Soissons (parc Gouraud, Aisne) : l’occupation militaire d’un site à l’époque contemporaine


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En 2014, l’Université de Picardie Jules Verne a réalisé une fouille préventive au Parc Gouraud (parcelle AP 130) à Soissons (Aisne). Cette opération s’est déroulée dans le cadre d’un projet immobilier de l’entreprise Logivam.

Elle a été l’occasion d’étudier une fortification du XIXe siècle et de revenir sur l’occupation militaire du site au XXe siècle.

Le « Parc Gouraud » est une zone d’activité économique qui correspond aux anciennes casernes Gouraud. Aménagées au début du XXe siècle, elles abritaient le 67e régiment d’infanterie. Ce dernier est dissout en 1993 et dès 2001, les casernes font l’objet d’un important programme de réhabilitation mis en œuvre par la Communauté d’Agglomération du Soissonnais.

Au préalable à cette réhabilitation et à la construction des nouveaux bâtiments, plusieurs diagnostics et fouilles archéologiques sont réalisés sur la parcelle. Le but de ces fouilles était principalement l’étude de l’ouvrage à cornes du XIXe siècle.

La fouille préventive menée par l’Université de Picardie Jules Verne s’est déroulée au Parc Gouraud d’avril à juin 2014, sous la direction de Pauline Augé (Responsable d’opérations à l’UPJV).

Vue aérienne du chantier de Soissons
Vue aérienne du chantier de Soissons (cl. par cerf-volant, S. Charrier, juin 2014)

Au cours de la fouille, une sépulture avec deux individus a été mise au jour. Cette sépulture a été perturbée lors de l’aménagement de l’ouvrage à cornes du XIXe siècle.

Sépulture
Sépulture 4e siècle

Elle est à mettre en relation avec la nécropole antique qui se trouvait sur la colline Saint-Jean entre le Ier et le IVe siècle. L’emprise de cette nécropole antique du Mont-Saint-Jean est assez bien localisée grâce aux multiples découvertes dès le début du XIXe siècle, et aux études anthropologiques issues des opérations archéologiques.

Les fouilles successives ont mis en évidence un hiatus chronologique important entre la nécropole antique et l’époque moderne.

À l’époque médiévale, la colline Saint-Jean est marquée par la fondation de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes dans la seconde moitié du XIe siècle. Les ruines de l’abbatiale se trouvent à quelques centaines de mètres au sud-est de la parcelle fouillée. 

Au XIVe siècle, l’abbaye élèvera sa propre enceinte fortifiée qui a également marqué l’aménagement de la colline. Ainsi, à l’avant de l’enceinte les terrains deviennent une zone de servitude militaire et aucune construction en dure n’est possible sur plusieurs centaines de mètres.  Au XVIe siècle, l’enceinte urbaine de la ville Soissons englobe l’enceinte de l’abbaye Saint-Jean des Vignes.

En 1617, Soissons est assiégé par le comte d’Auvergne. Ce siège intervient dans un contexte de mécontentements des princes face à l’influence grandissante de Concino Concini (1575 – 1617 †), maréchal d’Ancre et favori de la régente Marie de Médicis (1575 -1642 †).

Le récit de cet épisode est relaté, entre autres, dans le Mercure françois de 1617.

Le graveur Abel Béraut a réalisé une vue cavalière du siège, publiée par Charles Gomart en 1866. 

Extrait du Siège de la ville de Soissons en 1617 par l’armée royaliste, publié par Charles Gomart

Plusieurs ouvrages sont aménagés pour la mise en défense de la place dont un ouvrage à cornes, devant le bastion de Mion, sur la colline Saint-Jean. En effet, avec le développement de l’artillerie, la création d’ouvrage en avant de la fortification permet de repousser l’assaillant et de limiter les frappes directement sur l’enceinte.

Vers le début des années 1630, cet ouvrage à cornes apparaît dans une vue de Soissons réalisé par Christophe Tassin, cartographe, architecte et ingénieur géographe du roi (Les plans et profils de toutes les principales villes et lieux considérables de France). 

Extrait de « Soissons », in Les Plans et profils de toutes les principales villes et lieux considérables de France… par le sieur Tassin

Bien que l’existence de cet ouvrage à corne est attesté par les sources historiques, à ce jour les différentes fouilles menées sur le parc Gouraud n’ont pas permis d’observer cet ouvrage.

Il est fort probable que l’ouvrage à cornes de Soissons était en terre. Cela expliquerait deux choses : d’une part, l’absence de traces archéologiques et d’autre part, la faible longévité de cette défense. En effet, l’ouvrage disparait avant 1684 comme en témoigne la target="_blank" rel="noreferrer noopener">représentation de Soissons par Jacques Pennier (INHA).

« Soissons Veu du costé de Compiègne » extrait de Voyage de son altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de Conty (1682-1684)

De plus, les aménagements et les terrassements ultérieurs pour un nouvel ouvrage à corne au XIXe ont supprimé les traces de cet ouvrage en terre.

À partir de 1816 et jusqu’au milieu du XIXe siècle, des travaux sont menés afin de faire de Soissons une véritable place forte militaire. Les courtines, les portes, les fossés et les bastions sont restaurés.

En 1825, un projet est proposé pour aménager un nouvel ouvrage à cornes. Cet emplacement est toujours un point faible de l’enceinte sur le plan défensif. L’objectif de cet ouvrage à cornes est de protéger Soissons d’une éventuelle attaque de la place depuis la hauteur Saint-Jean et de la portée de l’artillerie. L’ouvrage permet ainsi de dominer les environs et d’avoir à portée de canon les routes de Paris et de Compiègne.

Plan avec l’emprise de l’ouvrage à corne et sa portée de tir
Plan avec l’emprise de l’ouvrage à corne et sa portée de tir au XIXe siècle

Pour cette période, les archives militaires décrivent avec beaucoup de détails le projet, son avancement et ses modifications.

L’ouvrage à cornes est constitué de deux demi-bastions (droite et gauche) reliés par une courtine. L’ouvrage est fermé par une gorge et est flanquée d’un réduit. Ce réduit permet de défendre l’intérieur et d’empêcher l’établissement de l’ennemi sur l’ouvrage.

La communication entre l’ouvrage et la place se fait par une galerie souterraine débouchant dans le fossé du bastion. Les fossés de l’ouvrage sont secs et bien défendus, directement par l’ouvrage ou à revers depuis la place.

Ce projet, initialement présenté en 1841, est adopté l’année suivante. Sa construction est lancée en 1843.

Schéma de l’ouvrage à corne avec l’emprise de la fouille en 2014
Schéma de l’ouvrage à corne avec l’emprise de la fouille en 2014

La fouille entreprise par L’UPJV en 2014 a permis l’observation d’une section du demi-bastion droit.

À partir de 1816 et jusqu’au milieu du XIXe siècle, des travaux sont menés afin de faire de Soissons une véritable place forte militaire. Les courtines, les portes, les fossés et les bastions sont restaurés.

En 1825, un projet est proposé pour aménager un nouvel ouvrage à cornes. Cet emplacement est toujours un point faible de l’enceinte sur le plan défensif. L’objectif de cet ouvrage à cornes est de protéger Soissons d’une éventuelle attaque de la place depuis la hauteur Saint-Jean et de la portée de l’artillerie. L’ouvrage permet ainsi de dominer les environs et d’avoir à portée de canon les routes de Paris et de Compiègne.

L’intérêt défensif de l’ouvrage à cornes est rapidement mis en cause car il n’apporte pas toute la défense nécessaire. Soissons est considéré alors comme la clé de Paris mais elle est très vulnérable aux bombardements depuis les plateaux alentours. En 1870, en raison de l’évolution de l’artillerie, l’ouvrage à corne est maintenant surplombé par les batteries prussiennes situées sur le mont Marion au sud-ouest de Soissons. Lors du siège de la ville, une brèche est faite dans la partie sud de la fortification et Soissons est en partie incendiée. La place résiste pendant 19 jours mais l’artillerie de siège écrase rapidement les défenses. 

La défaite de 1870 et la modification des frontières avec la perte de l’Alsace-Lorraine entrainent la création d’un Comité de Défense en 1872. Ce comité adopte un projet proposant deux lignes défensives, dont Soissons fait partie. Faute de crédits et de volonté, la plupart des travaux adoptés sont ajournés voire abandonnés. 

La réfection des fortifications de Soissons est trop importante par rapport à l’utilité militaire de la place. Ainsi, la place est déclassée en 1885. Dès l’année suivante, les murailles de la ville sont abattues côté ouest, puis rapidement côté nord.

Les dates relevées sur le mur d’escarpe s’échelonnent entre 1849 jusqu’à 1896. Ce qui prouve que, malgré le démontage des fortifications, certaines parties étaient toujours accessibles.

Au cours de la fouille, un relevé pierre à pierre a été réalisé du mur de contrescarpe. Plusieurs dizaines de traces (graffitis ou marques d’outils) ont été identifiées.

Elévation pierre à pierre du mur de l'ouvrage à corne avec la localisation des graffitis
Élévation pierre à pierre du mur de l’ouvrage à corne avec la localisation des graffitis

Dès la fin du XIXe siècle, la ville fait tout pour maintenir un régiment d’infanterie à Soissons. La construction de nouvelles casernes est envisagée mais la Grande Guerre, l’occupation de Soissons en 1914 par les allemands et la proximité du front retardent quelques peu ce projet. Les travaux ne commencent sans doute qu’en 1916.

Des photos aériennes prises pendant l’hiver 1917 montrent que plusieurs bâtiments ont été construits.

Il s’agit des nouvelles casernes constituées alors de cinq grands bâtiments en dur et plusieurs constructions plus modestes, entre autres des baraques (type Bessonneau ou Adrian) ou des hangars. 

Plusieurs grandes croix, de part et d’autre des bâtiments, indiquent que les nouvelles casernes servent alors d’hôpital temporaire. Cela coïncide d’une part avec le bombardement des structures sanitaires de Soissons au début de l’année 1917 obligeant l’armée à trouver de nouveaux bâtiments et, d’autre part, avec l’afflux toujours important de blessés provenant du Chemin des Dames.

D’après le témoignage de l’évêque de Soissons, monseigneur Péchenard, « une ambulance de 800 lits est aménagée dans les nouvelles casernes, spécialement destinée aux intoxiqués par les gaz »[1].

[1] Pierre-Louis Péchenard, La Grande Guerre. Le martyre de Soissons (août 1914-juillet 1918), Paris, 1918, p. 392.

Dans l’emprise de la fouille, une tranchée en créneaux a été mise au jour sur plusieurs mètres.

Vue de la tranchée de 1918 en cours de fouille
Vue de la tranchée de 1918 en cours de fouille (S. Charrier, juin 2014)

C’est un court tronçon (32,80 m sur 9,20 m), orienté est-ouest, de forme régulière en zigzag et à l’aménagement soigné. Le fonds est composé d’un caillebotis en bois. Cette tranchée figure en pointillé sur le canevas de tir de 1918.

Un abondant mobilier a été retrouvé dans cette tranchée dont le quart a été fouillé exhaustivement. 

Divers objets métalliques ont été retrouvés dans son comblement. Parmi eux, il est possible d’identifier des boites de conserve ou encore des éléments de vaisselle (gamelles ou quart ?) ; quelques boutons d’uniformes à grenade utilisés dans l’infanterie française ainsi que des balles et des douilles. Plusieurs bouteilles en verre ont également été mises au jour.

Un masque à gaz et des oculaires ont été retrouvés dans le fond de la tranchée. Le masque est un modèle français avec cartouche de type « ARS » (appareil respiratoire spécial), distribué massivement au début de l’année 1918.

La tranchée a pu servir à la fois au tir de l’infanterie française mais peut-être aussi de tranchée d’abri, liée au fonctionnement de l’ambulance.

Après la Grande Guerre, les nouvelles casernes boulevard Jeanne d’Arc prennent le nom de « caserne Commandant Gouraud » en l’honneur d’Auguste Gouraud, chef de bataillon du 67e RI, tué par l’ennemi en 1916. Les travaux sur la caserne reprennent et s’achèvent en 1930.

En dehors du mobilier retrouvé dans la tranchée, les objets mis au jour durant la fouille n’étaient pas en place.

Ils datent pour la plupart entre la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle.

Vous pouvez voir un échantillon de ce mobilier dans la collection en ligne

Les objets sont conservés au Centre de Conservation et d’Etudes Archéologiques (CCEA) de Soissons (contacter le SRA-DRAC Hauts-de-France).

Vaisselle et verrerie

L’écriture (encriers de diverses formes)

Le tabac

L’hygiène (flacon de parfum, pot cosmétique)

La pharmacie (divers flacons pharmaceutiques)

Certains objets sont à mettre directement avec la vie militaire : boutons, insigne, plaques.

Rapports de fouille

  • Augé (P.) coord., Barme (M.), Degroisilles (L.), Lafargue (S.), de Mauraige (G.), Mouny (S.) et Roque (C.) collab., Rapport final d’opération, Soissons, caserne Gouraud, 2 vol., Université de Picardie Jules Verne, UnivArchéo, 2017. 
  • Buccio (V.) dir., Soissons (Aisne) « ancienne caserne Gouraud », rapport final d’opération, CG Aisne, 2 vol., 2011.
  • Desenne (S.), Flucher (G.), Pinard (E.), Soissons « caserne Gouraud », rapport final d’opération, 2 vol., Inrap, 2004.
  • Desenne (S.), Flucher (G.), Pinard (E.), Soissons « caserne Gouraud », rapport de diagnostic archéologique, 2 vol., Inrap, Amiens, 2003.
  • Gissinger (B.), Soissons (Aisne) « ancienne caserne Gouraud », rapport de diagnostic, CG Aisne, 2006.
  • Gissinger (B.) dir., Soissons (Aisne). La nécropole de Soissons, rapport final d’opération, CG Aisne, 2010.
  • Gissinger (B.) dir., Soissons (Aisne) « ancienne caserne Gouraud », rapport final d’opération, CG Aisne, 2011.

Articles et ouvrages

  • Beauclerc (F.), Soissons et la bataille de Crouy, janvier 1915. Les dessous d’un désastre, Louviers, Ysec, 2009.
  • Barros (M.), « Les forts de La Fère, Laon et Soissons de 1874 à 1918 », Mémoires de la fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 1996, XLI, p. 49-80.
  • Chambon (P.), Le Soissonnais dans la Grande Guerre, Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton DL, 2011.
  • Charles-Lavauzelle (H.), Historique du 267e régiment d’artillerie pendant la guerre 1914-1919, Paris, 1920.
  • Charles-Lavauzelle (H.), Historique du 67ème régiment d’infanterie, Paris, 1920.
  • Collet (É.), L’occupation allemande dans le Soissonnais, Soissons, A. de Chilly, 1884.
  • Collet (É.), Le siège de Soissons, Soissons, 1871.
  • Dormay (Cl.), Histoire de la ville de Soissons et de ses rois, ducs, comtes et gouverneurs, 2 t., Soissons, 1663.
  • Fabry, Les mémoires de ce qui s’est passé durant le siège de Soissons en cette présente année 1617, autant dedans que dehors. Avec le plan et fortifications faites au dehors, les machines dont on se sert : les tranchées, batteries & quartiers des assiégeants, Paris, 1617.
  • Fossé d’Arcosse (R.), Le siège de Soissons en 1870, Soissons, 1892.
  • Gueugnon (Y.), L’Hôtel de la « Croix d’Or » à Soissons, et les fortifications du front nord de la ville au XIVe siècle, Crouy, 1993.
  • Journot (F.), Bellan (G.), Archéologie de la France moderne et contemporaine, Paris, La découverte imprimerie, 2011.
  • Lecer, « Les fortifications de Soissons en 1814 d’après un devis dressé par le service du génie de la place en 1817 », Bulletin de la Société archéologique historique et scientifique de Soissons, t. XV, Soissons, 1910, p. 39-60 et 176-183.
  • Leclercq de Laprairie (J.-H.), Les fortifications de Soissons aux différentes époques de son histoire, 66 ans avant J.-C.-1850, Laon, 1854.
  • Muzart (G.), Soissons pendant la guerre (1914-1925), 1998.
  • Péchenard (P.-L.), La Grande Guerre. Le martyre de Soissons (août 1914-juillet 1918), Paris, 1918.
  • Pomerol (Ch.), boureaux (M.), Bournérias (M.), Dorigny (A.), Maucorps (J.), Solau (J.-L), Vatinel (M.), Notice explicative de la feuille de Soissons au 1/50 000, Orléans, éditions du BRGM, 1984.
  • Roussel (D.) dir., Documents d’évaluation du patrimoine archéologiques des villes de France – Soissons, Paris 2002.
  • Roussel (D.), « Soissons », Revue archéologique de Picardie – Archéologie des villes, démarches et exemple en Picardie, Desachy (B.) Guilhot (J.- O.) (dir.), n° spécial 16, 1999, p. 129-138, Pl XI -XII.
  • Urbain (M.), « Soissons et la guerre de 1870-1871 », L’Aisne envahie, Mémoires de la fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, Tome LII, 2007, p. 169-180.
  • Vincent (D.), Souvenirs d’un soldat de 1870, siège de Soissons, Reims, 1901.