposition 30 avec le Scolie), ce qui (Proposition 25) est le cas le plus fréquent ; c’est le contraire, nous l’avons dit, quand quelqu’un imagine que quelqu’un l’a en haine (Scolie de la Proposition précédente). Cet amour réciproque maintenant, et conséquemment l’effort pour faire du bien à qui nous aime et s’efforce (même Proposition 39) de nous en faire, se nomme reconnaissance ou gratitude ; il apparaît donc que les hommes sont beaucoup plus disposés à la vengeance qu’à rendre des bienfaits.
Qui imagine être aimé par celui qu’il a en haine, sera en proie à la fois à la haine et à l’amour. Cela se démontre par la même voie que le premier Corollaire de la <Proposition> précédente.
Si la haine a prévalu, il s’efforcera de faire du mal à celui par qui il est aimé ; cet affect s’appelle cruauté, surtout si l’on croit que celui qui aime n’a donné aucune cause commune de haine.
Qui, mû par l’amour ou un espoir de gloire, a fait du bien à quelqu’un, sera contristé s’il voit que son bienfait est reçu avec ingratitude.
Qui aime une chose semblable à lui s’efforce, autant qu’il peut, de faire qu’elle l’aime en retour (Proposition 33). Qui donc a par amour fait du bien à quelqu’un, <a> fait cela par l’attente qui le tient d’être aimé en retour, c’est-à-dire avec un espoir de gloire (Proposition 34) ou de joie (Scolie de la Proposition 30) ; il s’efforcera donc (Proposition 12) d’imaginer, autant qu’il peut, cette cause de gloire ou de la considérer comme existant en acte. Mais (par hypothèse) il imagine autre chose qui exclut l’existence de cette cause ; il sera donc (Proposition 19) par là même contristé. C.Q.F.D.
La haine est accrue par une haine réciproque et peut, au contraire, être détruite par l’amour.
Qui imagine que celui qu’il hait est affecté de haine à son égard, par cela même une haine nouvelle prend naissance (Proposition 40) alors que (par hypothèse) la première dure encore. Mais si, au contraire, il imagine que cet autre est affecté d’amour à son égard, en tant qu’il imagine cela, il se considère lui-même avec joie (Proposition 30) et s’efforcera dans la même mesure (Proposition 29) de plaire à cet autre ; c’est-à-dire (Proposition 41) il s’efforce, toujours dans la même mesure, de ne l’avoir pas en haine et de ne l’affecter d’aucune tristesse ; cet effort sera d’ailleurs (Proposition 37) plus grand ou plus petit à proportion de l’affect d’où il naît ; et ainsi, s’il est plus grand que celui qui naît de la haine et par lequel il s’efforce d’affecter de tristesse celui qu’il hait (Proposition 26), il prévaudra sur lui et fera disparaître la haine du cœur. C.Q.F.D.
La haine qui est entièrement vaincue par l’amour se change en amour, et l’amour est pour cette raison plus grand que si la haine n’eût pas précédé.
On procède comme pour démontrer la Proposition 38. Qui commence d’aimer en effet la chose qu’il hait, ou avait coutume de considérer avec tristesse, il sera joyeux par cela même qu’il aime, et à cette joie qu’enveloppe l’amour (Voir sa définition dans le Scolie de la Proposition 13), s’ajoute celle qui naît de ce que l’effort pour écarter la tristesse enveloppée dans la haine (comme nous l’avons montré dans la Proposition 37) est entièrement secondé, avec accompagnement comme cause de l’idée de celui qu’on avait en haine.
Bien qu’il en soit ainsi, personne cependant ne fera effort pour avoir une chose en haine, autrement dit d’être affecté de tristesse, afin de jouir de cette joie plus grande ; c’est-à-dire personne, dans l’espoir d’un dédommagement, ne désirera se porter dommage à soi-même et ne souhaitera être malade dans l’espoir de guérir. Car chacun s’efforcera toujours de conserver son être et, autant qu’il peut, d’écarter la tristesse. Que si, au contraire, on pouvait concevoir un homme désirant avoir quelqu’un en haine afin d’éprouver ensuite pour lui un plus grand amour, alors il souhaitera toujours l’avoir en haine. Car plus la haine aura été grande, plus grand sera l’amour, et, par suite, il souhaitera toujours que la haine s’accroisse de plus en plus ; et pour la même cause, un homme s’efforcera de plus en plus d’être malade afin de jouir ensuite d’une plus grande joie par le rétablissement de sa santé ; il s’efforcera donc d’être malade toujours, ce qui (Proposition 6) est absurde.
Si quelqu’un qui aime une chose semblable à lui imagine qu’un autre semblable à lui est affecté de haine envers cette chose, il aura cet autre en haine.
La chose aimée en effet a en haine en retour celui qui la hait (Proposition 40), et ainsi l’amant qui imagine que quelqu’un a en haine la chose aimée, par cela même, imagine que la chose aimée est affectée de haine, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) de tristesse, et conséquemment (Proposition 21) est contristé, et cela avec l’accompagnement comme cause de l’idée de celui qui hait la chose aimée, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 13) qu’il aura cet autre en haine. C.Q.F.D.
Si quelqu’un a été affecté par un autre, appartenant à une certaine classe ou nation différente de la sienne, d’une joie ou d’une tristesse qu’accompagne comme cause l’idée de cet autre sous le nom général de la classe ou de la nation, non seulement il aimera cet autre ou l’aura en haine, mais aussi tous ceux de la même classe ou de la même nation.
La Démonstration de ce fait résulte avec évidence de la Proposition 16.
La joie naissant de ce que nous imaginons qu’une chose que nous haïssons est détruite, ou affectée d’un autre mal, ne naît pas sans quelque tristesse de l’esprit.
Cela est évident par la Proposition 27. Car, en tant que nous imaginons qu’une chose semblable à nous est affectée de tristesse, nous sommes dans cette mesure contristés.
Cette proposition peut aussi se démontrer par le Corollaire de la Proposition 17, p. II. Chaque fois, en effet, qu’il nous souvient d’une chose, bien qu’elle n’existe pas en acte, nous la considérons <cependant> comme présente, et le corps est affecté de la même manière ; en tant par suite que le souvenir de la chose est vivace, l’homme est déterminé à la considérer avec tristesse, et cette détermination, aussi longtemps que demeure l’image de la chose, est réfrénée, à la vérité, mais non ôtée par le souvenir des choses qui excluent l’existence de la chose imaginée ; et, par suite, l’homme est joyeux seulement dans la mesure où cette détermination est réfrénée ; par où il arrive que cette joie, qui naît du mal de la chose que nous haïssons, se renouvelle toutes les fois que nous nous souvenons de cette chose. Comme nous l’avons dit, en effet, quand l’image de cette chose est éveillée, comme elle enveloppe l’existence de la chose, elle détermine l’homme à la considérer avec la même tristesse avec laquelle il avait coutume de la considérer quand elle existait. Mais, comme il a joint à l’image de cette chose d’autres images qui en excluent l’existence, cette détermination à la tristesse est réfrénée aussitôt, et l’homme est joyeux de nouveau, et cela toutes les fois que cette répétition a lieu. C’est pour cette cause que les hommes sont joyeux toutes les fois qu’ils se souviennent d’un mal déjà passé ; et c’est pourquoi ils s’épanouissent à narrer des périls dont ils ont été délivrés. Quand ils imaginent quelque péril en effet, ils le considèrent comme encore à venir et sont déterminés à le craindre ; mais cette détermination est réfrénée de nouveau par l’idée de la liberté qu’ils ont jointe à celle de ce péril alors qu’ils en ont été délivrés, et cette idée leur rend de nouveau la sécurité ; et, par suite, ils sont de nouveau joyeux.
L’amour et la haine, par exemple envers Pierre, sont détruits si la tristesse qu’enveloppe la seconde et la joie qu’enveloppe le premier, sont joints à l’idée d’une autre cause ; et l’un et l’autre affects sont diminués dans la mesure où nous imaginons que Pierre n’a pas été la cause à lui seul de l’un ou de l’autre.
Cela est évident par la seule Définition de l’amour et de la haine, que l’on verra dans le Scolie de la Proposition 13. La seule raison en effet pour laquelle la joie est appelée amour, et la tristesse haine envers Pierre, est que Pierre est considéré comme étant la cause de l’un ou l’autre <affect>. Cette raison donc étant ôtée totalement ou en partie, l’affect se rapportant à Pierre est aussi diminué entièrement ou en partie. C.Q.F.D.
L’amour et la haine envers une chose que nous imaginons être libre, doivent l’un et l’autre être plus grands, à cause égale, qu’envers une chose nécessaire.
Une chose que nous imaginons être libre doit (Définition 7, p. I) être perçue par elle-même sans les autres. Si donc nous imaginons qu’elle est la cause d’une joie ou d’une tristesse, par cela même (Scolie de la Proposition 13) nous l’aimerons ou l’aurons en haine, et cela (Proposition précédente) du plus grand amour ou de la plus grande haine qui puisse naître d’un affect donné. Mais, si nous imaginons comme nécessaire la chose qui est la cause de cet affect, alors (même Définition 7, p. I) nous n’imaginerons pas qu’elle est la seule cause, mais qu’elle est avec d’autres choses cause de cet affect, et ainsi (Proposition précédente) l’amour et la haine envers elle seront moindres. C.Q.F.D.
Il suit de là que les hommes, parce qu’ils se tiennent pour libres, sont animés à l’égard les uns des autres d’un amour et d’une haine plus grands qu’à l’égard d’autres objets ; à quoi s’ajoute l’imitation des affects ; voir à ce sujet Propositions 27, 34, 40 et 43 de cette Partie.
Une chose quelconque peut par accident être cause d’espoir ou de crainte.
Cette Proposition se démontre par la même voie que la Proposition 15 ; la voir en même temps que le<s> Scolie<s 1 et 2> de la Proposition 18.
Les choses qui sont par accident des causes d’espoir ou de crainte sont appelées bons ou mauvais présages. Ensuite ces mêmes présages, en tant qu’ils sont une cause d’espoir ou de crainte, sont (Définition de l’espoir et de la crainte, que l’on voit au Scolie 2 de la Proposition 18) une cause de joie ou de tristesse, et conséquemment (Corollaire de la Proposition 15), dans cette mesure nous les aimons ou les avons en haine et (Proposition 28) nous nous efforçons de les employer comme des moyens de parvenir à ce que nous espérons, ou de les écarter comme des obstacles ou des causes de crainte.
En outre, il suit de la Proposition 25 que nous sommes disposés de nature à croire facilement ce que nous espérons, difficilement ce dont nous avons peur, et à en faire respectivement plus ou moins de cas qu’il n’est juste. Et de là sont nées les superstitions auxquelles les hommes sont partout en proie. Je ne pense pas d’ailleurs qu’il vaille la peine de montrer ici les fluctuations de l’âme qui naissent de l’espoir et de la crainte, puisqu’il suit de la seule définition de ces affects qu’il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir (comme nous l’expliquerons plus amplement en son lieu), et puisque, en outre, en tant que nous espérons ou craignons quelque chose, nous l’aimons ou l’avons en haine ; et ainsi tout ce que nous avons dit de l’amour et de la haine, chacun pourra aisément l’appliquer à l’espoir et à la crainte.
Des hommes divers peuvent être affectés de diverses manières par un seul et même objet, et un seul et même homme peut être affecté par un seul et même objet de diverses manières en divers temps
Le corps humain peut (Postulat 3, p. II) être affecté par les corps extérieurs d’un très grand nombre de manières. Deux hommes peuvent donc dans le même temps être affectés de manières diverses, et ainsi (Axiome 1 venant après le Lemme 3 qui suit la Proposition 13, p. II) ils peuvent être affectés de diverses manières par un seul et même objet. Ensuite (même Postulat) le corps humain peut être affecté tantôt d’une manière, tantôt d’une autre ; et conséquemment (même Axiome) il peut être affecté par un seul et même objet de diverses manières en divers temps. C.Q.F.D.
Nous voyons ainsi qu’il peut arriver ainsi que ce qu’aime l’un, l’autre l’ait en haine ; et que ce que l’un ne craint pas, l’autre le craigne ; et qu’un seul et même homme aime maintenant ce qu’il haïssait auparavant, ose à présent ce qui lui faisait peur auparavant, etc.
Ensuite, comme chacun juge d’après son affect quelle chose est bonne, quelle mauvaise, quelle meilleure, et quelle pire (voir Scolie de la Proposition 39), il suit que les hommes peuvent varier autant par le jugement que par l’affect (N. B. : que cela peut arriver, bien que l’esprit humain soit une partie de l’entendement divin, nous l’avons montré dans le Scolie de la proposition 17, Partie II) ; par là il arrive que, lorsque nous les comparons les uns aux autres, ils se distinguent de nous par la seule différence des affects, et que nous appelions les uns intrépides, les autres peureux, d’autres enfin d’un autre nom. J’appellerai, moi, par exemple, intrépide celui qui méprise le mal dont j’ai habituellement peur ; et si, de plus, j’ai égard à ce que son désir de faire du mal à celui qu’il hait n’est pas réfréné par la peur d’un mal qui me retient habituellement, je l’appellerai audacieux. Ensuite celui-là me paraîtra peureux, qui a peur du mal que j’ai coutume de mépriser ; et si j’ai, en outre, égard à ce que son désir est réfréné par la peur d’un mal qui ne peut me retenir, je dirai qu’il est pusillanime ; et ainsi jugera chacun.
À cause enfin de cette nature de l’homme et de l’inconstance de son jugement, comme aussi parce que l’homme juge souvent des choses à partir de son seul affect, et que les choses qu’il croit faire en vue de la joie ou de la tristesse et dont pour cette raison (Proposition 28) il s’efforce de procurer la venue ou qu’il s’efforce d’écarter, ne sont souvent qu’imaginaires – pour ne rien dire ici des autres choses que nous avons montrées dans la Deuxième Partie, au sujet de l’incertitude des choses – pour toutes ces raisons donc, nous concevons aisément que l’homme puisse souvent être lui-même en cause, tant du fait qu’il soit triste que du fait qu’il soit joyeux ; c’est-à-dire qu’il soit affecté d’une joie ou d’une tristesse qu’accompagne comme cause l’idée de lui-même ; et nous comprenons ainsi facilement ce qu’est le repentir et ce qu’est le contentement de soi. Le repentir, dis-je, est une tristesse qu’accompagne l’idée de soi-même, et le contentement de soi est une joie qu’accompagne comme cause l’idée de soi-même, et ces affects sont extrêmement vifs parce que les hommes croient qu’ils sont libres (voir Proposition 49).
L’objet que nous avons vu auparavant en même temps que d’autres, ou que nous imaginons n’avoir rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le considérerons pas aussi longtemps que celui que nous imaginons avoir quelque chose de singulier.
Sitôt que nous imaginons un objet que nous avons vu avec d’autres, nous nous souvenons immédiatement aussi des autres (Proposition 18, p. II, voir aussi le Scolie), et ainsi de la considération de l’un nous tombons aussitôt dans la considération d’un autre. Et telle est aussi la condition d’un objet que nous imaginons n’avoir rien qui ne soit commun à plusieurs. Nous supposons par cela même en effet que nous ne considérons rien en lui, que nous n’ayons vu auparavant conjointement à d’autres. Mais, quand nous supposons que nous imaginons dans un objet quelque chose de singulier, que nous n’avons jamais vu auparavant, nous ne disons rien d’autre sinon que l’esprit, pendant qu’il considère cet objet, n’a rien en lui dans la considération de quoi la considération de cet objet puisse le faire tomber ; et ainsi il est déterminé à le considérer uniquement. Donc l’objet, etc. C.Q.F.D.
Cette affection de l’esprit, autrement dit cette imagination d’une chose singulière, en tant qu’elle se trouve seule dans l’esprit, est appelée étonnement ; si elle est provoquée par un objet dont nous avons peur, elle est dite consternation, parce que l’étonnement d’un mal tient l’homme à ce point en suspens dans la seule considération de ce mal qu’il est incapable de penser à d’autres objets, par où il pourrait éviter ce mal. Mais, si ce qui nous étonne est la prudence d’un homme, son industrie ou quelque autre chose de ce genre, comme par cela même nous considérons cet homme comme l’emportant de beaucoup sur nous, alors l’étonnement se nomme vénération, et autrement horreur si c’est la colère d’un homme, son envie, etc., qui nous étonne. Ensuite, si nous nous étonnons de la prudence, de l’industrie, etc., d’un homme que nous aimons, notre amour par cela même (Proposition 12) sera plus grand, et nous appelons dévotion cet amour joint à l’étonnement ou à la vénération. Et nous pouvons aussi concevoir de cette manière la haine, l’espoir, la sécurité et d’autres affects se joignant à l’étonnement et nous pourrons déduire ainsi plus d’affects qu’on n’a coutume d’en désigner par les mots reçus. D’où il apparaît que les noms des affects ont été inventés plus d’après leur usage vulgaire que d’après que leur connaissance attentive.
À l’étonnement s’oppose le mépris dont la cause est toutefois généralement la suivante : nous voyons que quelqu’un s’étonne d’une chose, l’aime, la craint, etc., ou encore une chose paraît au premier aspect semblable à celles dont nous nous étonnons, que nous aimons, craignons, etc., et nous sommes ainsi déterminés (Proposition 15 avec son Corollaire et Proposition 27) à nous étonner de cette chose, à l’aimer, à la craindre ; mais, si par sa présence ou sa considération plus attentive nous sommes contraints de nier d’elle tout ce qui peut être cause d’étonnement, d’amour, de crainte, etc., alors l’esprit demeure déterminé par la présence même de la chose à penser à ce qui n’est pas dans l’objet plutôt qu’à ce qui s’y trouve, tandis qu’au contraire la présence d’un objet fait penser d’ordinaire principalement à ce qui s’y trouve. De même maintenant que la dévotion naît de l’étonnement causé par une chose que nous aimons, la dérision naît du mépris de la chose que nous haïssons ou craignons, et le dédain du mépris de la sottise, comme la vénération, naît de l’étonnement de la prudence. Nous pouvons enfin concevoir l’amour, l’espoir, la gloire et d’autres affects se joignant au mépris et déduire encore de là de nouveaux affects que nous n’avons coutume non plus de distinguer des autres par aucun vocable singulier.
Quand l’esprit se considère lui-même et considère sa puissance d’agir, il est joyeux ; et d’autant plus qu’il s’imagine lui-même et sa puissance d’agir plus distinctement.
L’homme ne se connaît pas lui-même, sinon par les affections de son corps et leurs idées (Propositions 19 et 23, p. II). Quand donc il arrive que l’esprit peut se considérer lui-même, par cela même il est supposé passer à une perfection plus grande, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) qu’il est supposé être affecté de joie, et d’autant plus qu’il peut s’imaginer lui-même et sa puissance d’agir plus distinctement. C.Q.F.D.
Cette joie est de plus en plus alimentée à mesure que l’homme imagine davantage qu’il est loué par d’autres. Car plus il imagine qu’il est loué par d’autres, plus grande est la joie dont il imagine que les autres sont affectés par lui, et cela avec l’accompagnement de l’idée de lui-même (Scolie de la Proposition 29) ; et ainsi (Proposition 27) lui-même est affecté d’une joie plus grande qu’accompagne l’idée de lui-même.
L’esprit s’efforce d’imaginer cela seulement qui pose sa propre puissance d’agir.
L’effort de l’esprit ou sa puissance est l’essence même de cet esprit (Proposition 7) ; or l’essence de l’esprit (comme il est connu de soi) affirme cela seulement que l’esprit est et peut ; mais non ce qu’il n’est pas et ne peut pas ; et ainsi il s’efforce d’imaginer cela seulement qui affirme ou pose sa propre puissance d’agir. C.Q.F.D.
Quand l’esprit imagine son impuissance, il est contristé par cela même.
L’essence de l’esprit affirme cela seulement que l’esprit est et peut, autrement dit il est de la nature de l’esprit d’imaginer seulement ce qui pose sa puissance d’agir (Proposition précédente). Quand donc nous disons que l’esprit, tandis qu’il se considère elle-même, imagine son impuissance, nous ne disons rien d’autre sinon que, tandis que l’esprit s’efforce d’imaginer quelque chose qui pose sa puissance d’agir, cet effort qu’il fait est réfréné, autrement dit (Scolie de la Proposition 11) qu’il est contristé. C.Q.F.D.
Cette tristesse est de plus en plus alimentée, si on imagine qu’on est blâmé par d’autres ; ce qui se démontre de la même manière que le Corollaire de la Proposition 53.
Cette tristesse qu’accompagne l’idée de notre faiblesse s’appelle humilité. La joie qui naît de la considération de nous, philautie ou contentement de soi. Et comme elle se renouvelle toutes les fois que l’homme considère ses propres vertus ou sa puissance d’agir, il arrive par là aussi que chacun s’empresse à narrer ses faits et gestes et à étaler les forces tant de son corps que de son esprit et que pour cette cause les hommes sont insupportables les uns aux autres. Et de là encore il suit que les hommes sont de nature envieux (voir Scolie de la Proposition 24 et Scolie de la Proposition 32), c’est-à-dire qu’ils s’épanouissent de la faiblesse de leurs égaux et se contristent de leur vertu. Toutes les fois en effet que chacun imagine ses propres actions, il est affecté de joie (Proposition 53) et d’autant plus qu’il imagine que ses actions expriment plus de perfection et qu’il les imagine plus distinctement ; c’est-à-dire (par ce qui est dit dans le Scolie 1 de la Proposition 40, p. II) qu’il peut davantage les distinguer des autres et les considérer comme des choses singulières. C’est pourquoi chacun sera épanoui au plus haut point par la considération de soi-même quand il considère en soi quelque chose qu’il nie des autres. Mais, s’il rapporte à l’idée générale de l’homme ou de l’animal ce qu’il affirme de soi, il ne s’épanouira pas autant ; et il sera contristé, au contraire, s’il imagine que ses actions comparées à celles des autres sont plus faibles, tristesse qu’il s’efforcera d’ailleurs d’écarter (Proposition 28), et cela en interprétant de travers les actions de ses égaux ou en ornant les siennes autant qu’il peut.
Il apparaît donc que les hommes sont de nature enclins à la haine et à l’envie, à quoi s’ajoute encore l’éducation elle-même. Car les parents ont coutume d’exciter leurs enfants à la vertu par le seul aiguillon de l’honneur et de l’envie. Il reste cependant peut-être un scrupule parce qu’il n’est point rare que les vertus des hommes nous étonnent et que les vénérions eux-mêmes. Pour l’écarter j’ajouterai le corollaire suivant.
Nul ne porte envie pour sa vertu à un autre qu’à un égal.
L’envie est la haine elle-même (Scolie de la Proposition 24), c’est-à-dire une tristesse (Scolie de la Proposition 13), en d’autres termes (Scolie de la Proposition 11) une affection par laquelle la puissance d’agir d’un homme ou son effort est réfréné. Mais l’homme (Scolie de la Proposition 9) ne s’efforce vers une action et ne désire la faire que si elle peut suivre de sa nature telle qu’elle est donnée ; donc l’homme ne désirera pas qu’aucune puissance d’agir ou (ce qui revient au même) qu’aucune vertu soit affirmée de lui, si elle appartient en propre à la nature d’un autre et est étrangère à la sienne ; et ainsi son désir ne peut être réfréné, c’est-à-dire (Scolie de la Proposition 11) qu’il ne peut être contristé parce qu’il considère quelque vertu dans un être dissemblable, et conséquemment il ne pourra non plus lui porter envie. Mais bien à son égal, qui est supposé de même nature que lui. C.Q.F.D.
Lorsque donc nous disions plus haut, dans le Scolie de la Proposition 52, que nous vénérons un homme parce que nous voyons avec étonnement sa prudence, son courage, etc., cela a lieu (comme cela ressort avec évidence de la même Proposition) parce que nous imaginons ces vertus lui appartenir de façon singulière et non pas comme des manières d’être communes de notre nature ; et de la sorte nous ne les lui envierons pas plus qu’aux arbres la hauteur et aux lions le courage, etc.
Il y a autant d’espèces de joie, de tristesse et de désir et conséquemment de tous les affects qui en sont composés comme la fluctuation de l’âme, ou en dérivent comme l’amour, la haine, l’espoir, la crainte, etc., qu’il y a d’espèces d’objets par lesquels nous sommes affectés.
La joie et la tristesse et conséquemment les affects qui en sont composés ou en dérivent, sont des passions (Scolie de la Proposition 11) ; or nous sommes (Proposition 1) nécessairement passifs en tant que nous avons des idées inadéquates et c’est dans la mesure seulement où nous en avons (Proposition 3) que nous sommes passifs, c’est-à-dire (voir Scolie 1 de la Proposition 40, p. II) nous sommes nécessairement passifs dans la mesure seulement où nous imaginons, en d’autres termes (Proposition 17, p. II, avec son Scolie) où nous sommes affectés d’un affect qui enveloppe la nature de notre corps et celle d’un corps extérieur. La nature donc de chaque passion doit être nécessairement expliquée de façon que s’exprime la nature de l’objet par lequel nous sommes affectés. Ainsi la joie qui naît d’un objet, par exemple de A, enveloppe la nature de cet objet A, et la joie qui naît de l’objet B enveloppe la nature de l’objet B ; et ainsi ces deux affects de joie sont différents par nature, naissant de causes de nature différente. De même aussi l’affect de tristesse qui naît d’un objet est différent par nature de la tristesse qui naît d’une autre cause, et il faut l’entendre ainsi de l’amour, de la haine, de l’espoir, de la crainte, de la fluctuation de l’âme etc., et par suite, il y a nécessairement autant d’espèces de joie, de tristesse, d’amour, de haine etc., que d’espèces d’objets par lesquels nous sommes affectés.
Quant au désir, il est l’essence même de chacun, ou sa nature, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par sa constitution donnée, quelle qu’elle soit (Scolie de la Proposition 9) ; selon donc que chacun est affecté par des causes extérieures de telle ou telle espèce de joie, de tristesse, d’amour, de haine, c’est-à-dire dès lors que sa nature est constituée de telle façon ou de telle autre, il est nécessaire que son désir soit tel ou tel, et que la nature d’un désir diffère de celle d’un autre désir autant que les affects d’où naît chacun d’eux diffèrent entre eux. Il y a donc autant d’espèces de désir que de joie, de tristesse, d’amour, etc., et conséquemment (par ce qui a été montré déjà) qu’il y a d’espèces d’objets par lesquels nous sommes affectés. C.Q.F.D.
Parmi les espèces d’affects, qui (Proposition précédente) doivent être très nombreux, les notoires sont la gourmandise, l’ivrognerie, la lubricité, l’avarice et l’ambition, lesquelles ne sont que des manières de connaître l’amour ou du désir, expliquant la nature de l’un et l’autre affects par les objets où ils se rapportent. Par gourmandise, ivrognerie, lubricité, avarice et ambition, nous n’entendons rien d’autre en effet qu’un amour ou un désir immodéré de la chère, de la boisson, du coït, des richesses et de la gloire.
De plus, ces affects, en tant que nous les distinguons des autres par l’objet auquel ils se rapportent, n’ont pas de contraires. Car la tempérance et la sobriété et enfin la chasteté, que nous avons coutume d’opposer à la gourmandise, à l’ivrognerie et à la lubricité, ne sont pas des affects ou des passions, mais indiquent la puissance de l’esprit, qui modère ces affects.
Je ne peux d’ailleurs ici expliquer les autres espèces d’affects (car il y en a autant que d’espèces d’objets) et, si même je le pouvais, cela n’est pas nécessaire. Car pour l’exécution de notre dessein qui est de déterminer les forces des affects et la puissance qu’a l’esprit sur eux, il nous suffit d’avoir une définition générale de chaque affect. Il nous suffit, dis-je, de comprendre les propriétés communes des affects et de l’esprit, pour que nous puissions déterminer de quelle sorte et de quelle grandeur est la puissance de l’esprit pour modérer et réfréner les affects. Ainsi, bien qu’il y ait une grande différence entre tel et tel affect d’amour, de haine ou de désir, par exemple, entre l’amour qu’on a pour ses enfants et l’amour qu’on a pour sa femme, nous n’avons cependant pas besoin de connaître ces différences et de pousser plus outre l’étude de la nature et de l’origine des affects.
Un affect quelconque de chaque individu diverge de l’affect d’un autre, autant que l’essence de l’un diffère de l’essence de l’autre.
>Cette proposition est évidente par l’Axiome 1 venant après le Lemme 3 qui suit la Proposition 13, p. II. Nous la démontrerons, néanmoins, par les Définitions des trois affects primaires.
Toutes les affects se rapportent au désir, à la joie ou à la tristesse comme le montrent les définitions que nous en avons données. Mais le désir est la nature même ou l’essence de chacun (Scolie de la Proposition 9) ; donc le désir de chaque individu diverge du désir d’un autre autant que la nature ou essence de l’un diffère de l’essence de l’autre.
Ensuite la joie et la tristesse sont des passions par lesquelles la puissance de chacun ou son effort pour persévérer dans son être, est accrue ou diminuée, secondée ou réfrénée (Proposition 11 avec son Scolie). Or, par l’effort pour persévérer dans son être, en tant qu’il se rapporte à la fois à l’esprit et au corps, nous entendons l’appétit et le désir (Scolie de la Proposition 9) ; donc la joie et la tristesse est le désir même ou l’appétit, en tant qu’il est accru ou diminué, secondé ou réfréné par des causes extérieures, c’est à-dire (même Scolie) est la nature même de chacun et ainsi la joie ou la tristesse de l’un diverge aussi de la joie ou de la tristesse d’un autre, autant que la nature ou essence de l’un diffère de la nature ou essence de l’autre ; et conséquemment un affect quelconque de chaque individu diverge de l’affect d’un autre autant, etc. C.Q.F.D.
Il suit de là que les affects des animaux que l’on dit privés de raison (nous ne pouvons douter en effet que les bêtes ne sentent, une fois connue l’origine de l’esprit), diffèrent des affects des hommes autant que leur nature diffère de l’humaine. Le cheval et l’homme sans doute sont emportés par la lubricité de procréer ; mais le premier par une lubricité de cheval, le second par une lubricité d’homme. De même aussi les lubricités et les appétits des insectes, des poissons et des oiseaux, doivent être différents les uns des autres. Ainsi, bien que chaque individu vive dans le contentement et l’épanouissement de sa nature telle qu’elle est formée, cette vie cependant dont chacun est content et cet épanouissement ne sont rien d’autre que l’idée ou l’esprit de cet individu, et ainsi l’épanouissement de l’un diverge de l’épanouissement de l’autre autant que l’essence de l’un diffère de l’essence de l’autre.
Enfin il suit de la Proposition précédente que la différence n’est pas petite entre l’épanouissement dont un ivrogne, par exemple, est conduit, et l’épanouissement que possède un philosophe, ce que j’ai voulu faire observer en passant.
Voilà pour ce qui concerne les affects qui se rapportent à l’homme en tant qu’il est passif. Il me reste à ajouter quelques mots sur ceux qui se rapportent à lui en tant qu’il est actif.
Outre la joie et le désir qui sont des passions, il y a d’autres affects de joie et de désir qui se rapportent à nous en tant que nous sommes actifs.
Quand l’esprit se conçoit lui-même et sa puissance d’agir, il est joyeux (Proposition 53) ; or l’esprit se considère nécessairement lui-même quand il conçoit une idée vraie, autrement dit adéquate (Proposition 43, p. II). Mais l’esprit conçoit certaines idées adéquates (Scolie 2 de la Proposition 40, p. II). Donc il est joyeux aussi dans la mesure où il conçoit des idées adéquates, c’est-à-dire (Proposition 1) où il est actif.
Ensuite, l’esprit, aussi bien en tant qu’il a des idées claires et distinctes, qu’en tant qu’il en a de confuses, s’efforce de persévérer dans son être (Proposition 9). Mais par effort nous entendons le désir (Scolie de la même Proposition) ; donc le désir se rapporte à nous en tant aussi que nous comprenons, c’est-à-dire (Proposition 1) en tant que nous sommes actifs. C.Q.F.D.
Parmi tous les affects qui se rapportent à l’esprit en tant qu’il est actif, il n’y en a point qui ne se rapportent à la joie et au désir.
Tous les affects se rapportent au désir, à la joie ou à la tristesse, comme le montrent les définitions que nous en avons données. Mais par tristesse nous entendons que la puissance de penser de l’esprit est diminuée ou réfrénée (Proposition 11 avec son Scolie), et ainsi, en tant que l’esprit est contristé, sa puissance de comprendre, c’est-à-dire d’agir (Proposition 1), est diminuée ou réfrénée. Il n’est donc point d’affects de tristesse qui se puissent rapporter à l’esprit en tant qu’il est actif, mais seulement des affects de joie et de désir, qui (Proposition précédente) dans cette mesure aussi se rapportent à l’esprit. C.Q.F.D.
Toutes les actions qui suivent des affects se rapportant à l’esprit en tant qu’il comprend, je les rapporte à la fortitude que je distingue en fermeté et générosité. Par fermeté j’entends en effet le désir par lequel un individu s’efforce de conserver son être d’après le seul commandement de la Raison. Et par générosité j’entends le désir par lequel chacun s’efforce d’après le seul commandement de la raison d’aider les autres hommes et de se les attacher par l’amitié.
Je rapporte donc à la fermeté ces actions qui ont pour but l’utilité de l’agent seulement, et à la générosité celles qui ont aussi pour but l’utilité d’autrui. La tempérance donc, la sobriété et la présence d’esprit dans les dangers, etc., sont des espèces de fermeté ; la modestie, la clémence, etc., des espèces de générosité.
Je pense ainsi avoir expliqué et fait connaître par leurs premières causes les principaux affects et fluctuations de l’âme qui naissent de la combinaison des trois affects primitifs, savoir le désir, la joie et la tristesse. D’où il apparaît que nous sommes agités en beaucoup de manières par les causes extérieures, et que, pareils aux vagues de la mer, agitées par des vents contraires, nous fluctuons, sans savoir quel sera notre sort et notre destin. J’ai dit toutefois que j’ai montré seulement les principaux conflits de l’esprit, et non tous ceux qu’il peut y avoir. Continuant de suivre en effet la même voie que plus haut, nous pouvons montrer facilement que l’amour se joint au repentir, au dédain, à la honte, etc. Bien mieux, il est, je crois, établi pour chacun par ce qui précède que les affects peuvent se combiner entre eux de tant de manières, et que tant de variétés naissent de là, qu’on ne peut leur assigner aucun nombre. Mais il suffit à mon dessein d’avoir énuméré les principaux ; pour ceux que j’ai omis, ils seraient objet de curiosité plus que d’utilité.
Il reste cependant à observer au sujet de l’amour que, par une rencontre très fréquente, quand nous jouissons de la chose que nous avions en appétit, le corps peut acquérir par cette jouissance un état nouveau, par laquelle il est autrement déterminé, et d’autres images de choses sont éveillées en lui, et l’esprit commence en même temps à imaginer autre chose, et à désirer autre chose. Quand, par exemple, nous imaginons quelque chose, à la saveur de quoi nous avons coutume de prendre plaisir, nous désirons en jouir, c’est-à-dire en manger. Mais, tandis que nous en jouissons ainsi, l’estomac se remplit, et le corps se trouve dans un autre état. Si donc, dans cette disposition nouvelle du corps, l’image de ce même aliment se maintient parce qu’il est présent, et conséquemment aussi l’effort ou le désir d’en manger, à ce désir ou effort s’opposera cet état nouveau et, conséquemment, la présence de l’aliment que nous avons en appétit sera odieuse ; c’est là ce que nous appelons dégoût et lassitude.
J’ai, par ailleurs, négligé les affections extérieures du corps qui s’observent dans les affects, tels le tremblement, la pâleur, les sanglots, le rire, etc., parce qu’ils se rapportent au corps uniquement sans aucune relation avec l’esprit.
Je dois enfin faire au sujet des définitions des affects certaines observations, et pour cette raison je reproduirai ici avec ordre ces définitions, y insérant ce qui est à observer sur chacune.
Le désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection quelconque donnée en elle.
Nous avons dit plus haut, dans le Scolie de la Proposition 9, que le désir est l’appétit avec conscience de lui-même ; et que l’appétit est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est déterminée à faire les choses servant à sa conservation. Mais j’ai fait aussi observer dans ce même Scolie que je ne reconnais, en réalité, aucune différence entre l’appétit de l’homme et le désir. Que l’homme, en effet, ait ou n’ait pas conscience de son appétit, cet appétit n’en demeure pas moins un et le même ; et ainsi, pour ne pas avoir l’air de commettre une tautologie, je n’ai pas voulu expliquer le désir par l’appétit, mais je me suis appliqué à le définir de façon à y comprendre tous les efforts de la nature humaine que nous désignons par les mots d’appétit, de volonté, de désir, ou d’impulsion. Je pouvais dire en effet que le désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose, mais il ne suivrait pas de cette définition (Proposition 23, p. II) que l’esprit pût avoir conscience de son désir ou de son appétit. Donc, pour que la cause de cette conscience fût enveloppée dans ma définition, il m’a été nécessaire (même Proposition) d’ajouter, en tant qu’elle est déterminée par une affection quelconque donnée en elle, etc. Car par une affection de l’essence de l’homme, nous entendons toute disposition de cette essence, qu’elle soit innée <ou acquise>, qu’elle se conçoive par le seul attribut de la Pensée ou par le seul attribut de l’Étendue, ou enfin se rapporte à la fois aux deux. J’entends donc ici par le mot de désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l’homme, lesquels varient suivant l’état variable d’un même homme et s’opposent si bien les uns aux autres que l’homme est traîné en divers sens et ne sait où se tourner.
La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection.
La tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moindre perfection.
Je dis passage. Car la joie n’est pas la perfection elle-même. Si en effet l’homme naissait avec la perfection à laquelle il passe, il la posséderait sans affect de joie ; cela se voit plus clairement dans l’affect de tristesse qui lui est contraire. Que la tristesse en effet consiste dans un passage à une perfection moindre et non dans la perfection moindre elle-même, nul ne peut le nier, puisque l’homme ne peut être contristé en tant qu’il a part à quelque perfection. Et nous ne pouvons pas dire que la tristesse consiste dans la privation d’une perfection plus grande, car une privation n’est rien, tandis que l’affect de tristesse est un acte qui ne peut, en conséquence, être autre chose que l’acte de passer à une perfection moindre, c’est-à-dire l’acte par lequel la puissance d’agir de l’homme est diminuée ou réfrénée (voir Scolie de la Proposition 11). J’omets, en outre, les définitions de la gaieté, du chatouillement, de la mélancolie et de la douleur, parce que ces affects se rapportent principalement au corps et ne sont que des espèces de joie ou de tristesse.
L’étonnement est l’imagination d’une chose, à laquelle l’esprit demeure attaché, parce que cette imagination singulière n’a aucune connexion avec les autres (voir Proposition 52 avec son Scolie).
Dans le Scolie de la Proposition 18, Partie II, nous avons montré pour quelle cause l’esprit tombe aussitôt de la considération d’une chose à la pensée d’une autre, savoir parce que les images de ces choses sont enchaînées entre elles et ordonnées de façon que l’une suive l’autre ; or on ne peut concevoir qu’il en soit ainsi quand l’image de la chose est nouvelle, mais alors l’esprit sera retenu dans la considération de cette chose jusqu’à ce qu’il soit déterminé par d’autres causes à penser à d’autres. Considérée en elle-même, l’imagination d’une chose nouvelle est donc de même nature que les autres et, pour ce motif, je ne range pas quant à moi l’étonnement au nombre des affects, et je ne vois pas de motif pour le faire, puisque cette distraction de l’esprit ne provient d’aucune cause positive, qui le distraie des autres choses, mais seulement de ce que manque une cause qui de la considération d’une certaine chose le détermine à penser à d’autres. Je reconnais donc seulement trois affects primitifs ou primaires (comme je l’ai fait observer dans le Scolie de la Proposition 11), savoir ceux de la joie, de la tristesse et du désir ; et, si j’ai dit quelques mots de l’étonnement, c’est parce que l’usage s’est établi de désigner certains affects dérivant des trois primitifs par d’autres noms, quand ils se rapportent à des objets qui nous étonnent ; le même motif me pousse également à joindre ici la définition du mépris.
Le mépris est l’imagination d’une chose, qui touche si peu l’esprit qu’il est poussé par la présence de cette chose à imaginer ce qui ne s’y trouve pas, plutôt que ce qui s’y trouve (voir Scolie de la Proposition 52).
Je laisse ici de côté la définition de la vénération et du dédain, parce que nuls affects, que je sache, ne tirent de là leur nom.
L’amour est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure.
Cette Définition explique assez clairement l’essence de l’amour ; pour celle des Auteurs qui définissent l’amour comme la volonté qu’a l’amant de se joindre à la chose aimée, elle n’exprime pas l’essence de l’amour mais sa propriété, et, n’ayant pas assez bien vu l’essence de l’amour, ces Auteurs n’ont pu avoir non plus aucun concept clair de sa propriété ; ainsi est-il arrivé que leur définition a été jugée extrêmement obscure par tous. Il faut observer, toutefois, qu’en disant que c’est une propriété qui est dans l’amant de se joindre de volonté à la chose aimée, je n’entends point par volonté un consentement, ou une délibération, c’est-à-dire un libre décret (nous avons démontré Proposition 48, p. II, que c’était là une chose fictive), non pas même un désir de se joindre à la chose aimée quand elle est absente, ou de persévérer dans sa présence quand elle est présente ; l’amour peut se concevoir en effet sans l’un ou sans l’autre de ces désirs ; mais par volonté j’entends le contentement qui est dans l’amant à cause de la présence de la chose aimée, par où la joie de l’amant est fortifiée ou au moins alimentée.
La haine est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure
On perçoit facilement ce qu’il faut observer ici, par ce qui a été dit dans l’Explication précédente (voir, en outre, le Scolie de la Proposition 11).
L’inclination est une joie qu’accompagne l’idée d’une chose qui est cause de joie par accident.
L’aversion est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une chose qui est cause de tristesse par accident (voir au sujet de ces affects le Scolie de la Proposition 15).
La dévotion est l’amour à l’égard de celui qui nous étonne.
Nous avons montré, Proposition 52, que l’étonnement naît de la nouveauté d’une chose. Si donc il arrive que nous imaginions souvent ce qui nous étonne, nous cesserons de nous étonner de cet objet ; nous voyons donc que l’affect de dévotion peut aisément dégénérer en amour simple.
La dérision est une joie née de ce que nous imaginons qu’il se trouve quelque chose à mépriser dans une chose que nous haïssons.
En tant que nous méprisons la chose que nous haïssons, nous nions d’elle l’existence (voir Scolie de la Proposition 52), et dans cette mesure nous sommes joyeux (Proposition 20). Mais, puisque nous supposons que l’homme a cependant en haine l’objet de sa dérision, il suit de là que cette joie n’est pas solide (voir Scolie de la Proposition 47).
L’espoir est une joie inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée de l’issue de laquelle nous doutons en quelque mesure.
La crainte est une tristesse inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée de l’issue de laquelle nous doutons en quelque mesure. Voir sur ces affects le Scolie 2 de la Proposition 18.
Il suit de ces définitions qu’il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir. Qui est en suspens dans l’espoir, en effet, et dans le doute au sujet de l’issue d’une chose, est supposé imaginer quelque chose qui exclut l’existence de la chose future ; et donc il est contristé dans cette mesure (Proposition 19), et conséquemment, tandis qu’il est en suspens dans l’espoir, il craint que la chose n’arrive. Qui, au contraire, est dans la crainte, c’est-à-dire dans le doute au sujet de l’issue d’une chose qu’il hait, imagine aussi quelque chose qui exclut l’existence de cette même chose ; et ainsi (Proposition 20) il est joyeux et, conséquemment, a dans cette mesure l’espoir qu’elle n’arrive pas.
La sécurité est une joie née de l’idée d’une chose future ou passée au sujet de laquelle il n’y a plus de cause de doute.
Le désespoir est une tristesse née de l’idée d’une chose future ou passée au sujet de laquelle il n’y a plus de cause de doute.
La sécurité donc naît de l’espoir, et le désespoir de la crainte, quand il n’y a plus de cause de doute au sujet de l’issue d’une chose ; cela vient de ce que l’homme imagine comme étant là la chose passée ou future et la considère comme présente, ou de ce qu’il en imagine d’autres excluant l’existence de celles qui jetaient le doute en lui. Bien que, en effet, nous ne puissions jamais être certains de l’issue des choses singulières (Corollaire de la Proposition 31, p. II), il arrive cependant que nous n’en doutions pas. Autre chose, en effet, nous l’avons montré (Scolie de la Proposition 49, p. II) est ne pas douter d’une chose, autre chose en avoir la certitude ; il peut arriver ainsi que par l’image d’une chose passée ou future nous soyons affectés du même affect de joie ou de tristesse que par l’image d’une chose présente, comme nous l’avons démontré dans la Proposition 18, où nous renvoyons ainsi qu’à s<es> Scolie<s> 1et 2.
L’épanouissement est une joie qu’accompagne l’idée d’une chose passée arrivée contre l’espoir.
Le remords de conscience est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une chose passée arrivée contre l’espoir.
La commisération est une tristesse qu’accompagne l’idée d’un mal arrivé à un autre que nous imaginons être semblable à nous (voir Scolie de la Proposition 22 et Scolie de la Proposition 27).
Entre la commisération et la miséricorde il ne paraît y avoir aucune différence, sinon peut-être que la commisération concerne un affect singulier, et la miséricorde une disposition habituelle à l’éprouver.
La faveur est un amour envers quelqu’un qui a fait du bien à un autre.
L’indignation est une haine envers quelqu’un qui a fait du mal à un autre.
Je sais que ces mots ont d’après l’usage commun un autre sens. Mais mon dessein est d’expliquer la nature des choses et non le sens des mots, et de désigner les choses par des vocables dont le sens usuel ne s’éloigne pas entièrement de celui où je les emploie, cela soit observé une fois pour toutes. Pour la cause de ces affects je renvoie, en outre, au Corollaire 1 de la Proposition 27 et au Scolie de la Proposition 22.
La surestime consiste à faire de quelqu’un par amour plus de cas qu’il n’est juste.
La mésestime consiste à faire de quelqu’un par haine moins de cas qu’il n’est juste.
La surestime est donc un effet ou une propriété de l’amour ; la mésestime, de la haine ; la surestime peut donc aussi être définie comme étant l’amour en tant qu’il affecte l’homme de telle sorte qu’il fasse de la chose aimée plus de cas qu’il n’est juste, et au contraire la mésestime comme étant la haine en tant qu’elle affecte l’homme de telle sorte qu’il fasse de celui qu’il a en haine moins de cas qu’il n’est juste (voir sur ces affects le Scolie de la Proposition 26).
L’envie est la haine en tant qu’elle affecte l’homme de telle sorte qu’il soit contristé par la félicité d’autrui et au contraire s’épanouisse du mal d’autrui.
À l’envie s’oppose communément la miséricorde, qui peut donc, en dépit du sens du mot, se définir ainsi :
La miséricorde est l’amour en tant qu’il affecte l’homme de telle sorte qu’il s’épanouisse du bien d’autrui et au contraire soit contristé par le mal d’autrui.
Voir, en outre, sur l’envie le Scolie de la Proposition 24 et le Scolie de la Proposition 32.
Tels sont les affects de joie et de tristesse qu’accompagne l’idée d’une chose extérieure comme cause ou par elle-même ou par accident. Je passe aux affects qu’accompagne comme cause l’idée d’une chose intérieure.
Le contentement de soi est une joie née de ce que l’homme se considère lui-même et sa puissance d’agir.
L’humilité est une tristesse née de ce que l’homme considère son impuissance ou sa faiblesse.
Le contentement de soi s’oppose à l’humilité en tant que nous entendons par lui une joie née de ce que nous considérons notre puissance d’agir ; mais, en tant que nous entendons aussi par contentement de soi une joie qu’accompagne l’idée d’une chose que nous croyons avoir faite par un libre décret de l’esprit, il s’oppose alors au repentir que nous définissons ainsi :
Le repentir est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une chose que nous croyons avoir faite par un libre décret de l’esprit.
Nous avons montré les causes de ces affects dans le Scolie de la Proposition 51, dans les Propositions 53, 54 et 55 et le Scolie de cette dernière. Sur le libre décret de l’esprit, voir Scolie de la Proposition 35, partie II.
Mais il faut, en outre, noter ici qu’il n’est pas étonnant qu’en général tous les actes coutumièrement appelés vicieux soient suivis de tristesse, et ceux qu’on dit droits de joie. Car cela dépend au plus haut point de l’éducation, comme nous le comprenons facilement par ce qui précède. Les parents, en effet, blâmant les premiers et faisant à leurs enfants de fréquents reproches à leur sujet, les exhortant aux seconds au contraire et les louant, ont fait que des émois de tristesse fussent joints aux uns et des mouvements de joie aux autres.
Ce que l’expérience même confirme encore. Car la coutume et la Religion n’est point partout la même, mais au contraire ce qui est sacré pour les uns est pour les autres profane, et ce qui est honnête chez les uns, vilain chez les autres. Suivant donc l’éducation que chacun a reçue, il se repent de telle chose faite par lui ou s’en glorifie.
L’orgueil consiste à faire de soi-même par amour de soi plus de cas qu’il n’est juste.
L’orgueil diffère donc de la surestime en ce que celle-ci se rapporte à un objet extérieur, l’orgueil à l’homme même qui fait de lui plus de cas qu’il n’est juste. En outre, de même que la surestime par rapport à l’amour, l’orgueil est un effet ou une propriété de la philautie et peut donc se définir : la philautie ou le contentement de soi-même en tant qu’il affecte l’homme de telle sorte qu’il fasse de lui-même plus de cas qu’il n’est juste (voir Scolie de la Proposition 26). À cet affect il n’y a pas de contraire. Car personne, par haine de soi, ne fait de soi trop peu de cas ; et même personne ne fait de soi moins de cas qu’il n’est juste en tant qu’il imagine ne pouvoir ceci ou cela. Tout ce que l’homme imagine qu’il ne peut pas, en effet il l’imagine nécessairement, et est disposé par cette imagination de telle sorte qu’il ne puisse réellement pas faire ce qu’il imagine ne pas pouvoir. Car, aussi longtemps qu’il imagine ne pas pouvoir ceci ou cela, il n’est pas déterminé à le faire, et conséquemment il lui est impossible de le faire. Si, en revanche, nous avons égard à ce qui dépend de la seule opinion, nous pourrons concevoir qu’il arrive à un homme de faire de lui-même trop peu de cas ; il peut arriver en effet que quelqu’un, considérant tristement sa faiblesse, imagine que tous le méprisent, et cela alors que les autres ne pensent à rien moins qu’à le mépriser. Un homme peut encore faire de lui-même trop peu de cas, si dans le temps présent il nie de lui-même quelque chose relativement au temps futur, duquel il est incertain ; comme lorsqu’on nie que l’on puisse rien concevoir de certain ou que l’on puisse désirer ou faire autre chose que du vicieux et du vilain, etc. Nous pouvons dire ensuite que quelqu’un fait de lui-même trop peu de cas quand nous le voyons, par crainte excessive de la honte, ne pas oser ce qu’osent ses égaux. Nous pouvons donc opposer à l’orgueil cet affect que j’appellerai abaissement ; comme du contentement de soi naît l’orgueil en effet, l’abaissement naît de l’humilité et peut donc se définir ainsi :
L’abaissement consiste à faire de soi par tristesse moins de cas qu’il n’est juste.
Nous avons coutume, il est vrai, d’opposer à l’orgueil l’humilité, mais c’est qu’alors nous avons égard plutôt à leurs effets qu’à leur nature. Nous avons coutume de nommer orgueilleux en effet celui qui se glorifie trop (Scolie de la Proposition 30), ne raconte de lui que ses vertus et que les vices des autres, veut être préféré à tous et se présente avec la même gravité et dans le même appareil que font habituellement les personnes placées fort au-dessus de lui.
Nous appelons humble, au contraire, celui qui rougit fréquemment, avoue ses vices et raconte les vertus d’autrui, s’efface devant tous et va enfin la tête basse, négligeant de se parer. Ces affects, l’humilité et l’abaissement, veux-je dire, sont d’ailleurs très rares. Car la nature humaine, considérée en elle-même, leur oppose résistance le plus qu’elle peut (Propositions 13 et 54), et ainsi ceux que l’on croit être le plus pleins d’abaissement et d’humilité, sont généralement le plus ambitieux et envieux.
La gloire est une joie qu’accompagne l’idée d’une action nôtre, que nous imaginons qui est louée par d’autres
La honte est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une action, que nous imaginons qui est blâmée par d’autres.
Voir sur ces affects le Scolie de la Proposition 30. Mais il faut noter ici la différence qui est entre la honte et le respect. La honte est une tristesse qui suit une chose faite dont on rougit. Le respect est la crainte ou la peur de la honte, par où l’homme est empêché de commettre quelque chose de vilain. Au respect on oppose d’ordinaire l’impudence qui, en réalité, n’est pas un affect, comme je le montrerai en son lieu ; les noms des affects (j’en ai déjà fait l’observation) se rapportent à leur usage plus qu’à leur nature. J’ai ainsi fini d’expliquer les affects de tristesse et de joie que je m’étais proposé d’examiner. J’en viens donc à ceux que je rapporte au désir.
Le regret est le désir ou l’appétit de posséder une chose, qui est alimenté par le souvenir de cette chose et en même temps réfréné par le souvenir d’autres choses qui excluent l’existence de celle où se porterait l’appétit.
Quand il nous souvient d’une chose, comme nous l’avons déjà dit souvent, nous sommes par cela même disposés à la considérer avec le même affect que si elle était là présente ; mais cette disposition ou cet effort est le plus souvent, pendant la veille, inhibé par les images des choses excluant l’existence de celle dont il nous souvient. Quand donc nous nous rappelons une chose qui nous affecte d’un certain genre de joie, nous nous efforçons par cela même avec le même affect de joie à la considérer comme présente, et cet effort est aussitôt inhibé par le souvenir des choses qui excluent l’existence de la première. Le regret est donc en réalité une tristesse qui s’oppose la joie provenant de l’absence d’une chose que nous haïssons ; voir sur cette dernière le Scolie de la Proposition 47. Comme toutefois le mot de regret semble être relatif à un désir, je rapporte cet affect aux affects de désir.
L’émulation est le désir d’une chose qui est engendré en nous parce que nous imaginons que d’autres ont ce même désir.
Qui fuit, qui a peur parce qu’il voit les autres fuir ou avoir peur, qui même, à la vue d’un autre homme se brûlant la main, retire la main et déplace son corps comme s’il s’était lui-même brûlé la main, nous dirons certes qu’il imite l’affect d’autrui et non qu’il a de l’émulation ; ce n’est pas que nous sachions une cause de l’imitation différente de celle de l’émulation, mais l’usage a fait que nous appelions émule celui-là seul qui imite ce que nous jugeons honnête, utile ou agréable. Voir, du reste, sur la cause de l’émulation la Proposition 27 avec son Scolie. Pour ce que maintenant à cet affect se joint le plus souvent de l’envie, voir Proposition 32 avec son Scolie.
La reconnaissance ou gratitude est un désir ou un empressement d’amour par lequel nous nous efforçons de faire du bien à qui nous en a fait par un pareil affect d’amour à notre égard. Voir Proposition 39 avec le Scolie de la Proposition 41.
La bienveillance est un désir de faire du bien à celui pour qui nous avons de la commisération. Voir Scolie de la Proposition 27.
La colère est un désir qui nous excite à faire du mal par haine à celui que nous haïssons. Voir Proposition 39.
La vengeance est un désir qui nous excite à faire du mal par une haine réciproque à qui, du fait d’un pareil affect à notre égard, nous a porté dommage. Voir Corollaire 2 de la Proposition 40 avec son Scolie.
La cruauté ou férocité est un désir qui excite quelqu’un à faire du mal à celui que nous aimons ou qui nous inspire commisération.
À la cruauté s’oppose la clémence qui n’est pas une passion, mais une puissance de l’esprit par laquelle l’homme modère la colère et la vengeance.
La peur est un désir d’éviter un mal plus grand, que nous craignons, par un moindre. Voir Scolie de la Proposition 39.
L’audace est un désir qui excite quelqu’un à faire quelque action en courant un danger que ses pareils craignent d’affronter.
La pusillanimité se dit de celui dont le désir est réfréné par la peur d’un danger que ses égaux osent affronter.
La pusillanimité n’est donc rien d’autre que la crainte d’un mal que la plupart n’ont pas coutume de craindre ; c’est pourquoi je ne la rapporte pas aux affects de désir. J’ai cependant voulu en donner ici l’explication parce qu’en tant que nous portons notre attention sur le désir, elle s’oppose réellement à l’affect de l’audace.
La consternation se dit de celui dont le désir d’éviter un mal est réfréné par l’étonnement du mal dont il a peur.
La consternation est donc une espèce de pusillanimité. Mais, comme elle naît d’une peur double, elle peut être définie plus commodément comme étant la crainte qui contient de telle sorte un homme frappé de stupeur ou flottant, qu’il ne puisse écarter le mal. Je dis frappé de stupeur, en tant que nous comprenons son désir d’écarter le mal comme réfréné par l’étonnement. Je dis flottant, en tant que nous concevons ce désir comme réfréné par la peur d’un autre mal qui le tourmente également ; d’où vient qu’il ne sait lequel des deux détourner. Voir à ce sujet Scolie de la Proposition 39 et Scolie de la Proposition 52. En outre, sur la pusillanimité et l’audace, voir Scolie de la Proposition 51.
L’humanité ou la modestie est un désir de faire ce qui plaît aux hommes et de ne pas faire ce qui leur déplaît.
L’ambition est un désir immodéré de gloire.
L’ambition est un désir par lequel tous les affects sont alimentés et fortifiés (Propositions 27 et 31) ; par suite, cet affect peut difficilement être vaincu. Aussi longtemps en effet qu’un homme est tenu par un désir, il est en même temps tenu par celui-là. « Les meilleurs, dit Cicéron, sont les plus sensibles à l’attrait de la gloire. Même les philosophes qui écrivent des livres sur le mépris de la gloire y inscrivent leur nom », etc.
La gourmandise est un désir immodéré, ou même un amour, de la chère.
L’ivrognerie est un désir immodéré et un amour de la boisson.
L’avarice est un désir immodéré et un amour des richesses.
La lubricité est aussi un désir et un amour de l’union des corps.
Que ce désir du coït soit modéré ou ne le soit pas, on a coutume de l’appeler lubricité. De plus, ces cinq affects (comme je l’ai fait observer dans le Scolie de la Proposition 56) n’ont pas de contraires. Car la Modestie est une espèce d’ambition, comme on le voit dans le Scolie de la Proposition 29. Ensuite, j’ai déjà fait observer que la Tempérance, la Sobriété et la Chasteté ne sont pas des passions, mais des puissances de l’esprit. Et bien qu’il puisse arriver qu’un homme avare, ambitieux ou peureux, s’abstienne des excès de table, de boisson ou de coït, l’avarice cependant, l’ambition et la peur ne sont pas contraires à la gourmandise, à l’ivrognerie ou à la lubricité. Car l’avare souhaite la plupart du temps se gorger de nourriture et de boisson aux dépens d’autrui. L’ambitieux, pourvu qu’il ait l’espoir de n’être pas découvert, ne se tempèrera en rien et, s’il vit parmi des ivrognes et des lubriques, il sera, par son ambition même, plus enclin aux mêmes vices. Le peureux enfin fait ce qu’il ne veut pas. Car bien qu’il jette à la mer ses richesses pour éviter la mort, il demeure avare ; et si le lubrique est triste de ne pouvoir se satisfaire, il ne cesse pas pour cela d’être lubrique. Et d’une manière générale ces affects ne concernent pas tant les actes mêmes de manger, boire, etc., que le désir et l’amour de ces actes. On ne peut donc rien opposer à ces affects, sinon la générosité et la Fermeté d’âme dont nous parlerons plus tard.
Je passe sous silence les définitions de la jalousie et des autres fluctuations de l’âme, tant parce qu’elles naissent d’une combinaison des affects déjà définis que parce que la plupart n’ont pas de noms ; ce qui montre qu’il suffit pour l’usage de la vie de les connaître seulement en général. Il est d’ailleurs clair, par les définitions des affects que nous avons expliqués, que tous naissent du désir, de la joie ou de la tristesse, ou plutôt ne sont rien que ces trois qui tous ont coutume d’être appelés de divers noms à cause de leurs relations variées et de leurs dénominations extrinsèques. Si maintenant nous avons égard à ces affects primitifs et à ce que nous avons dit plus haut de la nature de l’esprit, nous pourrons définir comme il suit les affects en tant qu’ils se rapportent à l’esprit seul.
Un affect, dit pathème de l’âme, est une idée confuse par laquelle l’esprit affirme une force d’exister de son corps, ou d’une partie d’icelui, plus grande ou moindre qu’auparavant, et qui étant donnée, fait que l’esprit lui-même est déterminé à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre.
Je dis en premier lieu qu’un affect ou passion de l’âme est une idée confuse. Nous avons montré en effet que l’esprit est passif (Proposition 3) en tant seulement qu’il a des idées inadéquates ou confuses. Je dis ensuite par laquelle l’esprit affirme une force d’exister de son corps ou d’une partie d’icelui plus grande ou moindre qu’auparavant. Toutes les idées de corps que nous avons, indiquent plutôt en effet l’état actuel de notre corps (Corollaire 2 de la Proposition 16, p. II) que la nature du corps extérieur ; et celle qui constitue la forme d’un affect doit indiquer ou exprimer l’état qu’a le corps lui-même ou une de ses parties, par suite de ce que sa puissance d’agir ou sa force d’exister est accrue ou diminuée, secondée ou réfrénée. On doit noter toutefois que, si je dis force d’exister plus grande ou moindre qu’auparavant, je n’entends point par là que l’esprit compare l’état présent du corps avec le passé, mais que l’idée constituant la forme de l’affect affirme du corps quelque chose qui enveloppe effectivement plus ou moins de réalité qu’auparavant. Et comme l’essence de l’esprit consiste (Propositions 11 et 13, p. II) en ce qu’il affirme l’existence actuelle de son corps, et que par perfection nous entendons quant à nous l’essence même d’une chose, il suit donc que l’esprit passe à une perfection plus grande ou moindre, quand il lui arrive d’affirmer de son corps ou d’une partie d’icelui quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant. Quand donc j’ai dit plus haut que la puissance de penser de l’esprit était accrue ou diminuée, je n’ai rien voulu entendre, sinon que l’esprit avait formé de son corps, ou d’une partie d’icelui, une idée exprimant plus ou moins de réalité qu’il n’en avait précédemment affirmé de son corps. Car on estime la valeur des idées et la puissance actuelle de penser suivant la valeur de l’objet. J’ai ajouté enfin que par cette idée donnée l’esprit est déterminé à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre, afin d’exprimer, outre la nature de la tristesse ou de la joie qu’explique la première partie de la définition, celle aussi du désir.
Plerique, qui de Affectibus, & hominum vivendi ratione scripserunt, videntur, non de rebus naturalibus, quae communes naturae leges sequuntur, sed de rebus, quae extra naturam sunt, agere. Imo hominem in natura, veluti imperium in imperio, concipere videntur. Nam hominem naturae ordinem magis perturbare, quam sequi, ipsumque in suas actiones absolutam habere potentiam, nec aliunde, quam a se ipso determinari, credunt. Humanae deinde impotentiae, & inconstantiae causam non communi naturae potentiae, sed, nescio cui naturae humanae vitio, tribuunt, quam propterea flent, rident, contemnunt, vel, quod plerumque fit, detestantur; &, qui humanae Mentis impotentiam eloquentius, vel argutius carpere novit, veluti Divinus habetur. Non defuerunt tamen viri praestantissimi (quorum labori, & industriae nos multum debere fatemur), qui de recta vivendi ratione praeclara multa scripserint, & plena prudentiae consilia mortalibus dederint; verum Affectuum naturam, & vires, & quid contra Mens in iisdem moderandis possit, nemo, quod sciam, determinavit. Scio equidem celeberrimum Cartesium, licet etiam crediderit, Mentem in suas actiones absolutam habere potentiam, Affectus tamen humanos per primas suas causas explicare, simulque viam ostendere studuisse, qua Mens in Affectus absolutum habere possit imperium; sed, mea quidem sententia, nihil praeter magni sui ingenii acumen ostendit, ut suo loco demonstrabo. Nam ad illos revertere volo, qui hominum Affectus, & actiones detestari, vel ridere malunt, quam intelligere. His sine dubio mirum videbitur, quod hominum vitia, & ineptias more Geometrico tractare aggrediar, & certa ratione demonstrare velim ea, quae rationi repugnare, quaeque vana, absurda, & horrenda esse clamitant. Sed mea haec est ratio. Nihil in natura fit, quod ipsius vitio possit tribui; est namque natura semper eadem, & ubique una, eademque ejus virtus, & agendi potentia, hoc est, naturae leges, & regulae, secundum quas omnia fiunt, & ex unis formis in alias mutantur, sunt ubique, & semper eaedem, atque adeo una, eademque etiam debet esse ratio rerum qualiumcunque naturam intelligendi, nempe per leges, & regulas naturae universales. Affectus itaque odii, irae, invidiae &c. in se considerati ex eadem naturae necessitate, & virtute consequuntur, ac reliqua singularia; ac pro inde certas causas agnoscunt, per quas intelliguntur, certasque proprietates habent, cognitione nostra aeque dignas, ac proprietates cujuscunque alterius rei, cujus sola contemplatione delectamur. De Affectuum itaque natura, & viribus, ac Mentis in eosdem potentia eadem Methodo agam, qua in praecedentibus de Deo, & Mente egi, & humanas actiones, atque appetitus considerabo perinde, ac si Quaestio de lineis, planis, aut de corporibus esset.
I. Causam adaequatam appello eam, cujus effectus potest clare, & distincte per eandem percipi. Inadaequatam autem, seu partialem illam voco, cujus effectus per ipsam solam intelligi nequit.
II. Nos tum agere dico, cum aliquid in nobis, aut extra nos fit, cujus adaequata sumus causa, hoc est (per Defin. praeced.) cum ex nostra natura aliquid in nobis, aut extra nos sequitur, quod per eandem solam potest clare, & distincte intelligi. At contra nos pati dico, cum in nobis aliquid fit, vel ex nostra natura aliquid sequitur, cujus nos non, nisi partialis, sumus causa.
III. Per Affectum intelligo Corporis affectiones, quibus ipsius Corporis agendi potentia augetur, vel minuitur, juvatur, vel coercetur, & simul harum affectionum ideas.
Si itaque alicujus harum affectionum adaequata possimus esse causa, tum per Affectum actionem intelligo, alias passionem.
I.Corpus humanum potest multis affici modis, quibus ipsius agendi potentia augetur, vel minuitur, & etiam aliis, qui ejusdem agendi potentiam nec majorem, nec minorem reddunt.
Hoc Postulatum, seu Axioma nititur Postulato 1 & Lemmata 5 & 7, quae vide post Prop. 13 p. 2.
II. Corpus humanum multas pati potest mutationes, & nihilominus retinere objectorum impressiones, seu vestigia (de quibus vide Post. 5 p. 2), & consequenter easdem rerum imagines; quarum Defin. vide Schol. Prop. 17 p. 2.
Mens nostra quaedam agit, quaedam vero patitur, nempe quatenus adaequatas habet ideas, eatenus quaedam necessario agit, & quatenus ideas habet inadaequatas, eatenus necessario quaedam patitur.
Cujuscunque humanae Mentis ideae aliae adaequatae sunt, aliae autem mutilatae, & confusae (per Schol. 1 et 2 Prop. 40 p. 2). Ideae autem, quae in alicujus Mente sunt adaequatae, sunt in Deo adaequatae, quatenus ejusdem Mentis essentiam constituit (per Coroll. Prop. 11 p. 2), & quae deinde inadaequatae sunt in Mente, sunt etiam in Deo (per idem Coroll.) adaequatae, non quatenus ejusdem solummodo Mentis essentiam, sed etiam quatenus aliarum rerum Mentes in se simul continet. Deinde ex data quacunque idea aliquis effectus sequi necessario debet (per Prop. 36 p. 1), cujus effectus Deus causa est adaequata (vide Defin. 1 hujus), non quatenus infinitus est, sed quatenus data illa idea affectus consideratur (vide Prop. 9 p. 2). At ejus effectus, cujus Deus est causa, quatenus affectus est idea, quae in alicujus Mente est adaequata, illa eadem Mens est causa adaequata (per Coroll. Prop. 11 p. 2). Ergo Mens nostra (per Defin. 2 hujus), quatenus ideas habet adaequatas, quaedam necessario agit, quod erat primum. Deinde quicquid necessario sequitur ex idea, quae in Deo est adaequata, non quatenus Mentem unius hominis tantum, sed quatenus aliarum rerum Mentes simul cum ejusdem hominis Mente in se habet, ejus (per idem Coroll. Prop. 11 p. 2) illius hominis Mens non est causa adaequata, sed partialis, ac proinde (per Defin. 2 hujus) Mens quatenus ideas inadaequatas habet, quaedam necessario patitur. Quod erat secundum. Ergo Mens nostra, &c. Q.E.D.
Hinc sequitur Mentem eo pluribus passionibus esse obnoxiam, quo plures ideas inadaequatas habet, & contra eo plura agere, quo plures habet adaequatas.
Nec Corpus Mentem ad cogitandum, nec Mens Corpus ad motum, neque ad quietem, nec ad aliquid (si quid est) aliud determinare potest.
Omnes cogitandi modi Deum, quatenus res est cogitans, & non quatenus alio attributo explicatur, pro causa habent (per Prop. 6 p. 2); id ergo, quod Mentem ad cogitandum determinat, modus cogitandi est, & non Extensionis, hoc est (per Defin. 1 p. 2), non est Corpus: Quod erat primum. Corporis deinde motus, & quies ab alio oriri debet corpore, quod etiam ad motum, vel quietem determinatum fuit ab alio, & absolute, quicquid in corpore oritur, id a Deo oriri debuit, quatenus aliquo Extensionis modo, & non quatenus aliquo cogitandi modo affectus consideratur (per eandem Prop. 6 p. 2), hoc est, a Mente, quae (per Prop. 11 p. 2) modus cogitandi est, oriri non potest; Quod erat secundum. Ergo nec Corpus Mentem &c. Q.E.D.
Haec clarius intelliguntur ex iis, quae in Scholio Propositionis 7 Partis 2 dicta sunt, quod scilicet Mens, & Corpus una, eademque res sit, quae jam sub Cogitationis, jam sub Extensionis attributo concipitur. Unde fit, ut ordo, sive rerum concatenatio una sit, sive natura sub hoc, sive sub illo attributo concipiatur, consequenter ut ordo actionum, & passionum Corporis nostri simul sit natura cum ordine actionum, & passionum Mentis: Quod etiam patet ex modo, quo Propositionem 12 Partis 2 demonstravimus. At, quamvis haec ita se habeant, ut nulla dubitandi ratio supersit, vix tamen credo, nisi rem experientia comprobavero, homines induci posse ad haec aequo animo perpendendum, adeo firmiter persuasi sunt, Corpus ex solo Mentis nutu jam moveri, jam quiescere, plurimaque agere, quae a sola Mentis voluntate, & excogitandi arte pendent. Etenim, quid Corpus possit, nemo hucusque determinavit, hoc est, neminem hucusque experientia docuit, quid Corpus ex solis legibus naturae, quatenus corporea tantum consideratur, possit agere, & quid non possit, nisi a Mente determinetur. Nam nemo hucusque Corporis fabricam tam accurate novit, ut omnes ejus functiones potuerit explicare, ut jam taceam, quod in Brutis plura observentur, quae humanam sagacitatem longe superant, & quod somnambuli in somnis plurima agant, quae vigilando non auderent; quod satis ostendit, ipsum Corpus ex solis suae naturae legibus multa posse, quae ipsius Mens admiratur. Deinde nemo scit, qua ratione, quibusve mediis Mens moveat corpus, neque quot motus gradus possit corpori tribuere, quantaque cum celeritate idem movere queat. Unde sequitur, cum homines dicunt, hanc, vel illam actionem Corporis oriri a Mente, quae imperium in Corpus habet, eos nescire, quid dicant, nec aliud agere, quam speciosis verbis fateri, se veram illius actionis causam absque admiratione ignorare. At dicent, sive sciant, sive nesciant, quibus mediis Mens moveat Corpus, se tamen experiri, quod, nisi Mens humana apta esset ad excogitandum, Corpus iners esset. Deinde se experiri, in sola Mentis potestate esse, tam loqui, quam tacere, & alia multa, quae proinde a Mentis decreto pendere credunt. Sed, quod ad primum attinet, ipsos rogo, num experientia non etiam doceat, quod si contra Corpus iners sit, Mens simul ad cogitandum sit inepta? Nam cum Corpus somno quiescit, Mens simul cum ipso sopita manet, nec potestatem habet, veluti cum vigilat, excogitandi. Deinde omnes expertos esse credo, Mentem non semper aeque aptam esse ad cogitandum de eodem subjecto; sed, prout Corpus aptius est, ut in eo hujus, vel illius objecti imago excitetur, ita Mentem aptiorem esse ad hoc, vel illud objectum contemplandum. At dicent ex solis legibus naturae, quatenus corporea tantum consideratur, fieri non posse, ut causae aedificiorum, picturarum, rerumque hujusmodi, quae sola humana arte fiunt, possint deduci, nec Corpus humanum, nisi a Mente determinaretur, ducereturque, pote esset ad templum aliquod aedificandum. Verum ego jam ostendi, ipsos nescire, quid Corpus possit, quidve ex sola ipsius naturae contemplatione possit deduci, ipsosque plurima experiri ex solis naturae legibus fieri, quae nunquam credidissent posse fieri, nisi ex Mentis directione, ut sunt ea, quae somnambuli in somnis agunt, quaeque ipsi, dum vigilant, admirantur. Addo hic ipsam Corporis humani fabricam, quae artificio longissime superat omnes, quae humana arte fabricatae sunt, ut jam taceam, quod supra ostenderim, ex natura, sub quovis attributo considerata, infinita sequi. Quod porro ad secundum attinet, sane longe felicius sese res humanae haberent, si aeque in hominis potestate esset tam tacere, quam loqui. At experientia satis superque docet, homines nihil minus in potestate habere, quam linguam, nec minus posse, quam appetitus moderari suos; unde factum, ut plerique credant, nos ea tantum libere agere, quae leviter petimus, quia earum rerum appetitus facile contrahi potest memoria alterius rei, cujus frequenter recordamur; sed illa minime, quae magno cum affectu petimus, & qui alterius rei memoria sedari nequit. Verumenimvero nisi experti essent, nos plura agere, quorum postea paenitet, nosque saepe, quando sc. contrariis affectibus conflictamur, meliora videre, & deteriora sequi, nihil impediret, quominus crederent, nos omnia libere agere. Sic infans, se lac libere appetere credit, puer autem iratus vindictam velle, & timidus fugam. Ebrius deinde credit, se ex libero Mentis decreto ea loqui, quae postea sobrius vellet tacuisse: sic delirans, garrula, puer, & hujus farinae plurimi ex libero Mentis decreto credunt loqui; cum tamen loquendi impetum, quem habent, continere nequeant, ita ut ipsa experientia non minus clare, quam ratio doceat, quod homines ea sola de causa liberos se esse credant, quia suarum actionum sunt conscii, & causarum, a quibus determinantur, ignari; & praeterea quod Mentis decreta nihil sint praeter ipsos appetitus, quae propterea varia sunt pro varia Corporis dispositione. Nam unusquisque ex suo affectu omnia moderatur, & qui praeterea contrariis affectibus conflictantur, quid velint, nesciunt; qui autem nullo, facili momento huc, atque illuc pelluntur. Quae omnia profecto clare ostendunt, Mentis tam decretum, quam appetitum, & Corporis determinationem simul esse natura, vel potius unam, eandemque rem, quam, quando sub Cogitationis attributo consideratur, & per ipsum explicatur, decretum appellamus, & quando sub Extensionis attributo consideratur, & ex legibus motus, & quietis deducitur, determinationem vocamus; quod adhuc clarius ex jam dicendis patebit. Nam aliud est, quod hic apprime notari vellem, nempe, quod nos nihil ex Mentis decreto agere possumus, nisi ejus recordemur. Ex. gr. non possumus verbum loqui, nisi ejusdem recordemur. Deinde in libera Mentis potestate non est rei alicujus recordari, vel ejusdem oblivisci. Quare hoc tantum in Mentis potestate esse creditur, quod rem, cujus recordamur, vel tacere, vel loqui ex solo Mentis decreto possumus. Verum cum nos loqui somniamus, credimus nos ex libero Mentis decreto loqui, nec tamen loquimur, vel, si loquimur, id ex Corporis spontaneo motu fit. Somniamus deinde, nos quaedam homines celare, idque eodem Mentis decreto, quo, dum vigilamus, ea, quae scimus, tacemus. Somniamus denique, nos ex Mentis decreto quaedam agere, quae, dum vigilamus, non audemus, atque adeo pervelim scire, an in Mente duo decretorum genera dentur, Phantasticorum unum, & Liberorum alterum? Quod si eo usque insanire non libet, necessario concedendum est, hoc Mentis decretum, quod liberum esse creditur, ab ipsa imaginatione, sive memoria non distingui, nec aliud esse praeter illam affirmationem, quam idea, quatenus idea est, necessario involvit (vide Prop. 49 p. 2). Atque adeo haec Mentis decreta eadem necessitate in Mente oriuntur, ac ideae rerum actu existentium. Qui igitur credunt, se ex libero Mentis decreto loqui, vel tacere, vel quicquam agere, oculis apertis somniant.
Mentis actiones ex solis ideis adaequatis oriuntur; passiones autem a solis inadaequatis pendent.
Primum, qod Mentis essentiam constituit, nihil aliud est, quam idea Corporis actu existentis (per Prop. 11 & 13 p. 2), quae (per Prop. 15 p. 2) ex multis aliis componitur, quarum quaedam (per Coroll. Prop. 38 p. 2) sunt adaequatae, quaedam autem inadaequatae (per Coroll. Prop. 29 p. 2). Quicquid ergo ex Mentis natura sequitur, & cujus Mens causa est proxima, per quam id debet intelligi, necessario ex idea adaequata, vel inadaequata sequi debet. At quatenus Mens (per Prop.1 hujus) ideas habet inadaequatas, eatenus necessario patitur; ergo Mentis actiones ex solis ideis adaequatis sequuntur, & Mens propterea tantum patitur, quia ideas habet inadaequatas. Q.E.D.
Videmus itaque passiones ad Mentem non referri, nisi quatenus aliquid habet, quod negationem involvit, sive quatenus consideratur naturae pars, quae per se absque aliis non potest clare, & distincte percipi; & hac ratione ostendere possem, passiones eodem modo ad res singulares, ac ad Mentem referri, nec alia ratione posse percipi; sed meum institutum est, de sola Mente humana agere.
Nulla res, nisi a causa externa, potest destrui.
Haec Propositio per se patet; definitio enim cujuscunque rei ipsius rei essentiam affirmat, sed non negat; sive rei essentiam ponit, sed non tollit. Dum itaque ad rem ipsam tantum, non autem ad causas externas attendimus, nihil in eadem poterimus invenire, quod ipsam possit destruere. Q.E.D.
Res eatenus contrariae sunt naturae, hoc est, eatenus in eodem subjecto esse nequeunt, quatenus una alteram potest destruere.
Si enim inter se convenire, vel in eodem subjecto simul esse possent, posset ergo in eodem subjecto aliquid dari, quod ipsum posset destruere, quod (per Prop. praeced.) est absurdum. Ergo res &c. Q.E.D.
Unaquaeque res, quantum in se est, in suo esse perseverare conatur.
Res enim singulares modi sunt, quibus Dei attributa certo, & determinato modo exprimuntur (per Coroll. Prop. 25 p. 1), hoc est (per Prop. 34 p. 1) res, quae Dei potentiam, qua Deus est, & agit, certo, & determinato modo exprimunt; neque ulla res aliquid in se habet, a quo possit destrui, sive quod ejus existentiam tollat (per Prop. 4 hujus); sed contra ei omni, quod ejusdem existentiam potest tollere, opponitur (per Prop. praeced.), adeoque quantum potest, & in se est, in suo esse persevarare conatur. Q.E.D.
Conatus, quo unaquaeque res in suo esse perseverare conatur, nihil est praeter ipsius rei actualem essentiam.
Ex data cujuscunque rei essentia quaedam necessario sequuntur (per Prop. 36 p. 1), nec res aliud possunt, quam id, quod ex determinata earum natura necessario sequitur (per Prop. 29 p. 1); quare cujuscunque rei potentia, sive conatus, quo ipsa vel sola, vel cum aliis quidquam agit, vel agere conatur, hoc est (per Prop. 6 hujus) potentia, sive conatus, quo in suo esse perseverare conatur, nihil est praeter ipsius rei datam, sive actualem essentiam. Q.E.D.
Conatus, quo unaquaeque res in suo esse perseverare conatur, nullum tempus finitum, sed indefinitum involvit.
Si enim tempus limitatum involveret, quod rei durationem determinaret, tum ex sola ipsa potentia, qua res existit, sequeretur, quod res post limitatum illud tempus non posset existere, sed quod deberet destrui; atqui hoc (per Prop. 4 hujus) est absurdum: ergo conatus, quo res existit, nullum tempus definitum involvit; sed contra, quoniam (per eandem Prop. 4 hujus), si a nulla externa causa destruatur, eadem potentia, qua jam existit, existere perget semper; ergo hic conatus tempus indefinitum involvit. Q.E.D.
Mens tam quatenus claras, & distinctas, quam quatenus confusas habet ideas, conatur in suo esse perseverare indefinita quadam duratione, & hujus sui conatus est conscia.
Mentis essentia ex ideis adaequatis, & inadaequatis constituitur (ut in Prop. 3 hujus ostendimus), adeoque (per Prop. 7 hujus) tam quatenus has, quam quatenus illas habet, in suo esse perseverare conatur; idque (per Prop. 8 hujus) indefinita quadam duratione. Cum autem Mens (per Prop. 23 p. 2) per ideas affectionum Corporis necessario sui sit conscia, est ergo (per Prop. 7 hujus) Mens sui conatus conscia. Q.E.D.
Hic conatus, cum ad Mentem solam refertur, Voluntas appellatur; sed cum ad Mentem, & Corpus simul refertur, vocatur Appetitus, qui proinde nihil aliud est, quam ipsa hominis essentia, ex cujus natura ea, quae ipsius conservationi inserviunt, necessario sequuntur; atque adeo homo ad eadem agendum determinatus est. Deinde inter appetitum, & cupiditatem nulla est differentia, nisi quod cupiditas ad homines plerumque referatur, quatenus sui appetitus sunt conscii, & propterea sic definiri potest, nempe, Cupiditas est appetitus cum ejusdem conscientia. Constat itaque ex his omnibus, nihil nos conari, velle, appetere, neque cupere, quia id bonum esse judicamus; sed contra nos propterea, aliquid bonum esse, judicare, quia id conamur, volumus, appetimus, atque cupimus.
Idea, quae Corporis nostri existentiam secludit, in nostra Mente dari nequit, sed eidem est contraria.
Quicquid Corpus nostrum potest destruere, in eodem dari nequit (per Prop. 5 hujus), adeoque neque ejus rei idea potest in Deo dari, quatenus nostri Corporis ideam habet (per Coroll. Prop. 9 p. 2), hoc est (per Prop.11 & 13 p. 2), ejus rei idea in nostra Mente dari nequit; sed contra, quoniam (per Prop.11 & 13 p. 2) primum, quod Mentis essentiam constituit, est idea corporis actu existentis, primum, & praecipuum nostrae Mentis conatûs est (per Prop. 7 hujus), Corporis nostri existentiam affirmare; atque adeo idea, quae Corporis nostri existentiam negat, nostrae Menti est contraria &c. Q.E.D.
Quicquid Corporis nostri agendi potentiam auget, vel minuit, juvat, vel coercet, ejusdem rei idea Mentis nostrae cogitandi potentiam auget, vel minuit, juvat, vel coercet.
Haec Propositio patet ex Propositione 7 Partis 2, vel etiam ex Propositione 14 Partis 2.
Videmus itaque Mentem magnas posse pati mutationes, & jam ad majorem, jam autem ad minorem perfectionem transire, quae quidem passiones nobis explicant affectus Laetitiae & Tristitiae. Per Laetitiam itaque in sequentibus intelligam passionem, qua Mens ad majorem perfectionem transit. Per Tristitiam autem passionem, qua ipsa ad minorem transit perfectionem. Porro affectum Laetitiae, ad Mentem, Corpus simul relatum, Titillationem, vel Hilaritatem voco; Tristitiae autem Dolorem, vel Melancholiam. Sed notandum, Titillationem, & Dolorem ad hominem referri, quando una ejus pars prae reliquis est affecta; Hilaritatem autem, & Melancholiam, quando omnes pariter sunt affectae. Quid deinde Cupiditas sit, in Scholio Propositionis 9 hujus Partis explicui, & praeter hos tres nullum alium agnosco affectum primarium: nam reliquos ex his tribus oriri in seqq. ostendam. Sed antequam ulterius pergam, lubet hic fusius Propositionem 10 hujus Partis explicare, ut clarius intelligatur, qua ratione idea ideae sit contraria.
In Scholio Propositionis 17 Partis 2 ostendimus, ideam, quae Mentis essentiam constituit, Corporis existentiam tamdiu involvere, quamdiu ipsum Corpus existit. Deinde ex iis, quae in Coroll. Prop. 8 Part. 2 & in ejusdem Schol. ostendimus, sequitur, praesentem nostrae Mentis existentiam ab hoc solo pendere, quod sc. Mens actualem Corporis existentiam involvit. Denique Mentis potentiam, qua ipsa res imaginatur, earumque recordatur, ab hoc etiam pendere ostendimus (vide Prop. 17 & 18 p. 2 cum ejus Schol.), quod ipsa actualem Corporis existentiam involvit. Ex quibus sequitur, Mentis praesentem existentiam, ejusque imaginandi potentiam tolli, simulatque Mens praesentem Corporis existentiam affirmare desinit. At causa, cur Mens hanc Corporis existentiam affirmare desinit, non potest esse ipsa Mens (per Prop. 4 hujus), nec etiam, quod Corpus esse desinit. Nam (per Prop. 6 p. 2) causa, cur Mens Corporis existentiam affirmat, non est, quia Corpus existere incepit: quare, per eandem rationem, nec ipsius Corporis existentiam affirmare desinit, quia Corpus esse desinit; sed (per Prop. 8 p. 2) hoc ab alia idea oritur, quae nostri Corporis, & consequenter nostrae Mentis, praesentem existentiam secludit, quaeque adeo ideae, quae nostrae Mentis essentiam constituit, est contraria.
Mens, quantum potest, ea imaginari conatur, quae Corporis agendi potentiam augent, vel juvant.
Quamdiu humanum Corpus affectum est modo, qui naturam corporis alicujus externi involvit, tamdiu Mens humana idem corpus, ut praesens, contemplabitur (per Prop. 17 p. 2), & consequenter (per Prop. 7 p. 2) quamdiu Mens humana aliquod externum corpus, ut praesens, contemplatur, hoc est (per ejusdem Prop. 17 Schol.), imaginatur, tamdiu humanum Corpus affectum est modo, qui naturam ejusdem corporis externi involvit; atque adeo, quamdiu Mens ea imaginatur, quae corporis nostri agendi potentiam augent, vel juvant, tamdiu Corpus affectum est modis, qui ejusdem agendi potentiam augent, vel juvant (vide Post. 1 hujus), & consequenter (per Prop. 11 hujus) tamdiu Mentis cogitandi potentia augetur, vel juvatur; ac proinde (per Prop. 6 vel 9 hujus) Mens, quantum potest, eadem imaginari conatur. Q.E.D.
Cum Mens ea imaginatur, quae Corporis agendi potentiam minuunt, vel coercent, conatur, quantum potest, rerum recordari, quae horum existentiam secludunt.
Quamdiu Mens quicquam tale imaginatur, tamdiu Mentis, & Corporis potentia minuitur, vel coercetur (ut in praeced. Prop. demonstravimus), & nihilominus id tamdiu imaginabitur, donec Mens aliud imaginetur, quod hujus praesentem existentiam secludat (per Prop. 17 p. 2), hoc est (ut modo ostendimus), Mentis, & Corporis potentia tamdiu minuitur, vel coercetur, donec Mens aliud imaginetur, quod hujus existentiam secludit, quodque adeo Mens (per Prop. 9 hujus), quantum potest, imaginari, vel recordari conabitur. Q.E.D.
Hinc sequitur, quod Mens ea imaginari aversatur, quae ipsius, & Corporis potentiam minuunt, vel coercent.
Ex his clare intelligimus, quid Amor, quidque Odium sit. Nempe Amor nihil aliud est, quam Laetitia, concomitante idea causae externae, & Odium nihil aliud, quam Tristitia, concomitante idea causae externae. Videmus deinde, quod ille, qui amat, necessario conatur rem, quam amat, praesentem habere, & conservare; & contra, qui odit, rem, quam odio habet, amovere, & destruere conatur. Sed de his omnibus in seqq. prolixius.
Si Mens duobus affectibus simul affecta semel fuit, ubi postea eorum alterutro afficietur, afficietur etiam altero.
Si Corpus humanum a duobus corporibus simul affectum semel fuit, ubi Mens postea eorum alterutrum imaginatur, statim & alterius recordabitur (per Prop. 18 p. 2). At Mentis imaginationes magis nostri Corporis affectus, quam corporum externorum naturam indicant (per Coroll. 2 Prop. 16 p. 2): ergo si Corpus, & consequenter Mens (vide Defin. 3 hujus) duobus affectibus semel affecta fuit, ubi postea eorum alterutro afficietur, afficietur etiam altero. Q.E.D.
Res quaecunque potest esse per accidens causa Laetitiae, Tristitiae, vel Cupiditatis.
Ponatur Mens duobus affectibus simul affici, uno scilicet, qui ejus agendi potentiam neque auget, neque minuit, & altero, qui eandem vel auget, vel minuit (vide Post. 1 hujus). Ex praecedenti Propositione patet, quod ubi Mens postea illo a sua vera causa, quae (per Hypothesin) per se ejus cogitandi potentiam nec auget, nec minuit, afficietur, statim & hoc altero, qui ipsius cogitandi potentiam auget, vel minuit, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus) Laetitia, vel Tristitia afficietur; atque adeo, illa res non per se, sed per accidens causa erit Laetitiae, vel Tristitiae. Atque hac eadem via facile ostendi potest, rem illam posse per accidens causam esse Cupiditatis. Q.E.D.
Ex eo solo, quod rem aliquam affectu Laetitiae, vel Tristitiae, cujus ipsa non est causa efficiens, contemplati sumus, eandem amare, vel odio habere possumus.
Nam ex hoc solo fit (per Prop. 14 hujus), ut Mens hanc rem postea imaginando, affectu Laetitiae, vel Tristitiae afficiatur, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), ut Mentis, & Corporis potentia augeatur, vel minuatur, &c. Et consequenter (per Prop. 12 hujus) ut Mens eandem imaginari cupiat, vel (per Coroll. Prop. 13 hujus) aversetur, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), ut eandem amet, vel odio habeat. Q.E.D.
Hinc intelligimus, qui fieri potest, ut quaedam amemus, vel odio habeamus, absque ulla causa nobis cognita; sed tantum ex Sympathia (ut ajunt) & Antipathia. Atque huc referenda etiam ea objecta, quae nos Laetitia, vel Tristitia afficiunt ex eo solo, quod aliquid simile habent objectis, quae nos iisdem affectibus afficere solent, ut in seq. Prop. ostendam. Scio equidem Auctores, qui primi haec nomina Sympathiae, & Antipathiae introduxerunt, significare iisdem voluisse rerum occultas quasdam qualitates; sed nihilominus credo nobis licere, per eadem notas, vel manifestas etiam qualitates intelligere.
Ex eo solo, quod rem aliquam aliquid habere imaginamur simile objecto, quod Mentem Laetitia, vel Tristitia afficere solet, quamvis id, in quo res objecto est similis, non sit horum affectuum afficiens causa, eam tamen amabimus, vel odio habebimus.
Id, quod simile est objecto, in ipso objecto (per Hypothesin) cum affectu Laetitiae, vel Tristitiae contemplati sumus; atque adeo (per Prop. 14 hujus), cum Mens ejus imagine afficietur, statim etiam hoc, vel illo afficietur affectu, & consequenter res, quam hoc idem habere percipimus, erit (per Prop. 15 hujus) per accidens Laetitiae, vel Tristitiae causa; adeoque (per Coroll. praeced.), quamvis id, in quo objecto est similis, non sit horum affectuum causa efficiens, eam tamen amabimus, vel odio habebimus. Q.E.D.
Si re
Est enim (per Hypothesin) haec res per se Tristitiae causa, & (per Schol. Prop. 13 hujus) quatenus eandem hoc affectu imaginamur, eandem odio habemus: & quatenus praeterea aliquid habere imaginamur simile alteri, quae nos aeque magno Laetitiae affectu afficere solet, aeque magno Laetitiae conamine amabimus (per Prop. praeced.); atque adeo eandem odio habebimus, & simul amabimus. Q.E.D.
Haec Mentis constitutio, quae scilicet ex duobus contrariis affectibus oritur, animi vocatur fluctuatio, quae proinde affectum respicit, ut dubitatio imaginationem (vide Schol. Prop. 44 p. 2); nec animi fluctuatio, & dubitatio inter se differunt, nisi secundum majus & minus. Sed notandum, me in Propositione praecedenti has animi fluctuationes ex causis deduxisse, quae per se unius, & per accidens alterius affectus sunt causa; quod ideo feci, quia sic facilius ex praecedentibus deduci poterant; at non, quod negem, animi fluctuationes plerumque oriri ab objecto, quod utriusque affectus sit efficiens causa. Nam Corpus humanum (per Post. 1 p. 2) ex plurimis diversae naturae individuis componitur, atque adeo (per Axiom. 1 post Lem. 3, quod vide post Prop. 13 p. 2) ab uno, eodemque corpore plurimis, diversisque modis potest affici; & contra, quia una, eademque res multis modis potest affici, multis ergo etiam, diversisque modis unam, eandemque corporis partem afficere poterit. Ex quibus facile concipere possumus, unum, idemque objectum posse esse causam multorum, contrariorumque affectuum.
Homo ex imagine rei praeteritae, aut futurae eodem Laetitiae, & Tristitiae affectu afficitur, ac ex imagine rei praesentis.
Quamdiu homo rei alicujus imagine affectus est, rem ut praesentem, tametsi non existat, contemplabitur (per Prop. 17 p. 2 cum ejusdem Coroll.), nec ipsam ut praeteritam, aut futuram imaginatur; nisi quatenus ejus imago juncta est imagini temporis praeteriti, aut futuri (vide Schol. Prop. 44 p. 2). Quare rei imago, in se sola considerata, eadem est, sive ad tempus futurum, vel praeteritum, sive ad praesens referatur, hoc est (per Coroll. 2 Prop. 16 p. 2), Corporis constitutio, seu affectus idem est, sive imago sit rei praeteritae, vel futurae, sive praesentis; atque adeo affectus Laetitiae & Tristitiae idem est, sive imago sit rei praeteritae, aut futurae, sive praesentis. Q.E.D.
Rem eatenus praeteritam, aut futuram hic voco, quatenus ab eadem affecti fuimus, aut afficiemur. Ex. gr. quatenus ipsam vidimus, aut videbimus, nos refecit, aut reficiet, nos laesit, aut laedet, &c. Quatenus enim eandem sic imaginamur, eatenus ejus existentiam affirmamus, hoc est, Corpus nullo affectu afficitur, qui rei existentiam secludat; atque adeo (per Prop. 17 p. 2) Corpus ejusdem rei imagine eodem modo afficitur, ac si res ipsa praesens adesset. Verumenimvero, quia plerumque fit, ut ii, qui plura sunt experti, fluctuent, quamdiu rem, ut futuram, vel praeteritam contemplantur, deque rei eventu ut plurimum dubitent (vide Schol. Prop. 44 p. 2), hinc fit, ut affectus, qui ex similibus rerum imaginibus oriuntur, non sint adeo constantes, sed ut plerumque aliarum rerum imaginibus perturbentur, donec homines de rei eventu certiores fiant.
Ex modo dictis intelligimus, quid sit Spes, Metus, Securitas, Desperatio, Gaudium, & Conscientiae morsus. Spes namque nihil aliud est, quam inconstans Laetitia, orta ex imagine rei futurae, vel praeteritae, de cujus eventu dubitamus. Metus contra inconstans Tristitia, ex rei dubiae imagine etiam orta. Porro si horum affectuum dubitatio tollatur, ex Spe fit Securitas, & ex Metu Desperatio; nempe Laetitia, vel Tristitia, orta ex imagine rei, quam metuimus, vel speravimus. Gaudium deinde est Laetitia, orta ex imagine rei praeteritae, de cujus eventu dubitavimus. Conscientiae denique morsus est tristitia, opposita gaudio.
Qui id, quod amat, destrui imaginatur, contristabitur; si autem conservari, laetabitur.
Mens, quantum potest, ea imaginari conatur, quae Corporis agendi potentiam augent, vel juvant (per Prop. 12 hujus), hoc est (per Schol. ejusdem Prop.), ea, quae amat. At imaginatio ab iis juvatur, quae rei existentiam ponunt, & contra coercetur iis, quae rei existentiam secludunt (per Prop. 17 p. 2); ergo rerum imagines, quae rei amatae existentiam ponunt, Mentis conatum, quo rem amatam imaginari conatur, juvant, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), Laetitia Mentem afficiunt; & quae contra rei amatae existentiam secludunt, eundem Mentis conatum coercent, hoc est (per idem Schol.), Tristitia Mentem afficiunt. Qui itaque id, quod amat, destrui imaginatur, contristabitur, &c. Q.E.D.
Qui id, quod odio habet, destrui imaginatur, laetabitur.
Mens (per Prop. 13 hujus) ea imaginari conatur, quae rerum existentiam, quibus Corporis agendi potentia minuitur, vel coercetur, secludunt, hoc est (per Schol. ejusdem Prop.), ea imaginari conatur, quae rerum, quas odio habet, existentiam secludunt; atque adeo rei imago, quae existentiam ejus, quod Mens odio habet, secludit, hunc Mentis conatum juvat, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), Mentem Laetitia afficit. Qui itaque id, quod odio habet, destrui imaginatur, laetabitur. Q.E.D.
Qui id, quod amat, Laetitia, vel Tristitia affectum imaginatur, Laetitia etiam, vel Tristitia afficietur; & uterque hic affectus major, aut minor erit in amante, prout uterque major, aut minor est in re amata.
Rerum imagines (ut in Prop. 19 hujus demonstravimus), quae rei amatae existentiam ponunt, Mentis conatum, quo ipsam rem amatam imaginari conatur, juvant. Sed Laetitia existentiam rei laetae ponit, & eo magis, quo Laetitiae affectus major est: est enim (per Schol. Prop. 11 hujus) transitio ad majorem perfectionem: ergo imago Laetitiae rei amatae in amante ipsius Mentis conatum juvat, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), amantem Laetitia afficit, & eo majori, quo major hic affectus in re amata fuerit. Quod erat primum. Deinde quatenus res aliqua Tristitia afficitur, eatenus destruitur, & eo magis, quo majori afficitur Tristitia (per idem Schol. Prop. 11 hujus); adeoque (per Prop. 19 hujus) qui id, quod amat, Tristitia affici imaginatur, Tristitia etiam afficietur, & eo majori, quo major hic affectus in re amata fuerit. Q.E.D.
Si aliquem imaginamur Laetitia afficere rem, quam amamus, Amore erga eum afficiemur. Si contra eundem imaginamur Tristitia eandem afficere, econtra Odio etiam contra ipsum afficiemur.
Qui rem, quam amamus Laetitia, vel Tristitia afficit, ille nos Laetitia, vel Tristitia etiam afficit, si nimirum rem amatam Laetitia illa, vel Tristitia affectam imaginamur (per Prop. praeced.). At haec Laetitia, vel Tristitia in nobis supponitur dari, concomitante idea causae externae; ergo (per Schol. Prop. 13 hujus), si aliquem imaginamur Laetitia, vel Tristitia afficere rem, quam amamus, erga eundem Amore, vel Odio afficiemur. Q.E.D.
Propositio 21 nobis explicat, quid sit Commiseratio, quam definire possumus, quod sit Tristitia orta ex alterius damno. Quo autem nomine appellanda sit Laetitia, quae ex alterius bono oritur, nescio. Porro Amorem erga illum, qui alteri bene fecit, Favorem, & contra Odium erga illum, qui alteri male fecit, Indignationem appellabimus. Denique notandum, nos non tantum misereri rei, quam amavimus (ut in Prop. 21 ostendimus), sed etiam ejus, quam antea nullo affectu prosecuti sumus; modo eam nobis similem judicemus (ut infra ostendam). Atque adeo ei etiam favere, qui simili bene fecit, & contra in eum indignari, qui simili damnum intulit.
Qui id, quod odio habet, Tristitia affectum imaginatur, laetabitur; si contra idem Laetitia affectum esse imaginetur, contristabitur; & uterque hic affectus major, aut minor erit, prout ejus contrarius major, aut minor est in eo, quod odio habet.
Quatenus res odiosa Tristitia afficitur, eatenus destruitur, & eo magis, quo majori Tristitia afficitur (per Schol. Prop. 11 hujus). Qui igitur (per Prop. 20 hujus) rem, quam odio habet, Tristitia affici imaginatur, Laetitia contra afficietur; & eo majori, quo majori Tristitia rem odiosam affectam esse imaginatur; quod erat primum. Deinde Laetitia existentiam rei laetae ponit (per idem Schol. Prop. 11 hujus), & eo magis, quo major Laetitia concipitur. Si quis eum, quem odio habet, Laetitia affectum imaginatur, haec imaginatio (per Prop. 13 hujus) ejusdem conatum coercebit, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), is, qui odio habet, Tristitia afficietur. &c. Q.E.D.
Haec Laetitia vix solida, & absque ullo animi conflictu esse potest. Nam (ut statim in Propositione 27 hujus ostendam) quatenus rem sibi similem Tristitiae affectu affici imaginatur, eatenus contristari debet; & contra, si eandem Laetitia affici imaginetur. Sed hic ad solum Odium attendimus.
Si aliquem imaginamur Laetitia afficere rem, quam odio habemus, Odio etiam erga eum afficiemur. Si contra eundem imaginamur Tristitia eandem rem afficere, Amore erga ipsum afficiemur.
Demonstratur eodem modo haec Propositio, ac Propositio 22 hujus, quam vide.
Hi, & similes Odii affectus ad Invidiam referuntur, quae propterea nihil aliud est, quam ipsum Odium, quatenus id consideratur hominem ita disponere, ut malo alterius gaudeat, & contra ut ejusdem bono contristetur.
Id omne de nobis, deque re amata affirmare conamur, quod nos, vel rem amatam Laetitia afficere, imaginamur; & contra id omne negare, quod nos, vel rem amatam Tristitia afficere, imaginamur.
Quod rem amatam Laetitia, vel Tristitia afficere imaginamur, id nos Laetitia, vel Tristitia afficit (per Prop. 21 hujus). At Mens (per Prop. 12 hujus) ea, quae nos Laetitia afficiunt, quantum potest, conatur imaginari, hoc est (per Prop. 17 p. 2 & ejus Coroll.), ut praesentia contemplari; & contra (per Prop. 13 hujus), quae nos Tristitia afficiunt, eorum existentiam secludere; ergo id omne de nobis, deque re amata affirmare conamur, quod nos, vel rem amatam Laetitia afficere, imaginamur, & contra. Q.E.D.
Id omne de re, quam odio habemus, affirmare conamur, quod ipsam Tristitia afficere imaginamur, & id contra negare, quod ipsam Laetitia afficere imaginamur.
Sequitur haec Propositio ex Propositione 23 ut praecedens ex Propositione 21 hujus.
His videmus, facile contingere, ut homo de se, deque re amata plus justo, & contra de re, quam odit, minus justo sentiat, quae quidem imaginatio, quando ipsum hominem respicit, qui de se plus justo sentit, Superbia vocatur, & species Delirii est, quia homo oculis apertis somniat, se omnia illa posse, quae sola imaginatione assequitur, quaeque propterea, veluti realia, contemplatur, iisque exultat, quamdiu ea imaginari non potest, quae horum existentiam secludunt, & ipsius agendi potentiam determinant. Est igitur Superbia Laetitia ex eo orta, quod homo de se plus justo sentit. Deinde Laetitia, quae ex eo oritur, quod homo de alio plus justo sentit, Existimatio vocatur; & illa denique Despectus, quae ex eo oritur, quod de alio minus justo sentit.
Ex eo, quod rem nobis similem, & quam nullo affectu prosecuti sumus, aliquo affectu affici imaginamur, eo ipso simili affectu afficimur.
Rerum imagines sunt Corporis humani affectiones, quarum ideae corpora externa, veluti nobis praesentia, repraesentant (per Schol. Prop. 17 p. 2), hoc est (per Prop.16 p. 2), quarum ideae naturam nostri Corporis, & simul praesentem externi corporis naturam involvunt. Si igitur corporis externi natura similis sit naturae nostri Corporis, tum idea corporis externi, quod imaginamur, affectionem nostri Corporis involvet similem affectioni corporis externi; & consequenter, si aliquem nobis similem aliquo affectu affectum imaginamur, haec imaginatio affectionem nostri Corpus huic affectui similem exprimet; adeoque ex hoc, quod rem aliquam nobis similem aliquo affectu affici imaginamur, simili cum ipsa affectu afficimur. Quod si rem nobis similem odio habeamus, eatenus (per Prop. 23 hujus) contrario affectu cum ipsa afficiemur, non autem simili. Q.E.D.
Haec affectuum imitatio, quando ad Tristitiam refertur, vocatur Commiseratio (de qua vide Schol. Prop. 22 hujus); sed ad Cupiditatem relata Aemulatio, quae proinde nihil aliud est, quam alicujus res Cupiditas, quae in nobis ingeneratur ex eo, quod alios nobis similes eandem Cupiditatem habere imaginamur.
Si aliquem, quem nullo affectu prosecuti sumus, imaginamur Laetitia afficere rem nobis similem, Amore erga eundem afficiemur. Si contra eundem imaginamur eandem Tristitia afficere, contra Odio erga ipsum afficiemur.
Rem, cujus nos miseret, odio habere non possumus ex eo, quod ipsius miseria nos Tristitia afficit.
Si enim ex eo nos eandem odio habere possemus, tum (per Prop. 23 hujus) ex ipsius Tristitia laetaremur, quod est contra Hypothesin.
Rem, cujus nos miseret, a miseria, quantum possumus, liberare conabimur.
Id, quod rem, cujus nos miseret, Tristitia afficit, nos simili etiam Tristitia afficit (per Prop. praeced.); adeoque omne id, quod ejus rei existentiam tollit, sive quod rem destruit, comminisci conabimur (per Prop. 13 hujus), hoc est (per Schol. Prop. 9 hujus) id destruere appetemus, sive ad id destruendum determinabimur; atque adeo rem, cujus miseremur, a sua miseria liberare conabimur. Q.E.D.
Haec voluntas, sive appetitus benefaciendi, qui ex eo oritur, quod rei, in quam beneficium conferre volumus, nos miseret, Benevolentia vocatur, quae proinde nihil aliud est, quam Cupiditas ex commiseratione orta. Caeterum de Amore, & Odio erga illum, qui rei, quam nobis similem esse imaginamur, bene, aut male fecit, vide Schol. Prop. 22 hujus.
Id omne, quod ad Laetitiam conducere imaginamur, conamur promovere, ut fiat; quod vero eidem repugnare, sive ad Tristitiam conducere imaginamur, amovere, vel destruere conamur.
Quod ad Laetitiam conducere imaginamur, quantum possumus, imaginari conamur (per Prop. 12 hujus), hoc est (per Prop. 17 p. 2), id, quantum possumus, conabimur ut praesens, sive ut actu existens contemplari. Sed Mentis conatus, seu potentia in cogitando aequalis, & simul natura est cum Corporis conatu, seu potentia in agendo (ut clare sequitur ex Coroll. Prop. 7 & Coroll. Prop. 11 p. 2): ergo, ut id existat, absolute conamur, sive (quod per Schol. Prop. 9 hujus idem est) appetimus, & intendimus; quod erat primum. Deinde si id, quod Tristitiae causam esse credimus, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), si id, quod odio habemus, destrui imaginamur, laetabimur (per Prop. 20 hujus), adeoque idem (per primam hujus partem) conabimur destruere, sive (per Prop.13 hujus) a nobis amovere, ne ipsum, ut praesens contemplemur; quod erat secundum. Ergo id omne, quod ad Laetitiam, & Q.E.D.
Nos id omne etiam agere conabimur, quod* homines cum Laetitia aspicere imaginamur, & contra id agere aversabimur, quod homines aversari imaginamur. (* N.B. Intellige hic, & in seqq. homines, quos nullo affectu prosequuti sumus.)
Ex eo, quod imaginamur homines aliquid amare, vel odio habere, nos idem amabimus, vel odio habebimus (per Prop. 27 hujus), hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), eo ipso ejus rei praesentia laetabimur, vel contristabimur; adeoque (per Prop. praeced.) id omne, quod homines amare, sive cum Laetitia aspicere imaginamur, conabimur agere, &c. Q.E.D.
Hic conatus aliquid agendi, & etiam omittendi, ea sola de causa, ut hominibus placeamus, vocatur Ambitio, praesertim quando adeo impense vulgo placere conamur, ut cum nostro, aut alterius damno quaedam agamus, vel omittamus; alias Humanitas appellari solet. Deinde Laetitiam, qua alterius actionem, qua nos conatus est delectari, imaginamur, Laudem voco; Tristitiam vero, qua contra ejusdem actionem aversamur, Vituperium voco.
Si quis aliquid egit, quod reliquos Laetitia afficere imaginatur, is Laetitia, concomitante idea sui, tanquam causa, afficietur; sive se ipsum cum Laetitia contemplabitur. Si contra aliquid egit, quod reliquos Tristitia afficere imaginatur, se ipsum cum Tristitia contra contemplabitur.
Qui se reliquos Laetitia, vel Tristitia afficere imaginatur, eo ipso (per Prop. 27 hujus) Laetitia, vel Tristitia afficietur. Cum autem homo (per Prop. 19 & 23 p. 2) sui sit conscius per affectiones, quibus ad agendum determinatur, ergo, qui aliquid egit, quod ipse imaginatur, reliquos Laetitia afficere, Laetitia cum conscientia sui, tanquam causa, afficietur, sive seipsum cum Laetitia contemplabitur, & contra. Q.E.D.
Cum Amor (per Schol. Prop. 13 hujus) sit Laetitia, concomitante idea causae externae, & Odium Tristitia concomitante etiam idea causae externae, erit ergo haec Laetitia, & Tristitia Amoris, & Odii species. Sed quia Amor, & Odium ad objecta externa referuntur, ideo hos Affectus aliis nominibus significabimus; nempe Laetitiam, concomitante idea causae externae, Gloriam, & Tristitiam huic contrariam Pudorem appellabimus: Intellige, quando Laetitia, vel Tristitia ex eo oritur, quod homo, se laudari, vel vituperari credit, alias Laetitiam, concomitante idea causae externae, Acquiescentiam in se ipso, Tristitiam vero eidem contrariam Poenitentiam vocabo. Deinde quia (per Coroll. Prop. 17 p. 2) fieri potest, ut Laetitia, qua aliquis se reliquos afficere imaginatur, imaginaria tantum sit, & (per Prop. 25 hujus) unusquisque de se id omne conatur imaginari, quod se Laetitia afficere imaginatur, facile ergo fieri potest, ut gloriosus superbus sit, & se omnibus gratum esse imaginetur, quando omnibus molestus est.
Si aliquem imaginamur amare, vel cupere, vel odio habere aliquid, quod ipsi amamus, cupimus, vel odio habemus, eo ipso rem constantius amabimus, &c. Si autem id, quod amamus, eum aversari imaginamur, vel contra, tum animi fluctuationem patiemur.
Ex eo solo, quod aliquem aliquid amare imaginamur, eo ipso idem amabimus (per Prop. 27 hujus). At sine hoc nos idem amare supponimus; accedit ergo Amori nova causa, a qua fovetur; atque adeo id, quod amamus, hoc ipso constantius amabimus. Deinde ex eo, quod aliquem aliquid aversari imaginamur, idem aversabimur (per eandem Prop.). At si supponamus, nos eodem tempore id ipsum amare, eodem ergo tempore hoc idem amabimus, & aversabimur, sive (vide Schol. Prop. 17 hujus) animi fluctuationem patiemur. Q.E.D.
Hinc, & ex. Prop. 28 hujus sequitur, unumquemque, quantum potest, conari, ut unusquisque id, quod ipse amat, amet, & quod ipse odit, odio etiam habeat; unde illud Poetae:
Speremus pariter, pariter metuamus amantes;
Speremus pariter, pariter metuamus amantes;
Hic conatus efficiendi, ut unusquisque probet id, quod ipse amat, vel odio habet, revera est Ambitio (vide Schol. Prop. 29 hujus); atque adeo videmus, unumquemque ex natura appetere, ut reliqui ex ipsius ingenio vivant, quod dum omnes pariter appetunt, pariter sibi impedimento, & dum omnes ab omnibus laudari, seu amari volunt, odio invicem sunt.
Si aliquem re aliqua, qua unus solus potiri potest, gaudere imaginamur, conabimur efficere, ne ille illa re potiatur.
Ex eo solo, quod aliquem re aliqua gaudere imaginamur (per Prop. 27 hujus cum ejusdem Coroll. 1), rem illam amabimus, eaque gaudere cupiemus. At (per Hypothesin) huic Laetitiae obstare imaginamur, quod ille eadem hac re gaudeat; ergo (per Prop. 28 hujus), ne ille eadem potiatur, conabimur. Q.E.D.
Videmus itaque, cum hominum natura plerumque ita comparatum esse, ut eorum, quibus male est, misereantur, & quibus bene est, invideant, & (per Prop. praeced.) eo majore odio, quo rem, qua alium potiri imaginantur, magis amant. Videmus deinde, ex eadem naturae humanae proprietate, ex qua sequitur, homines esse misericordes, sequi etiam eosdem esse invidos, & ambitiosos. Denique, si ipsam experientiam consulere velimus, ipsam haec omnia docere experiemur; praesertim si ad priores nostrae aetatis annos attenderimus. Nam pueros, quia eorum corpus continuo veluti in aequilibrio est, ex hoc solo ridere, vel flere experimur, quod alios ridere, vel flere vident; & quicquid praeterea vident alios facere, id imitari statim volunt, & omnia denique sibi cupiunt, quibus alios delectari imaginantur; nimirum quia rerum imagines, uti diximus, sunt ipsae humani Corporis affectiones, sive modi, quibus Corpus humanum a causis externis afficitur, disponiturque ad hoc, vel illud agendum.
Cum rem nobis similem amamus, conamur, quantum possumus, efficere, ut nos contra amet.
Rem, quam amamus, prae reliquis, quantum possumus, imaginari conamur (per Prop. 12 hujus). Si igitur res nobis sit similis, ipsam prae reliquis Laetitia afficere conabimur (per Prop. 29 hujus) sive conabimur, quantum possumus, efficere, ut res amata Laetitia afficiatur, concomitante idea nostri, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), ut nos contra amet. Q.E.D.
Quo majori affectu rem amatam erga nos affectam esse imaginamur, eo magis gloriabimur.
Nos (per Prop. praeced.) conamur, quantum possumus, ut res amata nos contra amet, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), ut res amata Laetitia afficiatur, concomitante idea nostri. Quo itaque rem amatam majori Laetitia nostra de causa affectam esse imaginamur, eo magis hic conatus juvatur, hoc est (per Prop. 11 hujus cum ejus Schol.), eo majore Laetitia afficimur. At cum ex eo laetemur, quod alium nobis similem Laetitia affecimus, tum nosmet cum Laetitia contemplamur (per Prop. 30 hujus): ergo quo majori affectu rem amatam erga nos affectam esse imaginamur, eo majori Laetitia nosmet contemplabimur, sive (per Schol. Prop. 30 hujus) eo magis gloriabimur. Q.E.D.
Si quis imaginatur rem amatam eodem, vel arctiore vinculo Amicitiae, quo ipse eadem solus potiebatur, alium sibi jungere, Odio erga ipsam rem amatam afficietur, & illi alteri invidebit.
Quo quis majore amore rem amatam erga se affectam esse imaginatur, eo magis gloriabitur (per Prop. praeced.), hoc est (per Schol. Prop. 30 hujus), laetabitur; adeoque (per Prop. 28 hujus) conabitur, quantum potest, imaginari, rem amatam ipsi quam arctissime devinctam, qui quidem conatus, sive appetitus fomentatur, si alium idem sibi cupere imaginatur (per Prop. 31 hujus). At hic conatus, sive appetitus ab ipsius rei amatae imagine, concomitante imagine illius, quem res amata sibi jungit, coerceri supponitur; ergo (per Schol. Prop. 11 hujus) eo ipso Tristitia afficietur, concomitante idea rei amatae, tanquam causa, & simul imagine alterius, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), odio erga rem amatam afficietur, & simul erga illum alterum (per Coroll. Prop. 15 hujus), cui propterea (per Prop. 23 hujus) quod re amata delectatur, invidebit. Q.E.D.
Hoc Odium erga rem amatam Invidiae junctum Zelotypia vocatur, quae proinde nihil aliud est, quam animi fluctuatio orta ex Amore, & Odio simul, concomitante idea alterius, cui invidetur. Praeterea hoc Odium erga xem amatam majus erit pro ratione Laetitiae, qua Zelotypus ex reciproco rei amatae Amore solebat affici, & etiam pro ratione affectus, quo erga illum, quem sibi rem amatam jungere imaginatur, affectus erat. Nam si eum oderat, eo ipso rem amatam (per Prop. 24 hujus) odio habebit, quia ipsam id, quod ipse odio habet, Laetitia afficere imaginatur; & etiam (per Coroll. Prop. 15 hujus) ex eo, quod rei amatae imaginem imagini ejus, quem odit, jungere cogitur, quae ratio plerumque locum habet in Amore erga faeminam; qui enim imaginatur mulierem, quam amat, alteri sese prostituere, non solum ex eo, quod ipsius appetitus coercetur, contristabitur; sed etiam, quia rei amatae imaginem pudendis, & excrementis alterius jungere cogitur, eandem aversatur; ad quod denique accedit, quod Zelotypus non eodem vultu, quem res amata ei praebere solebat, ab eadem excipiatur, qua etiam de causa amans contristatur, ut jam ostendam.
Qui rei, qua semel delectatus est, recordatur, cupit eadem cum iisdem potiri circumstantiis, ac cum primo ipsa delectatus est.
Quicquid homo simul cum re, quae ipsum delectavit, vidit, id omne (per Prop. 15 hujus) erit per accidens Laetitiae causa; adeoque (per Prop. 28 hujus) omni eo simul cum re, quae ipsum delectavit, potiri cupiet, sive re cum omnibus iisdem circumstantiis potiri cupiet, ac cum primo eadem delectatus est. Q.E.D.
Si itaque unam ex iis circumstantiis deficere compererit, amans contristabitur.
Nam quatenus aliquam circumstantiam deficere comperit, eatenus aliquid imaginatur, quod ejus rei existentiam secludit. Cum autem ejus rei, sive circumstantiae (per Prop. praeced.) sit prae amore cupidus, ergo (per Prop. 19 hujus), quatenus eandem deficere imaginatur, contristabitur. Q.E.D.
Haec Tristitia, quatenus absentiam ejus, quod amamus, respicit, Desiderium vocatur.
Cupiditas, quae prae Tristitia, vel Laetitia, praeque Odio, vel Amore oritur, eo est major, quo affectus major est.
Tristitia hominis agendi potentiam (per Schol. Prop. 11 hujus) minuit, vel coercet, hoc est (per Prop. 7 hujus), conatum, quo homo in suo esse perseverare conatur, minuit, vel coercet; adeoque (per Prop. 5 hujus) huic conatui est contraria; & quicquid homo Tristitia affectus conatur, est Tristitiam amovere. At (per eandem Tristitiae Defin.) quo Tristitia major est, eo majori parti hominis agendi potentiae necesse est opponi; ergo quo major Tristitia est, eo majore agendi potentia conabitur homo eontra Tristitiam amovere, hoc est (per Schol. Prop. 9 hujus), eo majore cupiditate, sive appetitu conabitur Tristitiam amovere. Deinde, quoniam Laetitia (per idem Schol. Prop. 11 hujus) hominis agendi potentiam auget, vel juvat, facile eadem via demonstratur, quod homo, Laetitia affectus, nihil aliud cupit, quam eandem conservare, idque eo majore Cupiditate, quo Laetitia major erit. Denique, quoniam Odium, & Amor sunt ipsi Laetitiae, vel Tristitiae affectus, sequitur eodem modo, quod conatus, appetitus, sive Cupiditas, quae prae Odio, vel Amore oritur, major erit pro ratione Odii, & Amoris. Q.E.D.
Si quis rem amatam odio habere inceperit, ita ut Amor plane aboleatur, eandem majore odio, ex pari causa, prosequetur, quam si ipsam nunquam amavisset, & eo majori, quo Amor antea major fuerat.
Nam si quis rem, quam amat, odio habere incipit, plures ejus appetitus coercentur, quam si eandem non amavisset. Amor namque Laetitia est (per Schol. Prop. 13 hujus), quam homo, quantum potest (per Prop. 28 hujus) conservare conatur; idque (per idem Schol.) rem amatam, ut praesentem, contemplando, eandemque (per Prop. 21 hujus) Laetitia, quantum potest, afficiendo, qui quidem conatus (per Prop. praeced.) eo est major, quo amor major est, ut & conatus efficiendi, ut res amata ipsum contra amet (vide Prop. 33 hujus). At hi conatus odio erga rem amatam coercentur (per Coroll. Prop. 13 & per Prop. 23 hujus); ergo amans (per Schol. Prop. 11 hujus) hac etiam de causa Tristitia afficietur, & eo majori, quo Amor major fuerat, hoc est, praeter Tristitiam, quae Odii fuit causa, alia ex eo oritur, quod rem amavit; & consequenter majore Tristitiae affectu rem amatam contemplabitur, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), majori odio prosequetur, quam si eandem non amavisset, & eo majori, quo amor major fuerat. Q.E.D.
Qui aliquem Odio habet, ei malum inferre conabitur, nisi ex eo majus sibi malum oriri timeat; & contra, qui aliquem amat, ei eadem lege benefacere conabitur.
Aliquem odio habere est (per Schol. Prop. 13 hujus) aliquem, ut Tristitiae causam, imaginari; adeoque (per Prop. 28 hujus) is, qui aliquem odio habet, eundem amovere, vel destruere conabitur. Sed si inde aliquid tristius, sive (quod idem est) majus malum sibi timeat, idque se vitare posse credit, non inferendo ei, quem odit, malum, quod meditabatur, a malo inferendo (per eandem Prop. 28 hujus) abstinere cupiet; idque (per Prop. 37 hujus) majore conatu, quam quo tenebatur inferendi malum, qui propterea praevalebit, ut volebamus. Secundae partis demonstratio eodem modo procedit. Ergo qui aliquem odio habet, &c. Q.E.D.
Per bonum hic intelligo omne genus Laetitiae, & quicquid porro ad eandem conducit, & praecipue id, quod desiderio, qualecunque illud sit, satisfacit. Per malum autem omne Tristitiae genus, & praecipue id, quod desiderium frustratur. Supra enim (in Schol. Prop. 9 hujus) ostendimus, nos nihil cupere, quia id bonum esse judicamus, sed contra id bonum vocamus, quod cupimus; & consequenter id, quod aversamur, malum appellamus; quare unusquisque ex suo affectu judicat, seu aestimat, quid bonum, quid malum, quid melius, quid pejus, & quid denique optimum, quidve pessimum sit. Sic Avarus argenti copiam optimum, ejus autem inopiam pessimum judicat. Ambitiosus autem nihil aeque, ac Gloriam cupit, & contra nihil aeque, ac Pudorem, reformidat. Invido deinde nihil jucundius, quam alterius infelicitas, & nihil molestius, quam aliena felicitas; ac sic unusquisque ex suo affectu rem aliquam bonam, aut malam, utilem, aut inutilem esse judicat. Caeterum hic affectus, quo homo ita disponitur, ut id, quod vult, nolit, vel ut id, quod non vult, velit, Timor, vocatur, qui proinde nihil aliud est, quam metus, quatenus homo ab eodem disponitur, ad malum, quod futurum judicat, minore vitandum (vide Prop. 28 hujus). Sed si malum, quod timet, Pudor sit, tum Timor appellatur Verecundia. Denique si cupiditas malum futurum vitandi coercetur Timore alterius mali, ita ut quid potius velit, nesciat, tum Metus vocatur Consternatio, praecipue si utrumque malum, quod timetur, ex maximis sit.
Qui se odio haberi ab aliquo imaginatur, nec se ullam odii causam illi dedisse credit, eundem odio contra habebit.
Qui aliquem odio affectum imaginatur, eo ipso etiam odio afficietur (per Prop. 27 hujus), hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus) Tristitia, concomitante idea causae externae. At ipse (per Hypothesin) nullam hujus Tristitiae causam imaginatur praeter illum, qui ipsum odio habet; ergo ex hoc, quod se odio haberi ab aliquo imaginatur, Tristitia afficietur, concomitante idea ejus, qui ipsum odio habet, sive (per idem Schol.) eundem odio habebit. Q.E.D.
Quod si se justam Odii causam praebuisse imaginatur, tum (per Prop. 30 hujus & ejusdem Schol.) Pudore afficietur. Sed hoc (per Prop. 25 hujus) raro contingit. Praeterea haec Odii reciprocatio oriri etiam potest ex eo, quod Odium sequatur conatus malum inferendi ei, qui odio habetur (per Prop. 39 hujus). Qui igitur se odio haberi ab aliquo imaginatur, eundem alicujus mali, sive Tristitiae causam imaginabitur; atque adeo Tristitia afficietur, seu Metu, concomitante idea ejus, qui ipsum odio habet, tanquam causa, hoc est, odio contra afficietur, ut supra.
Qui, quem amat, odio erga se affectum imaginatur, Odio, & Amore simul conflictabitur. Nam quatenus imaginatur, ab eodem se odio haberi, determinatur (per Prop. praeced.), ad eundem contra odio habendum. At (per Hypothesin) ipsum nihilominus amat: ergo Odio, & Amore simul conflictabitur.
Si aliquis imaginatur, ab aliquo, quem antea nullo affectu prosecutus est, malum aliquod prae Odio sibi illatum esse, statim idem malum eidem referre conabitur.
Qui aliquem Odio erga se affectum esse imaginatur, eum contra (per Prop. praeced.) odio habebit, & (per Prop. 26 hujus) id omne comminisci conabitur, quod eundem possit Tristitia afficere, atque id eidem (per Prop. 39 hujus) inferre studebit. At (per Hypothesin) primum, quod hujusmodi imaginatur, est malum sibi illatum; ergo idem statim eidem inferre conabitur. Q.E.D.
Conatus malum inferendi ei, quem odimus, Ira vocatur; conatus autem malum nobis illatum referendi Vindicta appellatur.
Si quis ab aliquo se amari imaginatur, nec se ullam ad id causam dedisse credit (quod per Coroll. Prop. 15 & per Prop. 16 hujus fieri potest), eundem contra amabit.
Haec Propositio eadem via demonstratur, ac praecedens. Cujus etiam Scholium vide.
Quod si se justam Amoris causam praebuisse crediderit gloriabitur (per Prop. 30 hujus cum ejusdem Schol.), quod quidem (per Prop. 25 hujus) frequentius contingit, & cujus contrarium evenire diximus, quando aliquis ab aliquo se odio haberi imaginatur (vide Schol. Prop. praeced.). Porro hic reciprocus Amor, & consequenter (per Prop. 39 hujus) conatus benefaciendi ei, qui nos amat, quique (per eandem Prop. 39 hujus) nobis benefacere conatur, Gratia, seu Gratitudo vocatur; atque adeo apparet, homines longe paratiores esse ad Vindictam, quam ad referendum beneficium.
Qui ab eo, quem odio habet, se amari imaginatur, Odio, & Amore simul conflictabitur. Quod eadem via, qua primum Prop. praecedentis Coroll. demonstratur.
Quod si Odium praevaluerit, ei, a quo amatur, malum inferre conabitur, qui quidem affectus Crudelitas appellatur, praecipue si illum, qui amat, nullam Odii communem causam praebuisse creditur.
Qui in aliquem, Amore, aut spe Gloriae motus, beneficium contulit, contristabitur, si viderit, beneficium ingrato animo accipi.
Qui rem aliquam sibi similem amat, conatur, quantum potest, efficere, ut ab ipsa contra ametur (per Prop. 33 hujus). Qui igitur prae amore in aliquem beneficium contulit, id fecit desiderio, quo tenetur, ut contra ametur, hoc est (per Prop. 34 hujus) spe Gloriae, sive (per Schol. Prop. 30 hujus) Laetitiae; adeoque (per Prop.12 hujus) hanc Gloriae causam, quantum potest, imaginari, sive ut actu existentem contemplari conabitur. At (per Hypothesin) aliud imaginatur, quod ejusdem causae existentiam secludit: ergo (per Prop. 19 hujus) eo ipso contristabitur. Q.E.D.
LOdium reciproco odio augetur, & Amore contra deleri potest.
Qui eum, quem odit, Odio contra erga se affectum esse imaginatur, eo ipso (per Prop. 40 hujus) novum Odium oritur, durante (per Hypothesin) adhuc primo. Sed si contra eundem amore erga se affectum esse imaginetur, quatenus hoc imaginatur, eatenus (per Prop. 30 hujus) se ipsum cum Laetitia contemplatur, & eatenus (per Prop. 29 hujus) eidem placere conabitur, hoc est, (per Prop. 41 hujus) eatenus conatur ipsum odio non habere, nullaque Tristitia afficere; qui quidem conatus (per Prop. 37 hujus) major, vel minor erit, pro ratione affectus, ex quo oritur; atque adeo si major fuerit illo, qui ex odio oritur, & quo rem, quam odit (per Prop. 26 hujus) Tristitia afficere conatur, ei praevalebit, & Odium ex animo delebit. Q.E.D.
Odium, quod Amore plane vincitur, in Amorem transit; & Amor propterea major est, quam si Odium non praecessisset.
Eodem modo procedit, ac Propositionis 38 hujus. Nam qui rem, quam odit, sive quam cum Tristitia contemplari solebat, amare incipit, eo ipso, quod amat, laetatur, & huic Laetitiae, quam Amor involvit (vide ejus Defin. in Schol. Prop. 13 hujus), illa etiam accedit, quae ex eo oritur, quod conatus amovendi Tristitiam, quam odium involvit (ut in Prop. 37 hujus ostendimus), prorsus juvatur, concomitante idea ejus, quem odio habuit, tanquam causa.
Quamvis res ita se habeat, nemo tamen conabitur rem aliquam odio habere, vel Tristitia affici, ut majori hac Laetitia fruatur; hoc est, nemo spe damnum recuperandi, damnum sibi inferri cupiet, nec aegrotare desiderabit spe convalescendi. Nam unusquisque suum esse conservare, & Tristitiam, quantum potest, amovere semper conabitur. Quod si contra concipi posset, hominem posse cupere aliquem odio habere, ut eum postea majori amore prosequatur, tum eundem odio habere semper desiderabit. Nam quo Odium majus fuerit, eo Amor erit major, atque adeo desiderabit semper, ut Odium magis magisque augeatur, & eadem de causa homo magis ac magis aegrotare conabitur, ut majori Laetitia ex restauranda valetudine postea fruatur; atque adeo semper aegrotare conabitur, quod (per Prop. 6 hujus) est absurdum.
Si quis aliquem sibi similem Odio in rem sibi similem, quam amat, affectum esse imaginatur, eum odio habebit.
Nam res amata eum, qui ipsam odit, odio contra habet (per Prop. 40 hujus), adeoque amans, qui aliquem imaginatur rem amatam odio habere, eo ipso rem amatam Odio, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), Tristitia affectam esse imaginatur, & consequenter (per Prop. 21 hujus) contristatur, idque concomitante idea ejus, qui rem amatam odit tanquam causa, hoc est (per Schol. Prop. 13 hujus), ipsum odio habebit. Q.E.D.
Si quis ab aliquo cujusdam classis, sive nationis a sua diversae, Laetitia, vel Tristitia affectus fuerit, concomitante ejus idea, sub nomine universali classis, vel nationis, tanquam causa: is non tantum illum, sed omnes ejusdem classis, vel nationis amabit, vel odio habebit.
Hujus rei demonstratio patet ex Propositione 16 hujus Partis.
Laetitia, quae ex eo oritur, quod scilicet rem, quam odimus, destrui, aut alio malo affici imaginamur, non oritur absque ulla animi Tristitia.
Patet ex Prop. 27 hujus. Nam quatenus rem nobis similem Tristitia affici imaginamur, eatenus contristamur.
Potest haec Propositio etiam demonstrari ex Corollario Propositionis 17 Partis 2. Quoties enim rei recordamur, quamvis ipsa actu non existat, eandem
Amor, & Odium, ex. gr. erga Petrum destruitur, si Tristitia, quam hoc, & Laetitia, quam ille involvit, ideae alterius causae jungatur; & eatenus uterque diminuitur, quatenus imaginamur Petrum non solum fuisse alterutrius causam.
Patet ex sola Amoris, & Odii définitione; quam vide in Schol. Prop. 13 hujus. Nam propter hoc solum Laetitia vocarur Amor & Trisritia Odium erga Petrum, quia scilicet Petrus hujus, vel illius affectûs causa esse consideratur. Hoc itaque prorsus, vel ex parte sublato, affectus quoque erga Petrum prorsus, vel ex parte diminuitur. Q.E.D.
Amor, & Odium erga rem, quam liberam esse imaginamur, major ex pari causa uterque debet esse, quam erga necessariam.
Res, quam liberam esse imaginamur, debet (per Defin. 7 p. 1) per se absque aliis percipi. Si igitur eandem Laetitiae, vel Tristitiae causam esse imaginemur, eo ipso (per Schol. Prop. 13 hujus) eandem amabimus, vel odio habebimus, idque (per Prop. praeced.) summo Amore, vel Odio, qui ex dato affectu oriri potest. Sed si rem, quae ejusdem affectus est causa, ut necessariam imaginemur, tum (per eandem Defin. 7 p. 1) ipsam non solam, sed cum aliis ejusdem affectus causam esse imaginabimur, atque adeo (per Prop. praeced.) Amor, & Odium erga ipsam minor erit. Q.E.D.
Hinc sequitur, homines, quia se liberos esse existimant, majore Amore, vel Odio se invicem prosequi, quam alia; ad quod accedit affectuum imitatio, de qua vide Prop. 27, 34, 40 & 43 hujus.
Res quaecunque potest esse per accidens Spei, aut Metus causa.
Haec Propositio eadem via demonstratur, qua propositio 15 hujus, quam vide una cum Schol. 1 & 2 Propositionis 18 hujus.
Res, quae per accidens Spei, aut Metus sunt causae, bona, aut mala omina vocantur. Deinde quatenus haec eadem omina sunt Spei, aut Metus causa, eatenus (per Defin. Spei & Metus, quam vide in Schol. 2 Prop. 18 hujus) Laetitiae, aut Tristitiae sunt causa, & consequenter (per Coroll. Prop. 15 hujus) eatenus eadem amamus, vel odio habemus, & (per Prop. 28 hujus) tanquam media ad ea, quae speramus, adhibere, vel tanquam obstacula, aut Metus causas amovere conamur. Praeterea ex Propositione 25 hujus sequitur nos natura ita esse constitutos, ut ea, quae speramus, facile, quae autem timemus, difficile credamus, & ut de iis plus, minusve justo sentiamus. Atque ex his ortae sunt Superstitiones, quibus homines ubique conflictantur. Caeterum non puto operae esse pretium, animi hic ostendere fluctuationes, quae ex Spe, & Metu oriuntur; quandoquidem ex sola horum affectuum définitione sequitur, non dari Spem sine Metu, neque Metum sine Spe (ut fusius suo loco explicabimus); & praeterea quandoquidem quatenus aliquid speramus, aut metuimus, eatenus idem amamus, vel odio habemus; atque adeo quicquid de Amore, & Odio diximus, facile unusquisque Spei, & Metui applicare poterit.
Diversi homines ab uno, eodemque objecto diversimode affici possunt, & unus, idemque homo ab uno, eodemque objecto potest diversis temporibus diversimode affici.
Corpus humanum (per Post. 3 p. 2) a corporibus externis plurimis modis afficitur. Possunt igitur eodem tempore duo homines diversimode esse affecti; atque adeo (per Axiom. 1, quod est post Lem. 3, quod vide post Prop. 13 p. 2) ab uno, eodemque objecto possunt diversimode affici. Deinde (per idem Post.) Corpus humanum potest jam hoc, jam alio modo esse affectum; & consequenter (per idem Axiom.) ab uno, eodemque objecto diversis temporibus diversimode affici. Q.E.D.
Videmus itaque fieri posse, ut quod hic amat, alter odio habeat; & quod hic metuit, alter non metuat; & ut unus, idemque homo, jam amet, quod antea oderit, & ut jam audeat, quod antea timuit, &c. Deinde, quia unusquisque ex suo affectu judicat, quid bonum, quid malum, quid melius, & quid pejus sit (vide Schol. Prop. 39 hujus), sequitur homines tam judicio, quam affectu variare posse (N. B. Posse hoc fieri, tametsi Mens humana pars esset divini intellectus, ostendimus in Schol. Prop. 17 p. 2.); & hinc fit, ut cum alios aliis comparamus, ex sola affectuum differentia a nobis distinguantur, & ut alios intrepidos, alios timidos, alios denique alio nomine appellemus. Ex. gr. illum ego intrepidum vocabo, qui malum contemnit, quod ego timere soleo; & si praeterea ad hoc attendam, quod ejus Cupiditas malum inferendi ei, quem odit, & benefaciendi ei, quem amat, non coercetur timore mali, a quo ego contineri soleo, ipsum audacem appellabo. Deinde ille mihi timidus videbitur, qui malum timet, quod ego contemnere soleo, & si insuper ad hoc attendam, quod ejus Cupiditas coercetur timore mali, quod me continere nequit, ipsum pusillanimem esse dicam, & sic unusquisque judicabit.
Videmus itaque fieri posse, ut quod hic amat, alter odio habeat; & quod hic metuit, alter non metuat; & ut unus, idemque homo, jam amet, quod antea oderit, & ut jam audeat, quod antea timuit, &c. Deinde, quia unusquisque ex suo affectu judicat, quid bonum, quid malum, quid melius, & quid pejus sit (vide Schol. Prop. 39 hujus), sequitur homines tam judicio, quam affectu variare posse (N. B. Posse hoc fieri, tametsi Mens humana pars esset divini intellectus, ostendimus in Schol. Prop. 17 p. 2.); & hinc fit, ut cum alios aliis comparamus, ex sola affectuum differentia a nobis distinguantur, & ut alios intrepidos, alios timidos, alios denique alio nomine appellemus. Ex. gr. illum ego intrepidum vocabo, qui malum contemnit, quod ego timere soleo; & si praeterea ad hoc attendam, quod ejus Cupiditas malum inferendi ei, quem odit, & benefaciendi ei, quem amat, non coercetur timore mali, a quo ego contineri soleo, ipsum audacem appellabo. Deinde ille mihi timidus videbitur, qui malum timet, quod ego contemnere soleo, & si insuper ad hoc attendam, quod ejus Cupiditas coercetur timore mali, quod me continere nequit, ipsum pusillanimem esse dicam, & sic unusquisque judicabit.
Objectum, quod simul cum aliis antea vidimus, vel quod nihil habere imaginamur, nisi quod commune est pluribus, non tamdiu contemplabimur, ac illud, quod aliquid singulare habere imaginamur.
Simulatque objectum, quod cum aliis vidimus, imaginamur, statim & aliorum recordamur (per Prop. 18 p. 2., cujus etiam Schol. vide), & sic ex unius contemplatione statim in contemplationem alterius incidimus. Atque eadem est ratio objecti, quod nihil habere imaginamur, nisi quod commune est pluribus. Nam eo ipso supponimus, nos nihil in eo contemplari, quod antea cum aliis non viderimus. Verum cum supponimus, nos in objecto aliquo aliquid singulare, quod antea nunquam vidimus, imaginari, nihil aliud dicimus, quam quod Mens, dum illud objectum contemplatur, nullum aliud in se habeat, in cujus contemplationem ex contemplatione illius incidere potest; atque adeo ad illud solum contemplandum determinata est. Ergo objectum, &c. Q.E.D.
Haec Mentis affectio, sive rei singularis imaginatio, quatenus sola in Mente versatur, vocatur Admiratio, quae si ab objecto, quod timemus, moveatur, Consternatio dicitur, quia mali Admiratio hominem suspensum in sola sui contemplatione ita tenet, ut de aliis cogitare non valeat, quibus illud malum vitare posset. Sed si id, quod admiramur, sit hominis alicujus prudentia, industria, vel aliquid hujusmodi, quia eo ipso hominem nobis longe antecellere contemplamur, tum Admiratio vocatur Veneratio; alias Horror, si hominis iram, invidiam, &c. admiramur. Deinde, si hominis, quem amamus, prudentiam, industriam, &c. admiramur, Amor eo ipso (per Prop. 12 hujus), major erit, & hunc Amorem Admirationi, sive Venerationi junctum Devotionem vocamus. Et ad hunc modum concipere etiam possumus, Odium, Spem, Securitatem, & alios Affectus Admirationi junctos; atque adeo plures Affectus deducere poterimus, quam qui receptis vocabulis indicari solent. Unde apparet, Affectuum nomina inventa esse magis ex eorum vulgari usu, quam ex eorundem accurata cognitione.
Admirationi opponitur Contemptus, cujus tamen causa haec plerumque est, quod sc. ex eo, quod aliquem rem aliquam admirari, amare, metuere &c. videmus, vel ex eo, quod res aliqua primo aspectu apparet similis rebus, quas admiramur, amamus, metuimus &c. (per Prop. 15 cum ejus Coroll. & Prop. 27 hujus) determinamur ad eandem rem admirandum, amandum, metuendum &c. Sed si ex ipsius rei praesentia, vel accuratiore contemplatione, id omne de eadem negare cogamur, quod causa Admirationis, Amoris, Metus &c. esse potest, tum Mens ex ipsa rei praesentia magis ad ea cogitandum, quae in objecto non sunt, quam quae in ipso sunt, determinata manet; cum tamen contra ex objecti praesentia id praecipue cogitare soleat, quod in objecto est. Porro sicut Devotio ex rei, quam amamus, Admiratione, sic Irrisio ex rei, quam odimus, vel metuimus, Contemptu oritur, & Dedignatio ex stultitiae Contemptu, sicuti Veneratio ex Admiratione prudentiae. Possumus denique Amorem, Spem, Gloriam, & alios Affectus junctos Contemptui concipere, atque inde alios praeterea Affectus deducere, quos etiam nullo singulari vocabulo ab aliis distinguere solemus.
Cum Mens se ipsam, suamque agendi potentiam contemplatur, laetatur, & eo magis, quo se, suamque agendi potentiam distinctius imaginatur.
Homo se ipsum non cognoscit, nisi per affectiones sui Corporis, earumque ideas (per Prop. 19 & 23 p. 2). Cum ergo fit, ut Mens se ipsam possit contemplari, eo ipso ad majorem perfectionem transire, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus), laetitia affici supponitur, & eo majori, quo se, suamque agendi potentiam distinctius imaginari potest. Q.E.D.
Haec Laetitia magis magisque fovetur, quo magis homo se ab aliis laudari imaginatur. Nam quo magis se ab aliis laudari imaginatur, eo majori Laetitia alios ab ipso affici imaginatur, idque concomitante idea sui (per Schol. Prop. 29 hujus); atque adeo (per Prop. 27 hujus) ipse majore Laetitia, concomitante idea sui, afficitur. Q.E.D.
Mens ea tantum imaginari conatur, quae ipsius agendi potentiam ponunt.
Mentis conatus, sive potentia est ipsa ipsius Mentis essentia (per Prop. 7 hujus); Mentis autem essentia (ut per se notum) id tantum, quod Mens est, & potest, affirmat; at non id, quod non est, neque potest; adeoque id tantum imaginari conatur, quod ipsius agendi potentiam affirmat, sive ponit. Q.E.D.
Cum Mens suam impotentiam imaginatur, eo ipso contristatur.
Mentis essentia id tantum, quod Mens est, & potest, affirmat, sive de natura Mentis est ea tantummodo imaginari, quae ipsius agendi potentiam ponunt (per Prop. praeced.). Cum itaque dicimus, quod Mens, dum se ipsam contemplatur, suam imaginatur impotentiam, nihil aliud dicimus, quam quod, dum Mens aliquid imaginari conatur, quod ipsius agendi potentiam ponit, hic ejus conatus coercetur, sive (per Schol. Prop. 11 hujus) quod ipsa contristatur. Q.E.D.
Haec Tristitia magis ac magis fovetur, si se ab aliis vituperari imaginatur; quod eodem modo demonstratur, ac Coroll. Prop. 53 hujus.
Haec Tristitia, concomitante idea nostrae imbecillitatis, Humilitas appellatur; Laetitia autem, quae ex contemplatione nostri oritur, Philautia, vel Acquiescentia in se ipso vocatur. Et quoniam haec toties repetitur, quoties homo suas virtutes, sive suam agendi potentiam contemplatur, hinc ergo etiam fit, ut unusquisque facta sua narrare, suique tam corporis, quam animi vires ostentare gestiat, & ut homines hac de causa sibi invicem molesti sint. Ex quibus iterum sequitur, homines natura esse invidos (vide Schol. Prop. 24 & Schol. Prop. 32 hujus), sive ob suorum aequalium imbecillitatem gaudere, & contra propter eorundem virtutem contristari. Nam quoties unusquisque suas actiones imaginatur, toties Laetitia (per Prop. 53 hujus) afficitur, & eo majore, quo actiones plus perfectionis exprimere, & easdem distinctius imaginatur, hoc est (per illa, quae in Schol. 1 Prop. 40 p. 2 dicta sunt), quo magis easdem ab aliis distinguere, & ut res singulares contemplari potest. Quare unusquisque ex contemplatione sui tunc maxime gaudebit, quando aliquid in se contemplatur, quod de reliquis negat. Sed si id, quod de se affirmat, ad universalem hominis, vel animalis ideam refert, non tantopere gaudebit; & contra contristabitur, si suas, ad aliorum actiones comparatas, imbecilliores esse imaginetur, quam quidem Tristitiam (per Prop. 28 hujus) amovere conabitur, idque suorum aequalium actiones perperam interpretando, vel suas, quantum potest adornando. Apparet igitur homines natura proclives esse ad Odium, & Invidiam, ad quam accedit ipsa educatio. Nam parentes solo Honoris & Invidiae stimulo liberos ad virtutem concitare solent. Sed scrupulus forsan remanet, quod non raro hominum virtutes admiremur, eosque veneremur. Hunc ergo ut amoveam, sequens addam Corollarium.
Nemo virtutem alicui, nisi aequali, invidet.
Invidia est ipsum Odium (vide Schol. Prop. 24 hujus), sive (per Schol. Prop. 13 hujus) Tristitia, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus) affectio, qua hominis agendi potentia, seu conatus coercetur. At homo (per Schol. Prop. 9 hujus) nihil agere conatur, neque cupit, nisi quod ex data sua natura sequi potest; ergo homo nullam de se agendi potentiam, seu (quod idem est) virtutem praedicari cupiet, quae naturae alterius est propria, & suae aliena; adeoque ejus Cupiditas coerceri, hoc est (per Schol. Prop. 11 hujus) ipse contristari nequit ex eo, quod aliquam virtutem in aliquo ipsi dissimili contemplatur, & consequenter neque ei invidere poterit. At quidem suo aequali, qui cum ipso ejusdem naturae supponitur. Q.E.D.
Cum igitur supra in Scholio Propositionis 52 hujus Partis, dixerimus, nos hominem venerari ex eo, quod ipsius prudentiam, fortitudinem, &c. admiramur, id fit (ut ex ipsa Prop. patet), quia has virtutes ei singulariter inesse, & non ut nostrae naturae communes imaginamur; adeoque easdem ipsi non magis invidebimus, quam arboribus altitudinem, & leonibus fortitudinem, &c.
Laetitiae, Tristitiae, & Cupiditatis, & consequenter uniuscujusque affectus, qui ex his componitur, ut animi fluctuationis, vel qui ab his derivatur, nempe Amoris, Odii, Spei, Metus, &c. tot species dantur, quot sunt species objectorum, a quibus afficimur.
Laetitia, & Tristitia, & consequenter affectus, qui ex his componuntur, vel ex his derivantur, passiones sunt (per Schol. Prop. 11 hujus); nos autem (per Prop. 1 hujus) necessario patimur, quatenus ideas habemus inadaequatas; & quatenus easdem habemus (per Prop. 3 hujus), eatenus tantum patimur, hoc est (vide Schol. Prop. 40 p. 2), eatenus tantum necessario patimur, quatenus imaginamur, sive (vide Prop. 17 p. 2 cum ejus Schol.) quatenus afficimur affectu, qui naturam nostri Corporis, & naturam corporis externi involvit. Natura igitur uniuscujusque passionis ita necessario debet explicari, ut objecti, a quo afficimur, natura exprimatur. Nempe Laetitia, quae ex objecto, ex. gr. A oritur, naturam ipsius objecti A, & Laetitia, quae ex objecto B oritur, ipsius objecti B naturam involvit, atque adeo hi duo Laetitiae affectus natura sunt diversi, quia ex causis diversae naturae oriuntur. Sic etiam Tristitiae affectus, qui uno objecto oritur, diversus natura est a Tristitia, quae ab alia causa oritur; quod etiam de Amore, Odio, Spe, Metu, animi Fluctuatione, &c. intelligendum est: ac proinde Laetitiae, Tristitiae, Amoris, Odii, &c. tot species necessario dantur, quot sunt species objectorum, a quibus afficimur. At Cupiditas est ipsa uniuscujusque essentia, seu natura, quatenus ex data quacunque ejus constitutione determinata concipitur ad aliquid agendum (vide Schol. Prop. 9 hujus); ergo, prout unusquisque a causis externis hac, aut illa Laetitiae, Tristitiae, Amoris, Odii, &c. specie afficitur, hoc est, prout ejus natura hoc, aut alio modo constituitur, ita ejus Cupiditas alia, atque alia esse, & natura unius a natura alterius Cupiditatis tantum differre necesse est, quantum affectus, a quibus unaquaeque oritur, inter se diffexunt. Dantur itaque tot species Cupiditatis, quot sunt species Laetitiae, Tristitiae, Amoris, &c. & consequenter (per jam ostensa) quot sunt objectorum species, a quibus afficimur. Q.E.D.
Inter affectuum species, quae (per Prop. praeced.) perplurimae esse debent, insignes sunt Luxuria, Ebrietas, Libido, Avaritia, & Ambitio, quae non nisi Amoris, vel Cupiditatis sunt notiones; quae hujus utriusque affectus naturam explicant per objecta, ad quae referuntur. Nam per Luxuriam, Ebrietatem, Libidinem, Avaritiam, & Ambitionem nihil aliud intelligimus, quam convivandi, potandi, coeundi, divitiarum, & gloriae immoderatum Amorem vel Cupiditatem. Praeterea hi affectus, quatenus eos per solum objectum, ad quod referuntur, ab aliis distinguimus, contrarios non habent. Nam Temperantia, quam Luxuriae, & Sobrietas, quam Ebrietati, & denique Castitas, quam Libidini opponere solemus, affectus, seu passiones non sunt; sed animi indicant potentiam, quae hos affectus moderatur. Caeterum reliquas affectuum species hic explicare nec possum (quia tot sunt, quot objectorum species), nec, si possem, necesse est. Nam ad id, quod intendimus, nempe ad affectuum vires, & Mentis in eosdem potentiam determinandum, nobis sufficit, uniuscujusque affectus generalem habere définitionem. Sufficit, inquam, nobis affectuum, & Mentis communes proprietates intelligere, ut determinare possimus, qualis, & quanta sit Mentis potentia in moderandis, & coercendis affectibus. Quamvis itaque magna sit differentia inter hunc, & illum Amoris, Odii, vel Cupiditatis affectum, ex. gr. inter Amorem erga liberos, & inter Amorem erga uxorem, nobis tamen has differentias cognoscere, & affectuum naturam, & originem ulterius indagare, non est opus.
Quilibet uniuscujusque individui affectus ab affectu alterius tantum discrepat, quantum essentia unius ab essentia alterius differt.
>Haec Propositio patet ex Axiom. 1 quod vide post Lem. 3 Schol. Prop. 13 p. 2, . At nihilominus eandem ex trium primitivorum affectuum définitionibus demonstrabimus.
Omnes affectus ad Cupiditatem, Laetitiam, vel Tristitiam referuntur, ut eorum, quas dedimus définitiones ostendunt. At Cupiditas est ipsa uniuscujusque natura, seu essentia (vide ejus Defin. in Schol. Prop. 9 hujus); ergo uniuscujusque individui Cupiditas, a Cupiditate alterius tantum discrepat, quantum natura, seu essentia unius ab essentia alterius differt. Laetitia deinde, & Tristitia passiones sunt, quibus uniuscujusque potentia, seu conatus in suo esse perseverandi augetur, vel minuitur, juvatur, vel coercetur (per Prop. 11 hujus & ejus Schol.). At per conatum in suo esse perseverandi, quatenus ad Mentem, & Corpus simul refertur, Appetitum, & Cupiditatem intelligimus (vide Schol. Prop. 9 hujus); ergo Laetitia, & Tristitia est ipsa Cupiditas, sive Appetitus, quatenus a causis externis augetur, vel minuitur, juvatur, vel coercetur, hoc est (per idem Schol.), est ipsa cujusque natura; atque adeo uniuscujusque Laetitia, vel Tristitia, a Laetitia, vel Tristitia alterius tantum etiam discrepat, quantum natura, seu essentia unius ab essentia alterius differt, & consequenter quilibet uniuscujusque individui affectus ab affectu alterius tantum discrepat, &c. Q.E.D.
Hinc sequitur affectus animalium, quae irrationalia dicuntur (bruta enim sentire nequaquam dubitare possumus, postquam Mentis novimus originem) ab affectibus hominum tantum differre, quantum eorum natura a natura humana differt. Fertur quidem equus, & homo Libidine procreandi; at ille Libidine equina, hic autem humana. Sic etiam Libidines, & Appetitus Insectorum, piscium, & avium alii atque alii esse debent. Quamvis itaque unumquodque individuum sua, qua constat natura, contentum vivat, eaque gaudeat, vita tamen illa, qua unumquodque est contentum, & gaudium nihil aliud est, quam idea, seu anima ejusdem individui, atque adeo gaudium unius a gaudio alterius tantum natura discrepat, quantum essentia unius ab essentia alterius differt. Denique ex praecedenti Propositione sequitur, non parum etiam interesse, inter gaudium, quo ebrius ex. gr. ducitur, & inter gaudium, quo potitur Philosophus, quod hic in transitu monere volui. Atque haec de affectibus, qui ad hominem referuntur, quatenus patitur. Superest, ut pauca addam de iis, qui ad eundem referuntur, quatenus agit.
Praeter Laetitiam, & Cupiditatem, quae passiones sunt, alii Laetitiae, & Cupiditatis affectus dantur, qui ad nos, quatenus agimus, referuntur.
Cum Mens se ipsam, suamque agendi potentiam concipit, laetatur (per Prop. 53 hujus): Mens autem se ipsam necessario contemplatur, quando veram, sive adaequatam ideam concipit (per Prop. 43 p. 2). At Mens quasdam ideas adaequatas concipit (per Schol. 2 Prop. 40 p. 2): Ergo eatenus etiam laetatur, quatenus ideas adaequatas concipit, hoc est (per Prop.1 hujus), quatenus agit. Deinde Mens tam quatenus claras, & distinctas, quam quatenus confusas habet ideas, in suo esse perseverare conatur (per Prop. 9 hujus): At per conatum Cupiditatem intelligimus (per ejusdem Schol.); ergo Cupiditas ad nos refertur, etiam quatenus intelligimus, sive (per Prop. 1 hujus) quatenus agimus. Q.E.D.
Inter omnes affectus, qui ad Mentem, quatenus agit, referuntur, nulli sunt, quam qui ad Laetitiam, vel Cupiditatem referuntur.
Omnes affectus ad Cupiditatem, Laetitiam, vel Tristitiam referuntur, ut eorum, quas dedimus, définitiones ostendunt. Per Tristitiam autem intelligimus, quod Mentis cogitandi potentia minuitur, vel coercetur (per Prop. 11 hujus & ejus Schol.); adeoque Mens, quatenus contristatur, eatenus ejus intelligendi, hoc est, ejus agendi potentia (per Prop. 1 hujus) minuitur, vel coercetur; adeoque nulli Tristitiae affectus ad Mentem referri possunt, quatenus agit; sed tantum affectus Laetitiae, & Cupiditatis, qui (per Prop. praeced.) eatenus etiam ad Mentem referuntur. Q.E.D.
Omnes actiones, quae sequuntur ex affectibus, qui ad Mentem referuntur, quatenus intelligit, ad Fortitudinem refero, quam in Animositatem, & Generositatem distinguo. Nam per Animositatem intelligo Cupiditatem, qua unusquisque conatur suum esse ex solo rationis dictamine conservare. Per Generositatem autem Cupiditatem intelligo, qua unusquisque ex solo rationis dictamine conatur reliquos homines juvare, & sibi amicitia jungere. Eas itaque actiones, quae solum agentis utile intendunt, ad Animositatem, & quae alterius etiam utile intendunt, ad Generositatem refero. Temperantia igitur, Sobrietas, & animi in periculis praesentia, &c. Animositatis sunt species; Modestia autem, Clementia &c. species Generositatis sunt. Atque his puto me praecipuos affectus, animique fluctuationes, quae ex compositione trium primitivorum affectuum, nempe Cupiditatis, Laetitiae, & Tristitiae oriuntur, explicuisse, perque primas suas causas ostendisse. Ex quibus apparet, nos a causis externis multis modis agitari, nosque, perinde ut maris undae, a contrariis ventis agitatae, fluctuari, nostri eventus, atque fati inscios. At dixi, me praecipuos tantum, non omnes, qui dari possunt, animi conflictus ostendisse. Nam eadem via, qua supra, procedendo facile possumus ostendere Amorem esse junctum Poenitentiae, Dedignationi, Pudori, &c. Imo unicuique ex jam dictis clare constare credo, affectus tot modis alii cum aliis posse componi, indeque tot variationes oriri, ut nullo numero definiri queant. Sed ad meum institutum praecipuos tantum enumeravisse sufficit; nam reliqui, quos omisi, plus curiositatis, quam utilitatis haberent. Attamen de Amore hoc notandum restat, quod scilicet saepissime contingit, dum re, quam appetebamus, fruimur, ut Corpus ex ea fruitione novam acquirat constitutionem, a qua aliter determinatur, & aliae rerum imagines in eo excitantur, & simul Mens alia imaginari, aliaque cupere incipit. Ex. gr. cum aliquid, quod nos sapore delectare solet, imaginamur, eodem frui, nempe comedere cupimus. At quamdiu eodem sic fruimur, stomachus adimpletur, Corpusque aliter constituitur. Si igitur Corpore jam aliter disposito, ejusdem cibi imago, quia ipse praesens adest, fomentetur, & consequenter conatus etiam, sive Cupiditas eundem comedendi, huic Cupiditati, seu conatui nova illa constitutio repugnabit, & consequenter cibi, quem appetebamus, praesentia odiosa erit, & hoc est, quod Fastidium, & Taedium vocamus. Caeterum Corporis affectiones externas, quae in affectibus observantur, ut sunt tremor, livor, singultus, risus &c. neglexi, quia ad solum Corpus absque ulla ad Mentem relatione referuntur. Denique de affectuum définitionibus quaedam notanda sunt, quas propterea hic ordine repetam, & quid in unaquaque observandum est, iisdem interponam.
I. Cupiditas est ipsa hominis essentia, quatenus ex data quacunque ejus affectione determinata concipitur ad aliquid agendum.
Diximus supra in Scholio Propositionis 9 hujus Partis, Cupiditatem esse appetitum cum ejusdem conscientia; appetitum autem esse ipsam hominis essentiam, quatenus determinata est ad ea agendum, quae ipsius conservationi inserviunt. Sed in eodem Scholio etiam monui, me revera inter humanum appetitum, & Cupiditatem nullam agnoscere differentiam. Nam sive homo sui appetitus sit conscius, sive non sit, manet tamen appetitus unus, idemque; atque adeo, ne tautologiam committere viderer, Cupiditatem per appetitum explicare nolui; sed eandem ita definire studui, ut omnes humanae naturae conatus, quos nomine appetitus, voluntatis, cupiditatis, vel impetus significamus, una comprehenderem. Potueram enim dicere, Cupiditatem esse ipsam hominis essentiam, quatenus determinata concipitur ad aliquid agendum; sed ex hac définitione (per Prop. 23 p. 2) non sequeretur, quod Mens possit suae Cupiditatis, sive appetitus esse conscia. Igitur, ut hujus conscientiae causam involverem, necesse fuit (per eandem Prop.) addere, quatenus ex data quacunque ejus affectione determinata &c. Nam per affectionem humanae essentiae quamcunque ejusdem essentiae constitutionem intelligimus, sive ea sit innata sive adventitia, sive quod ipsa per solum Cogitationis, sive per solum Extensionis attributum concipiatur, sive denique quod ad utrumque simul referatur. Hic igitur Cupiditatis nomine intelligo hominis quoscunque conatus, impetus, appetitus, & volitiones, qui pro varia ejusdem hominis constitutione varii, & non raro adeo sibi invicem oppositi sunt, ut homo diversimode trahatur, &, quo se vertat, nesciat.
II. Laetitia est hominis transitio a minore ad majorem perfectionem.
III. Tristitia est hominis transitio a majore ad minorem perfectionem.
Dico transitionem. Nam Laetitia non est ipsa perfectio. Si enim homo cum perfectione, ad quam transit, nasceretur, ejusdem absque Laetitiae affectu compos esset; quod clarius apparet ex Tristitiae affectu, qui huic est contrarius. Nam quod Tristitia in transitione ad minorem perfectionem consistit, non autem in ipsa minore perfectione, nemo negare potest, quandoquidem homo eatenus contristari nequit, quatenus alicujus perfectionis est particeps. Nec dicere possumus, quod Tristitia in privatione majoris perfectionis consistat; nam privatio nihil est; Tristitiae autem affectus actus est, qui propterea nullus alius esse potest, quam actus transeundi ad minorem perfectionem, hoc est, actus quo hominis agendi potentia minuitur, vel coercetur (vide Schol. Prop. 11 hujus). Caeterum définitiones Hilaritatis, Titillationis, Melancholiae, & Doloris omitto, quia ad Corpus potissimum referuntur, & non nisi Laetitiae, aut Tristitiae sunt Species.
IV. Admiratio est rei alicujus imaginatio, in qua Mens defixa propterea manet, quia haec singularis imaginatio nullam cum reliquis habet connexionem. Vide Prop. 52 cum ejusdem Schol.
In Scholio Propositionis 18 Partis 2 ostendimus, quaenam sit causa, cur Mens, ex contemplatione unius rei, statim in alterius rei cogitationem incidat, videlicet, quia earum rerum imagines invicem concatenatae, & ita ordinatae sunt, ut alia aliam sequatur, quod quidem concipi nequit, quando rei imago nova est; sed Mens in ejusdem rei contemplatione detinebitur, donec ab aliis causis ad alia cogitandum determinetur. Rei itaque novae imaginatio in se considerata ejusdem naturae est, ac reliquae, & hac de causa ego Admirationem inter affectus non numero, nec causam video, cur id facerem, quandoquidem haec Mentis distractio ex nulla causa positiva, quae Mentem ab aliis distrahat, oritur; sed tantum ex eo, quod causa, cur Mens ex unius rei contemplatione ad alia cogitandum determinatur, deficit.
Tres igitur (ut in Schol. Prop. 11 hujus monui) tantum affectus primitivos, seu primarios agnosco; nempe, Laetitiae, Tristitiae, & Cupiditatis, nec alia de causa verba de Admiratione feci, quam quia usu factum est, ut quidam affectus, qui ex tribus primitivis derivantur, aliis nominibus indicari soleant, quando ad objecta, quae admiramur, referuntur; quae quidem ratio me ex aequo movet, ut etiam Contemptus définitionem his adjungam.
V. Contemptus est rei alicujus imaginatio, quae Mentem adeo parum tangit, ut ipsa Mens ex rei praesentia magis moveatur ad ea imaginandum, quae in ipsa re non sunt, quam quae in ipsa sunt. Vide Schol. Prop. 52 hujus.
définitiones Venerationis, & Dedignationis missas hic facio, quia nulli, quod sciam, affectus ex his nomen trahunt.
VI. Amor est Laetitia, concomitante idea causae externae.
Haec Definitio satis clare Amoris essentiam explicat; illa vero Auctorum, qui definiunt Amorem esse voluntatem amantis se jungendi rei amatae, non Amoris essentiam, sed ejus proprietatem exprimit, &, quia Amoris essentia non satis ab Auctoribus perspecta fuit, ideo neque ejus proprietatis ullum clarum conceptum habere potuerunt, & hinc factum, ut eorum définitionem admodum obscuram esse omnes judicaverint. Verum notandum, cum dico, proprietatem esse in amante, se voluntate jungere rei amatae, me per voluntatem non intelligere consensum, vel animi deliberationem, seu liberum decretum (nam hoc fictitium esse demonstravimus Propositione 48 Partis 2), nec etiam Cupiditatem sese jungendi rei amatae, quando abest, vel perseverandi in ipsius praesentia, quando adest; potest namque amor absque hac, aut illa Cupiditate concipi: sed per voluntatem me Acquiescentiam intelligere, quae est in amante ob rei amatae praesentiam, a qua Laetitia amantis corroboratur, aut saltem fovetur.
VII. Odium est Tristitia, concomitante idea causae externae.
Quae hic notanda sunt, ex dictis in praecedentis définitionis Explicatione facile percipiuntur. Vide praeterea Schol. Prop. 13 hujus.
VIII. Propensio est Laetitia, concomitante idea alicujus rei, quae per accidens causa est Laetitiae.
IX. Aversio est Tristitia, concomitante idea alicujus rei, quae per accidens causa est Tristitiae. De his vide Schol. Prop. 15 hujus.
X. Devotio est Amor erga eum, quem admiramur.
Admirationem oriri ex rei novitate, ostendimus Propositione 52 hujus. Si igitur contingat, ut id, quod admiramur, saepe imaginemur, idem admirari desinemus; atque adeo videmus, Devotionis affectum facile in simplicem Amorem degenerare.
XI. Irrisio est Laetitia orta & eo, quod aliquid, quod contemnimus, in re, quam odimus, inesse imaginamur.
Quatenus rem, quam odimus, contemnimus, eatenus de eadem existentiam negamus (vide Schol. Prop. 52 hujus), & eatenus (per Prop. 20 hujus) laetamur. Sed quoniam supponimus, hominem id, quod irridet, odio tamen habere, sequitur, hanc Laetitiam solidam non esse. Vide Schol. Prop. 47 hujus.
XII. Spes est inconstans Laetitia, orta ex idea rei futurae, vel praeteritae, de cujus eventu aliquatenus dubitamus.
XIII. Metus est inconstans Tristitia, orta ex idea rei futurae, vel praeteritae, de cujus eventu aliquatenus dubitamus. Vide de his Schol. 2 Prop. 18 hujus.
Ex his définitionibus sequitur, non dari Spem sine Metu, neque Metum sine Spe. Qui enim Spe pendet, & de rei eventu dubitat, is aliquid imaginari supponitur, quod rei futurae existentiam secludit; atque adeo eatenus contristari (per Prop. 19 hujus), & consequenter, dum Spe pendet, metuere, ut res eveniat. Qui autem contra in Metu est, hoc est, de rei, quam odit, eventu dubitat, aliquid etiam imaginatur, quod ejusdem rei existentiam secludit; atque adeo (per Prop. 20 hujus) laetatur, & consequenter eatenus Spem habet, ne eveniat.
XIV. Securitas est Laetitia, orta ex idea rei futurae, vel praeteritae, de qua dubitandi causa sublata est.
XV. Desperatio est Tristitia, orta ex idea rei futurae, vel praeteritae, de qua dubitandi causa sublata est.
Oritur itaque ex Spe Securitas, & ex Metu Desperatio, quando de rei eventu dubitandi causa tollitur, quod fit, quia homo rem praeteritam, vel futuram adesse imaginatur, & ut praesentem contemplatur; vel quia alia imaginatur, quae existentiam earum rerum secludunt, quae ipsi dubium injiciebant. Nam tametsi de rerum singularium eventu (per Coroll. Prop. 31 p. 2) nunquam possumus esse certi, fieri tamen potest, ut de earum eventu nan dubitemus. Aliud enim esse ostendimus (vide Schol. Prop. 49 p. 2) de re non dubitare, aliud rei certitudinem habere; atque adeo fieri potest, ut ex imagine rei praeteritae, aut futurae, eodem Laetitiae, vel Tristitiae affectu afficiamur, ac ex rei praesentis imagine, ut in Propositione 18 hujus demonstravimus, quam cum ejusdem Scholi'is' vide.
XVI. Gaudium est Laetitia, concomitante idea rei praeteritae, quae praeter Spem evenit.
XVII. Conscientiae morsus est Tristitia, concomitante idea rei praeteritae, quae praeter Spem evenit.
XVIII. Commiseratio est Tristitia, concomitante idea mali, quod alteri, quem nobis similem esse imaginamur, evenit. Vide Schol. Prop. 22. & Schol. Prop. 27 hujus.
Inter Commiserationem & Misericordiam nulla videtur esse differentia, nisi forte, quod Commiseratio singularem affectum respiciat, Misericordia autem ejus habitum.
XIX. Favor est Amor erga aliquem, qui alteri benefecit.
XX. Indignatio est Odium erga aliquem, qui alteri malefecit.
Haec nomina ex communi usu aliud significare scio. Sed meum institutum non est, verborum significationem, sed rerum naturam explicare, easque iis vocabulis indicare, quorum significatio, quam ex usu habent, a significatione, qua eadem usurpare volo, non omnino abhorret, quod semel monuisse sufficiat. Caeterum horum affectuum causam vide in Corollario 1 Propositionis 27 & Scholio Propositionis 22 hujus Partis.
XXI. Existimatio est de aliquo prae Amore plus justo sentire.
XXII. Despectus est de aliquo prae Odio minus justo sentire.
Est itaque Existimatio Amoris, & Despectus Odii effectus, sive proprietas; atque adeo potest Existimatio etiam definiri, quod sit Amor, quatenus hominem ita afficit, ut de re amata plus justo sentiat, & contra Despectus, quod sit Odium, quatenus hominem ita afficit, ut de eo, quem odio habet, minus justo sentiat. Vide de his Schol. Prop. 26 hujus.
XXIII. Invidia est Odium, quatenus hominem ita afficit, ut ex alterius felicitate contristetur, & contra, ut ex alterius malo gaudeat.
Invidiae opponitur communiter Misericordia, quae proinde, invita vocabuli significatione, sic definiri potest.
XXIV. Misericordia est Amor, quatenus hominem ita afficit, ut ex bono alterius gaudeat, & contra ut ex alterius malo contristetur.
Caeterum de Invidia vide Schol. Prop. 24 & Schol. Prop. 32 hujus. Atque hi affectus Laetitiae & Tristitiae sunt, quos idea rei externae comitatur, tanquam causa per se, vel per accidens. Hinc ad alios transeo, quos idea rei internae comitatur, tanquam causa.
XXV. Acquiescentia in se ipso est Laetitia, orta ex eo, quod homo se ipsum, suamque agendi potentiam contemplatur.
XXVI. Humilitas est Tristitia, orta ex eo, quod homo suam impotentiam, sive imbecillitatem contemplatur.
Acquiescentia in se ipso Humilitati opponitur, quatenus per eandem intelligimus Laetitiam, quae ex eo oritur, quod nostram agendi potentiam contemplamur; sed quatenus per ipsam etiam intelligimus Laetitiam, concomitante idea alicujus facti, quod nos ex Mentis libero decreto fecisse credimus, tum Poenitentiae opponitur, quae a nobis sic definitur.
XXVII. Poenitentiae est Tristitia, concomitante idea alicujus facti, quod nos ex libero Mentis decreto fecisse credimus.
Horum affectuum causas ostendimus in Schol. Prop. 31 hujus, & Prop. 53,54 & 55 hujus, ejusque Schol. De libero autem Mentis decreto vide Schol. Prop. 35 p. 2. Sed hic praeterea notandum venit mirum non esse, quod omnes omnino actus, qui ex consuetudine pravi vocantur, sequatur Tristitia, & illos, qui recti dicuntur, Laetitia. Nam hoc ab educatione potissimum pendere, facile ex supra dictis intelligimus. Parentes nimirum, illos exprobrando, liberosque propter eosdem saepe objurgando, hos contra suadendo, & laudando, effecerunt, ut Tristitiae commotiones illis, Laetitiae vero his jungerentur. Quod ipsa etiam experientia comprobatur. Nam consuetudo, & Religio non est omnibus eadem; sed contra quae apud alios sacra, apud alios profana, & quae apud alios honesta, apud alios turpia sunt. Prout igitur unusquisque educatus est, ita facti alicujus poenitet, vel eodem gloriatur.
XXVIII. Superbia est de se prae amore sui plus justo sentire.
Differt igitur Superbia ab Existimatione, quod haec ad objectum externum, Superbia autem ad ipsum hominem, de se plus justo sentientem, referatur. Caeterum, ut Existimatio Amoris, sic Superbia Philautiae effectus, vel proprietas est, quae propterea etiam definiri potest, quod sit Amor sui, sive Acquiescentia in se ipso, quatenus hominem ita afficit, ut de se plus justo sentiat (vide Schol. Prop. 26 hujus). Huic affectui non datur contrarius. Nam nemo de se, prae odio sui, minus justo sentit; imo nemo de se minus justo sentit, quatenus imaginatur, se hoc, vel illud non posse. Nam quicquid homo imaginatur se non posse, id necessario imaginatur, & hac imaginatione ita disponitur, ut id agere revera non possit, quod se non posse imaginatur. Quamdiu enim imaginatur se hoc, vel illud non posse, tamdiu ad agendum non est determinatus; & consequenter tamdiu impossibile ei est, ut id agat. Verumenimvero si ad illa attendamus, quae a sola opinione pendent, concipere poterimus fieri posse, ut homo de se minus justo sentiat; fieri enim potest, ut aliquis, dum tristis imbecillitatem contemplatur suam, imaginetur, se ab omnibus contemni, idque dum reliqui nihil minus cogitant, quam ipsum contemnere. Potest praeterea homo de se minus justo sentire, si aliquid de se in praesenti neget cum relatione ad futurum tempus, cujus en incertus; ut quod neget, se nihil certi posse concipere, nihilque nisi prava, vel turpia posse cupere, vel agere, &c. Possumus deinde dicere, aliquem de se minus justo sentire, cum videmus, ipsum ex nimio pudoris metu, ea non audere, quae alii ipsi aequales audent. Hunc igitur affectum possumus Superbiae opponere, quem Abjectionem vocabo, nam ut ex Acquiescentia in se ipso Superbia, sic ex Humilitate Abjectio oritur, quae proinde a nobis sic definitur.
XXIX. Abjectio est de se prae Tristitia minus justo sentire.
Solemus tamen saepe Superbiae Humilitatem opponere; sed tum magis ad utriusque effectus, quam naturam attendimus. Solemus namque illum superbum vocare, qui nimis gloriatur (vide Schol. Prop. 30 hujus), qui non nisi virtutes suas, & aliorum non nisi vitia narrat, qui omnibus praeferri vult, & qui denique ea gravitate & ornatu incedit, quo solent alii, qui longe supra ipsum sant positi. Contra illum humilem vocamus, qui saepius erubescit, qui sua vitia fatetur, & aliorum virtutes narrat, qui omnibus cedit, & qui denique submisso capite ambulat, & se ornare negligit. Caeterum hi affectus; nempe Humilitas, & Abjectio, rarissimi sunt. Nam natura humana, in se considerata, contra eosdem, quantum potest, nititur (vide Prop. 13 & 54 hujus); ideo, qui maxime creduntur abjecti, & humiles esse, maxime plerumque ambitiosi, & invidi sunt.
XXX. Gloria est Laetitia, concomitante idea alicujus nostrae actionis, quam alios laudare imaginamur.
XXXI. Pudor est Tristitia, concomitante idea alicujus actionis, quam alios vituperare imaginamur.
De his vide Scholium Propositionis 30 hujus Partis. Sed hic notanda est differentia, quae est inter Pudorem, & Verecundiam. Est enim Pudor Tristitia, quae sequitur factum, cujus pudet. Verecundia autem est Metus, seu Timor Pudoris, quo homo continetur, ne aliquid turpe committat. Verecundiae opponi solet Impudentia, quae revera affectus non est, ut suo loco ostendam: sed affectuum nomina (ut jam monui) magis eorum usum, quam naturam respiciunt. Atque his Laetitiae, & Tristitiae affectus, quos explicare proposueram, absolvi. Pergo itaque ad illos, quos ad Cupiditatem refero.
XXXII. Desiderium est Cupiditas, sive Appetitus re aliqua potiundi, quae ejusdem rei memoria fovetur, & simul aliarum rerum memoria, quae ejusdem rei appetendae existentiam secludunt, coercetur.
Cum alicujus rei recordamur, ut jam saepe diximus, eo ipso disponimur, ad eandem eodem affectu contemplandum, ac si res praesens adesset; sed haec dispositio, seu conatus, dum vigilamus, plerumque cohibetur ab imaginibus rerum, quae existentiam ejus, cujus recordamur, secludunt. Quando itaque rei meminimus, quae nos aliquo Laetitiae genere afficit, eo ipso conamur eandem, cum eodem Laetitiae affectu, ut praesentem contemplari, qui quidem conatus statim cohibetur memoria rerum, quae illius existentiam secludunt. Quare desiderium revera Tristitia est, quae Laetitiae opponitur illi, quae ex absentia rei, quam odimus, oritur, de qua vide Scholium Propositionis 47 hujus Partis. Sed quia nomen desiderium Cupiditatem respicere videtur, ideo hunc affectum ad Cupiditatis affectus refero.
XXXIII. Aemulatio est alicujus rei Cupiditas, quae nobis ingeneratur ex eo, quod alios eandem Cupiditatem habere imaginamur.
Qui fugit, quia alios fugere, vel qui timet, quia alios timere videt, vel etiam ille, qui ex eo, quod aliquem manum suam combussisse videt, manum ad se contrahit, corpusque movet, quasi ipsius manus combureretur, eum imitari quidem alterius affectum; sed non eundem aemulari dicemus; non quia aliam aemulationis, aliam imitationis novimus causam; sed quia usu factum est, ut illum tantum vocemus aemulum, qui id, quod honestum, utile, vel jucundum esse judicamus, imitatur. Caeterum de Aemulationis causa vide Propositionem 27 hujus Partis cum ejus Scholio. Cur autem huic affectui plerumque juncta sit Invidia, de eo vide Propositionem 32 hujus cum ejusdem Scholio.
XXXIV. Gratia, seu Gratitudo est Cupiditas, seu Amoris studium, quo ei benefacere conamur, qui in nos pari amoris affectu beneficium contulit. Vide Prop. 39 cum Schol. Prop. 41 hujus.
LXXXV. Benevolentia est Cupiditas benefaciendi ei, cujus nos miseret. Vide Schol. Prop. 27 hujus.
XXXVI. Ira est Cupiditas, qua ex Odio incitamur ad illi, quem odimus, malum inferendum. Vide Prop. 39 hujus.
XXXVII. Vindicta est Cupiditas, qua ex reciproco Odio concitamur ad malum inferendum ei, qui nobis pari affectu damnum intulit. Vide Coroll. 2 Prop. 40 hujus cum ejusdem Schol.
XXXVIII. Crudelitas, seu Saevitia est Cupiditas, qua aliquis concitatur ad malum inferendum ei, quem amamus, vel cujus nos miseret.
Crudelitati opponitur Clementia, quae passio non est, sed animi potentia, qua homo iram, & vindictam moderatur.
XXXIX. Timor est Cupiditas majus, quod metuimus, malum minore vitandi. Vide Schol. Prop. 39 hujus.
XL. Audacia est Cupiditas, qua aliquis incitatur ad aliquid agendum cum periculo, quod ejus aequales subire metuunt.
XLI. Pusillanimitas dicitur de eo, cujus Cupiditas coercetur timore periculi, quod ejus aequales subire audent.
Est igitur Pusillanimitas nihil aliud, quam Metus alicujus mali, quod plerique non solent metuere; quare ipsam ad Cupiditatis affectus non refero. Eandem tamen hic explicare volui, quia quatenus ad Cupiditatem attendimus, affectui Audaciae revera opponitur.
XLII. Consternatio dicitur de eo, cujus Cupiditas malum vitandi coercetur admiratione mali, quod timet.
Est itaque Consternatio Pusillanimitatis species. Sed quia Consternatio ex duplici Timore oritur, ideo commodius definiri potest, quod sit Metus, qui hominem stupefactum, aut fluctuantem ita continet, ut is malum amovere non possit. Dico stupefactum, quatenus ejus Cupiditatem malum amovendi admiratione coerceri intelligimus. Fluctuantem autem dico, quatenus concipimus eandem Cupiditatem coerceri Timore alterius mali, quod ipsum aeque cruciat: unde fit, ut quodnam ex duobus avertat, nesciat. De his vide Schol. Prop. 39 & Schol. Prop. 52 hujus. Caeterum de Pusillanimitate, & Audacia vide Schol. Prop. 51 hujus.
XLIII. Humanitas, seu Modestia est Cupiditas ea faciendi, quae hominibus placent, & omittendi, quae displicent.
LXLIV. Ambitio est immodica gloriae Cupiditas.
Ambitio est Cupiditas, qua omnes affectus (per Prop. 27 & 31 hujus) foventur, & corroborantur; & ideo his affectus vix superari potest. Nam quamdiu homo aliqua Cupiditate tenetur, hac simul necessario tenetur. Optimus quisque, inquit Cicero, maxime gloria ducitur. Philosophi etiam libris, quos de contemnenda gloria scribunt, nomen suum inscribunt, &c.
XLV. Luxuria est immoderata convivandi Cupiditas, vel etiam Amor.
XLVI. Ebrietas est immoderata potandi Cupiditas, & Amor.
XLVII. Avaritia est immoderata divitiarum Cupiditas, & Amor.
XLVIII. Libido est etiam Cupiditas, & Amor in commiscendis corporibus.
Sive haec coeundi Cupiditas moderata sit, sive non sit, Libido appellari solet.
Porro hi quinque affectus (ut in Schol. Prop. 56 hujus monui) contrarios non habent. Nam Modestia species est Ambitionis, de qua vide Schol. Prop. 29 hujus, Temperantiam deinde, Sobrietatem, & Castitatem Mentis potentiam, non autem passionem indicare, jam etiam monui. Et tametsi fieri potest, ut homo avarus, ambitiosus, vel timidus a nimio cibo, potu, & coitu abstineat, Avaritia tamen, Ambitio, & Timor luxuriae, ebrietati, vel libidini non sunt contrarii. Nam avarus in cibum, & potum alienum
définitiones Zelotypiae & reliquarum animi fluctuationum silentio praetermitto, tam quia ex compositione affectuum, quos jam definivimus, oriuntur, quam quia pleraeque nomina non habent, quod ostendit ad usum vitae sufficere, easdem in genere tantummodo noscere. Caeterum ex définitionibus affectuum, quos explicuimus, liquet, eos omnes a Cupiditate, Laetitia, vel Tristitia oriri, seu potius nihil praeter hos tres esse, quorum unusquisque variis nominibus appellari solet propter varias eorum relationes, & denominationes extrinsecas. Si jam ad hos primitivos, & ad ea, quae de natura Mentis supra diximus, attendere velimus, affectus, quatenus ad solam Mentem referuntur, sic definire poterimus.
Affectus, qui animi Pathema dicitur, est confusa idea, qua Mens majorem, vel minorem sui Corporis, vel alicujus ejus partis existendi vim, quam antea, affirmat, & qua data ipsa Mens ad hoc potius, quam ad illud cogitandum determinatur.
Dico primo Affectum, seu passionem animi esse confusam ideam. Nam Mentem eatenus tantum pati, ostendimus (vide Prop. 3 hujus), quatenus ideas inadaequatas, sive confusas habet. Dico deinde, qua mens majorem, vel minorem sui corporis, vel alicujus ejus partis existendi vim, quam antea, affirmat. Omnes enim corporum ideae, quas habemus, magis nostri Corporis actualem constitutionem (per Coroll: 2 Prop. 16 p. 2), quam corporis externi naturam indicant; at haec, quae affectus formam constituit, Corporis, vel alicujus ejus partis constitutionem indicare, vel exprimere debet, quam ipsum Corpus, vel aliqua ejus pars habet, ex eo, quod ipsius agendi potentia, sive existendi vis augetur, vel minuitur, juvatur, vel coercetur. Sed notandum, cum dico, majorem, vel minorem existendi vim, quam antea, me non intelligere, quod Mens praesentem Corporis constitutionem cum praeterita comparat; sed quod idea, quae affectus formam constituit, aliquid de corpore affirmat, quod plus, minusve realitatis revera involvit, quam antea: Et quia essentia Mentis in hoc consistit (per Prop. 11 & 13 p. 2), quod sui Corporis actualem existentiam affirmat, & nos per perfectionem ipsam rei essentiam intelligimus, sequitur ergo, quod Mens ad majorem, minoremve perfectionem transit, quando ei aliquid de suo corpore, vel aliqua ejus parte affirmare contingit, quod plus, minusve realitatis involvit, quam antea. Cum igitur supra dixerim, Mentis cogitandi potentiam augeri, vel minui; nihil aliud intelligere volui, quam quod Mens ideam sui Corporis, vel alicujus ejus partis formaverit, quae plus minusve realitatis exprimit, quam de suo Corpore affirmaverat. Nam idearum praestantia, & actualis cogitandi potentia ex objecti praestantia aestimatur. Addidi denique, & qua data ipsa Mens ad hoc potius, quam ad aliud cogitandum determinatur, ut praeter Laetitiae, & Tristitiae naturam, quam prima définitionis pars explicat, Cupiditatis etiam naturam exprimerem.