Université de Picardie Jules Verne/Jacques Beauchamp
Pédologie
PROPRIETES DES SOLS
1. QUELQUES DEFINITIONS
Un sol est une pellicule d'altération recouvrant une roche; il est formé d'une fraction minérale et de matière organique (humus). Un sol prend naissance à partir de la roche puis il évolue sous l'action des facteurs du milieu, essentiellement le climat et la végétation. La pédologie est l'étude des sols.
La pédogénèse est la formation et l'évolution des sols. Le sol apparait, s'approfondit et se différencie en strates superposées, les horizons pédologiques, qui forment le profil pédologique. Il atteint finalement un état d'équilibre avec la végétation et le climat. Classiquement, les principaux horizons sont les suivants:
* Horizon A: horizon de surface à matière organique (débris de végétaux)
* Horizon C: roche peu altérée
* Horizons B: horizons intermédiaires apparaissants dans les sols évolués.
Les sols peu évolués ont un profil AC, les sols évolués ont un profil ABC. Les horizons B sont formés par l'altération de la roche ou par les mouvements de matière depuis A.
Cette nomenclature a
été
considérablement modifiée et complétée par
la
suite (voir chapitre suivant).
LA FRACTION MINERALE DU SOL
La destruction des
roches
se fait (1) par désagrégation mécanique qui donne
des
fragments et (2) par altération chimique qui produit des ions
solubles
(cations, acide silicique...), des gels colloïdaux par hydratation
et
polymérisation des cations comme le fer et l'aluminium avec la
matière
organique (complexolyse) et des argiles, contituants fondamentaux du
sol.
L'ensemble constitue le complexe d'altération.
L'altération
demande de l'eau et une température suffisante; elle est moyenne
en
climat tempéré, elle est maximale sous climat
équatorial.
Elle se fait par hydrolyse pour les roches silicatées (voir
ci-dessus),
par décarbonatation pour les roches calcaires (solubilisation du
carbonate
par le CO2contenu dans l'eau). La
désagrégation mécanique
caractérise les climats froids ou désertiques.
Le complexe d'altération comprend la fraction argileuse héritée, transformée ou néoformée et d'autres constituants, cryptocristallins ou amorphes, comme les oxyhydroxydes de Fe, Al, Mn, Si, associés aux argiles et complexés avec l'humus.
Les minéraux argileux rencontrés dans un sol dépendent du type de sol et de la profondeur. L'illite est le minéral le plus abondant en climat tempéré (50 % environ), suivi de la chlorite, des smectites et de la vermiculite; la kaolinite est plus rare. Au cours de l'évolution du sol, l'illite et la chlorite, minéraux hérités de la roche, peuvent se transformer en vermiculite et smectites.
Les minéraux argileux peuvent fixer puis relarguer des cations métalliques: la Capacité d'Echange Cationique, ou C.E.C., dépend du type d'argile: elle est faible pour l'illite, la chlorite et la kaolinite mais importante pour la vermiculite et les smectites.
horizon |
% argiles |
illite (%) |
vermiculite (%) |
chlorite (%) |
interstratifiés (%) |
A |
15,6 |
traces |
30 |
20 |
50 |
B |
9,4 |
traces |
30 |
30 |
40 |
C |
9,3 |
traces |
30 |
35 |
35 |
Tableau I: minéraux argileux d'un sol brun forestier sur granite.
horizon |
% argiles |
illite (%) |
smectite (%) |
kaolinite (%) |
interstratifiés et chlorite (%) |
A |
17,0 |
70 |
20 |
10 |
traces |
Bt |
24 |
40 |
50 |
10 |
traces |
C |
26,3 |
30 |
50 |
20 |
traces |
Tableau I: minéraux argileux d'un sol brun lessivé sur limon de plateau.
Les oxyhydroxydes de Fer sont en particulier la goethite de couleur ocre (Fe OOH) en climat humide, l'hématite rouge (Fe2 O3) en sol fersialitique. Ils assurent les liaisons entre argiles et humus. Les formes complexées évoluent vers des formes cryptocristalline puis cristalline.
L'aluminium est sous forme d'ion Al+++ hydraté responsable de l'acidité du sol. Comme le fer, ils assurent les liaisons argiles-matière organique et peuvent se fixer sur les feuillets de vermiculite pour donner une chlorite. Les formes cristallines de l'aluminium comme la gibbsite (Al OH3) et la bohémite (Al OOH) sont rares dans les sols des climats tempérés.
Le silicium est sous forme soluble (H4 Si O4) ou sous forme de silice amorphe de 2 origines possibles:
- la bioopale des phytolithes (diamètre de 2 à 50 µm) ;
- la polymérisation de l'acide silicique adsorbé sur des gels à base d'Al ou de Fe qui évoluent ensuite en argiles de néoformation (kaolinite, smectites).
En climat chaud et humide, l'hydrolyse est totale, elle se fait à pH neutre; les silicates sont hydrolysés en gibbsite; l'acide silicique et les cations solubles sont lessivés, il reste sur place le fer et l'aluminium qui constituent un sol ferralitique oulatéritique. Les oxydes de fer peuvent se concentrer en surface et constituer une croûte ferrugineuse, la croûte latéritique. La matière organique, oxydée, intervient peu. Les latérites en place ou remobilisées sont susceptibles d'être exploitées comme minerai de fer ou d'aluminium (bauxite). Les gisements de bauxite des Baux en Provence ont cette origine. Les minéraux néo-formés à partir des ions libérés sont la kaolinite et les smectites selon la qualité du drainage. Les lessivage, en éliminant les cations, augmente l'acidité du sol.
En climat chaud et
à
saisons sèches et humides alternant, le lessivage et le
confinement
alternent, les solutions remontent à la surface en saison
sèche,
la matière organique est minéralisée rapidement et
a
peu d'action, des smectites se forment, la silice reste sur place. Le
sol
contient l'association Fe, Si et Al, c'est lesol fersialitique des
pays tropicaux et méditerranéens. La concentration en
surface
des oxydes de fer produit le phénomène de
rubéfaction.
En climat
tempéré,
les hydrolyses sont partielles. Les minéraux argileux sont
hérités
de la roche-mère (chlorites par exemple) ou transformés
progressivement.
Lorsque l'hydrolyse est neutre, comme sur roches calcaires, l'illite
est dégradée
en smectites (K+ remplacée par Ca++, Mg++).
Pour une hydrolyse à pH acide, sous l'action des acides
organiques
(oxalique, citrique), l'illite est transformée plutôt en
vermiculite
par perte de K+ et ouverture des feuillets; la
transformation
en chlorite est également possible; des complexes
organo-métalliques
se forment par complexolyse. Les sols sont des sols bruns. Sous
climat
froid et humide, milieu de formation des podzols, les acides
organiques
attaquent les illites et vermiculites et les dégradent en
smectites;
la kaolinite peut être néoformée.
CLIMAT |
VEGETATION et SOL |
ALTERATION |
ORIGINE des ARGILES |
PRODUCTIVITE EVOLUTION M. ORGANIQUE |
Glaciaire |
toundra |
désagrégation mécanique
|
héritage |
nulle |
Boréal Tempéré |
Taiga et Forêt Podzol Sols Bruns |
complexolyse et hydrolyse acide |
transformation héritage |
forte |
Méditerranéen Subtropical |
Steppes, savane FerSiAlitique |
hydrolyse neutre |
transformation néoformation héritage |
faible |
Désertique |
néant |
désagrégation mécanique
|
héritage |
nulle |
Equatorial |
Forêt Ferralitique |
hydrolyse neutre totale |
néoformation
|
maximale |
Figure 1:
Altération
et type de sols selon le climat
Figure 2 :
Pédogénèse
suivant la latitude
Outre le climat, la
nature
de la roche-mère intervient sur les caractères de la
fraction
minérale. En climat équatorial, les granites
altérés
donnent de la kaolinite, alors que les roches basiques, plus riches en
cations,
donnent de préférence des smectites. La topographie a
également
un rôle important sur la qualité du drainage. Sur roches
calcaires,
se forme un type de sol particulier , les Rendzines.
LA FRACTION ORGANIQUE
La matière organique peut être définie comme une matière carbonée provenant d'êtres vivants végétaux et animaux. Elle est composée d'éléments principaux (C, H, O, N) et d'éléments secondaires (S, P, K, Ca, Mg).
La fraction organique se répartit en 4 groupes:
* la matière organique vivante, animale et végétale, qui englobe la totalité de la globe la totalité de la biomasse en activité;
* les débris d'origine végétale (résidus végétaux, exsudats) et animale (déjections, cadavres) regroupés sous le nom de "matière organique fraîche";
* des composés organiques intermédiaires, appelés matière organique transistoire, provenant de l'évolution de la matière organique fraîche;
*
des
composés organiques stabilisés, les matières
humiques,
provenant de l'évolution des matières
précédentes.
La
végétation
fournit des débris végétaux qui constituent la
litière
de l'horizon Ao ou 0. Sa décomposition se fait sous l'action des
microorganismes
et produit l'humus et les composés minéraux de l'horizon
A.
Les matières organiques sont d'abord
dépolymérisées.
Les monomères résultants peuvent suivre 2 voies :
laminéralisation qui produit des composés moduit des composés minéraux comme le CO2, le NH3, les nitrates, les carbonates ;
l'humification qui est une repolymérisation en composés organiques amorphes qui se lient aux argiles. Cet humus peut être ensuite minéralisé à son tour.
L'humus peut donc être défini comme étant le composé final de la dégradation de la matière organique. C'est un composé organique stable, à noyaux aromatiques, riches en radicaux libres. Il comprend des acides fulviques et humiques extractibles à la soude (alcalino-solubles) et l'humine qui est totalement insoluble; les composés à fort poids moléculaire (100 000) sont polymérisés à partir de noyaux aromatiques (phénols) provenant de la destruction de la cellulose et de la lignine sous l'action microbienne, en particulier des champignons. Son type dépend des caractères de la végétation et du climat. En climat froid (boréal) et tempéré, il est riche en acides organiques trés agressifs qui produisent une complexolyse intense; en climat équatorial, il est trés évolué et peu actif.
L'humus est généralement associé aux minéraux argileux et forme le complexe argilo-humique qui joue un rôle essentiel dans la structure du sol, ses propriétés mécaniques, physiques, hydriques et chimiques. Un sol peut être caractérisé par sa Capacité d'Echange Cationique (CEC) proportionnelle à la quantité de charges électriques portées par le complexe: plus la CEC est élevée, plus le sol peut absorber et désorber des cations qui sont mis à disposition des racines. La CEC dépend de la nature des argiles et de leur association avec les composés humiques.
La vitesse
d'humification
dépend de l'activité biologique conditionnée par
la température.
La quantité d'humus dans le sol est la résultante des
actions
concurentes de l'humification et de la minéralisation.
- En milieu peu actif la décomposition des litières est lente, l'horizon organique Ao brun noir, fibreux et acide est bien distinct, c'est un mor (ou terre de bruyère).
- En milieu biologiquement plus actif, l'horizon Ao est moins épais et constitue un moder.
-
En milieu
très actif, la décomposition est très rapide,
l'horizon
Ao disparait, l'humus est incorporé dans la fraction
minérale
en complexes organo-minéraux formant un horizon A1 (mull)
à
agrégats argilo-humiques à Fe et Al.
L'humus joue un rôle important sur
la
valeur agronomique des sols cultivés et la physiologie des
végétaux
(rétention de l'eau, fixation d'oligo-éléments,
action
stimulante sur la formation et la croissance des racines...) Mais
chaque année,
le sol perd de son humus par minéralisation. L'importance de
cette
perte dépend du type de sol (teneur en argile et calcaire
notamment)
et du climat (humide ou sec, chaud ou froid). En agriculture, pour
conserver
les propriétés du sol, il faudra procéder à
des
apports compensatoire de matière organique: engrais, amendements
organiques
(en particulier résidus de récolte, feuilles, sarments de
vigne...),
enherbement temporaire, déjections animales (lisier, fumier),
compost,
boues de stations d'épuration...
Figure 3: devenir de la matière organique dans le sol
pour en savoir plus sur l'humus
STRUCTURE ET EVOLUTION DES SOLS
En climat tempéré, lorsqu'une roche affleure, elle est
progressivement
altérée et colonisée par la
végétation:
végétaux inférieurs, plantes herbacées puis
arbres;
le sol se forme. Il s'établit d'abord un horizon d'humus sur la
roche
altérée (profil AC, sol jeune), puis un horizon de type B
(profil
ABC). La profondeur augmente et le profil pédologique devient de
plus
en plus évolué jusqu'à atteindre un état
d'équilibre
avec le climat et la végétation. Les matières
circulent
dans le sol dans le sens descendant, par infiltration des solutions, et
dans
les sens ascendant, par remontée capillaire et remontée
biologique
(lombrics, termites en climat tropical, racines).
La texture du sol est définie par la grosseur des particules qui le composent : % graviers, sable, limon, argile. La composition minéralogique des particules est d'ailleurs en relation avec leur taille ( Les grossières sont surtout à base de quartz, les fines à base de phyllosilicates).
Figure 4a: représentation de la composition granulométrique en 3 fractions.
Figure 4b: nature minéralogique et taille des particules du sol
Figure 5: vitesse dévolution de 2 types de sols en climat atlantique (d'après Duchaufour).
La structure est l'organisation du sol. Elle est conditionnée par les colloïdes : argiles, substances humiques hydroxydes. Les argiles favorisent la fragmentation du sol en produisant des fentes de retrait à la dessication. Elles peuvent enrober les autres particules et colmater les pores. Elles peuvent fixer des composés organiques par adsoption sur leurs feuillets par l'intermédiaire des oxyhydroxydes d'Al et de Fer qui forment un revêtement pelliculaire. Ces complexes organo-minéraux (ou argilo-humiques) sont aglomérés en agrégats incorporant des filaments mycéliens et des bactéries à polysaccharides.
Figure 6: Fixation des ions sur le
complexe
argilo-humique.
On distingue 3 grands types de
structures
:
- particulaire : sol très meuble
- massives : éléments liés par un ciment
- fragmentaire : en agrégat (mn), grumeaux (cm) ou polyédrique, trés favorable aux cultures .
Figure 7: structure schématique d'un macro-agrégat.
Figure 8: détail d'un micro-agrégat.
Ainsi, la
végétation
fournit l'humus et assure la circulation ascendante des
matières;
elle protège ensuite la roche de l'érosion. La
destruction
de la végétation entraine celle des sols
évolués,
ou évolution régressive du sol. Les cycles
évolution-régression
des sols se succèdent à intervalles de temps courts
(cataclysmes,
action de l'homme) ou longs (pulsations climatiques). Le rôle
déterminant
du climat dans l'altération des roches et l'élaboration
des
sols a donné lieu à la formulation de la théorie
de la
bio-rhéxistasie par ERHART. En climat humide, les conditions
sont favorables
à l'altération des roches, au développement de la
végétation
et à la formation des sols; la destruction des roches est
limitée
aux phénomènes chimiques qui libèrent
essentiellement
des ions solubles: cette période favorable à la vie est
la
biostasie. En période sèche, les roches mises à nu
sont soumises à la désagrégation mécanique
qui
produit des matériaux détritiques grossiers: c'est la
rhéxistasie.
En climat
tempéré,
il faut environ 1000 ans pour former un horizon A, plusieurs milliers
d'années
pour un horizon B et quelques heures à un homme pour
détruire
un sol.
REFERENCES
Beauchamp J. (1989) - Sédimentologie. CRDP Grenoble.
Jacques
Beauchamp
18 octobre 2008