L’Université de Picardie Jules Verne a réalisé une fouille préventive en 2012 à Démuin (Somme, lieu-dit « Le Village »). Cette opération s’est déroulée dans le cadre d’un projet immobilier de l’entreprise V2P Aménagement.
Dans le cadre de la construction d’un lotissement mené par V2P Aménagement, l’Université de Picardie Jules Verne a réalisé une fouille préventive à proximité du centre du village de Démuin (Somme), en 2012. Le chantier de fouille, de 5000 m2, se situait à l’est de l’église et de la place. Un diagnostic archéologique (INRAP) avait déjà révélé l’ampleur des vestiges.
La fouille préventive s’est déroulée de janvier à juin 2012, sous la direction de Richard Jonvel (responsable d’opérations).
La fouille a révélé plusieurs occupations d’époques médiévale, moderne et contemporaine.
La première occupation mise en évidence correspond à un espace très important à vocation agricole et artisanale, dès le haut Moyen Âge (IXe-XIe siècle) marquée par la présence de nombreux silos, de fosses ou encore de fonds de cabanes. Un puissant fossé, de 8 à 12 mètres de large, protège ces structures au Xe siècle. Cette occupation connait son apogée au cours du XIe siècle.
Le XIIe siècle correspond à un moment de transition avec un changement d’organisation significatif. C’est à cette période qu’une enceinte maçonnée est construite, à la suite du comblement du fossé défensif. Peu de temps après, une plateforme est aménagée. Ce vaste espace, en lien avec le château à motte occupé par les seigneurs de Démuin, correspond à la basse-cour. Quelques bâtiments arasés du XIIIe-XIVe siècles, en relation avec l’activité de la résidence seigneuriale, ont été dégagés. Au cours du XIVe siècle, la basse-cour est incendiée et une nouvelle résidence fortifiée est aménagée, entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle.
Les sources historiques fournissent quelques indices sur ce château. Le 14 mai 1482, Thibaut de Flavy reconnait tenir sa terre de Démuin du duc de Lorraine, seigneur de Boves. Le fief de Démuin comporte un chastel, une basse-cour, des jardins ainsi que l’espace environnant. Le domaine a deux moulins à eau : le « moulin de la Ville » et le « moulin de Comporte ». La fouille de cette basse-cour est marquée par la réduction de l’enceinte de la cette forteresse. Un grand bâtiment (XVIe voire début XVIIe siècle), correspondant à cette phase d’occupation, a été mis au jour.
À la fin du XVIIIe siècle, outre les terres et les bois, la seigneurie de Démuin se compose d’ « un vieux château, colombier et autres bâtiments ». Le « vieux château » correspond à un corps de logis. La basse-cour médiévale est transformée avec un verger, un jardin et une grande allée : « la belle vue du château ».
Les phases d’occupations plus récentes sont bouleversées par les destructions de la Grande Guerre qui a entrainé l’abandon de la parcelle. Le village de Démuin a été durement touché par la guerre 14-18. De nombreux bâtiments sont touchés par les bombardements, voire détruits comme l’église du village. Dans un premier temps, une église provisoire en bois est construite puis le bâtiment actuel, orienté nord-sud, est édifié à partir de 1927.
Le mobilier archéologique mis au jour à Démuin est abondant, varié et globalement en bon état de conservation. Des éléments de tabletterie, des objets métalliques, des monnaies, des objets en céramique, des ossements animaux, entre autres, ont livré de nombreuses informations sur l’évolution de l’occupation du site.
Le corpus du mobilier céramique retrouvé sur le site de Démuin est fragmentaire mais dans un état de conservation correcte.
La céramique en quelques chiffres :
L’approvisionnement de l’habitat de Démuin semble essentiellement régional, voire même local.
Parmi les 14 catégories céramiques, trois productions ont été retrouvées de façon dominante :
L’importance de ces productions ne surprend pas et reflète les productions traditionnelles connues dans la région.
L’éventail des formes est très restreint. Le répertoire est constitué presque exclusivement de formes hautes fermées.
Plusieurs structures contiennent des formes archéologiquement complètes ou identifiables. Treize types de récipients ont pu être répertoriés :
– Les formes hautes fermées :
– Les formes basses ouvertes (tèles, assiettes…) sont très peu représentées.
– Accessoires et autres formes : quelques fragments ont permis d’identifier la présence de couvre-feux, de gobelets, de gourdes et de lampes. A noter aussi la présence de miniatures, une oule et un pichet qui s’apparente à des éléments de dinette (exemple cruche et oule).
L’examen du mobilier céramique réalisé par contexte a permis des regroupements qui ont conduit à l’établissement de quatre grandes phases chronologiques (non équivalentes dans le temps ni dans la quantité du mobilier céramique) :
L’analyse a permis d’identifier la céramique :
Sandrine Mouny, avec la collaboration de David Brugnon « Le mobilier céramique », Démuin « Le Village », rapport final d’opération, fouille archéologique préventive, Autour du château médiéval, IXe-XVIe siècle (coord. Richard Jonvel), Université de Picardie Jules Verne, UnivArchéo, 2014, vol. 1, pp. 157-188.
Le réseau iceramm, Information sur la CÉRAmique Médiévale et Moderne https://iceramm.huma-num.fr
Le mobilier métallique en quelques chiffres :
– 548 objets métalliques ont été mis au jour durant la fouille.
– Pour l’ensemble des phases, le mobilier métallique est :
Ces pourcentages sont établis sans prendre en compte les clous et les fragments indéterminés dont la part de chacun est respectivement de 45,07% (247) et de 26,28% (144) sur la totalité du corpus.
Domaines fonctionnels (hors clous et indéterminés) | Exemple | Pourcentage |
---|---|---|
Personnel | Accessoires vestimentaires (boucle, bouterolle de ceinture, paillette décorative, agrafe), bijoux (bague, anneau, pendentif,… | 22,93 % |
Domestique | Cannelle de tonneau, bougeoir, couteau, fourchette, cuillère, coupelle… | 22,29 % |
Équipement équestre | Fer à cheval, pendant de harnais, éperon, bossette, applique décorative… | 19,75 % |
Registre économique | Pièce de charrue, paire de force, plomb commercial, fléau de balance, faucille… | 14,65 % |
Serrurerie | Pêne, moraillon, clé, penture, verrou… | 8,92 % |
Immobilier | Gond, chape… | 7,01 % |
Armement | Balle, pointe de flèche, carreau d’arbalète… | 4,46 % |
L’époque la mieux représentée est la période du XIIIe-XVIe siècle qui regroupe 21,93 % du corpus d’objets métalliques.
Vincent Legros, « Le mobilier métallique », Démuin « Le Village », rapport final d’opération, fouille archéologique préventive, Autour du château médiéval, IXe-XVIe siècle (coord. Richard Jonvel), Université de Picardie Jules Verne, UnivArchéo, 2014, vol. 1, pp. 189-196.
Le lot de pièces se composent de 57 éléments. Sans surprise, selon la règle habituelle pour les trouvailles de fouilles, on constate la prédominance des petites valeurs (pertes). Ainsi on relève l’abondance des monnaies de cuivre dès qu’elles sont en circulation (bronzes antiques, doubles tournois de cuivre à partir de 1577) mais aussi de pièces sans valeur monétaire comme les méreaux de plomb et les jetons de cuivre.
Pour le XIe siècle, on compte autant d’oboles (2) que de deniers (2), et on trouve encore des pièces de faible valeur pour les monnaies du XIIIe siècle (une obole) et du XIVe siècle. Un cokibus proche du cuivre (titre légal de 7 %) et deux doubles tournois correspondent aux émissions altérées des affaiblissements qui ont marqué la monnaie royale. La seule originalité, relative, est la présence exclusive pour le XIIe siècle de deniers relativement abondants (6) dont la teneur en argent est encore significative.
Pas de monnaies d’argent ensuite et seulement un quinzain de billon de Louis XIV.
Leur répartition sur divers contextes sur l’ensemble du site tend à les faire interpréter comme résiduelles. Il y a un groupement dans un même contexte de 2 pièces constantiniennes (aire III, US 1161) dont une imitation de module réduit mais elles sont aussi associées à une monnaie de Philippe IV, comme une monnaie du IVe siècle avec un jeton du XIVe siècle également (aire III, US 1490), ce qui s’accorde mieux avec des pièces en position secondaire.
La répartition chronologique ne montre pas de groupements chronologiques significatifs. Il s’agit le plus souvent des plus petites espèces en circulation. L’As au Ier siècle, antoniniens d’imitation au IIIe siècle, nummi du IVe siècle et les deux sesterces du IIe siècle et au IIIe siècle sont la monnaie de base de la circulation monétaire jusqu’à la dévaluation de l’antoninien (même si la pièce de Commode apparaît relativement peu usée).
Les monnaies médiévales se concentrent sur les XIe-XIIe siècles, avec une pièce incertaine, deux oboles non attribuées (sinon inédites) mais qui partagent la caractéristique technique d’être unifaces avec les oboles contemporaines d’Amiens (d’un type différent), ce qui renforce la probabilité qu’il s’agisse de pièces régionales.
Il y a également un denier d’Amiens, un denier de Troyes de Thibaud (1122-1152), trois deniers de l’évêque de Meaux Burcard (1120-1134) et un denier de Louis VI (ou Louis VII) de Montreuil, ce qui marque une certaine concentration de pièces du second quart du XIIe siècle avec un denier tournois probablement plus tardif dans le siècle. Les pièces sont issues de zones et de contextes différents sur le site (avec seulement deux pièces de Meaux associées dans un même contexte) et constituent un pic « d’activité monétaire » sur le site.
L’origine géographique des pièces correspond en partie à ce que reflètent les trésors picards du début du XIIe siècle (Amiens, Montreuil). La proportion des monnaies de Champagne est en général moins marquée dans les trésors mais les monnaies du site de Boves indiquent la même tendance. En dehors de l’atelier de Montreuil-sur-Mer, les monnaies royales ne deviennent abondantes qu’à partir de la fin du XIIe siècle.
À partir du XIIIe-XIVe siècles, on constate d’une part, une majorité de jetons et méreaux si on part du XIIIe siècle (2 méreaux attribués au XIIIe siècle par commodité car ces objets pouvaient servir de tickets et de bons de paiement sur des chantiers dès cette période), 8 pièces sur 13 du XIIIe au XVIe siècle, mais 1 sur 12 à partir du XVIIe siècle. D’autre part, une majorité de pièces issues du contexte 1158 et hors contexte, en particulier pour les plus récentes : les 2 pièces du XXe et du XVIIIe siècle, le quinzain de 1692 de Louis XIV et un des deux liards, ce qui ramène l’arc chronologique de pièces en contexte au milieu du XVIIe siècle avec parmi celles-ci la moitié des pièces issues du seul contexte 1158.
Les jetons à partir du XIVe sont de Tournai, surtout dans 1158 et mêlés avec des pièces plus récentes. Un jeton dans le fossé 1490 se retrouve avec une monnaie du IVe siècle. Ceux du XVIe –XVIIe sont au type impérial de Nuremberg.
Les seules monnaies de la période XIIIe-XVIe siècles, jusqu’à l’apparition des monnaies de cuivre, sont concentrées au tournant des XIIIe-XIVe siècle, à l’époque de Philippe le Bel. On compte une obole, un double, un cokibus, plus un double de Philippe VI de 1349.
Le corpus relatif au travail de l’os est composé en grande majorité, d’objets finis du quotidien répartis dans quatre domaines.
Les outils du textile (broches et de poinçons) représentent 68,96 % du lot. Ces objets oblongs sont de formes simples, généralement de section plus ou moins ovalaire et plus rarement circulaire. Des exemplaires ont des extrémités spatulées (diaphyse). Parfois ces accessoires possèdent sur le fût des traces de facettage au couteau. Certains poinçons sont pourvus d’un décor incisé sur une seule face. Plusieurs espaces (US 1256, 1407 et 1633 ; fond de cabane 1560) ont été déterminées comme étant des ateliers textiles.
La fonction est identifiée avec certitude par la présence dans ces contextes de plusieurs broches, associées à d’autres éléments irrémédiablement liés à l’activité textile : pesons (OI 311, OI 312, OI 316, OI 317, OI 318, OI), de fusaïoles en pierre et d’un lissoir en verre (OI 354).
Les ustensiles de toilettes représentent 17,24 % des artefacts en os. Ils sont composés essentiellement de peignes. L’élément le mieux conservé (OI n° 374) est constitué d’un assemblage riveté de deux plaques-appliques d’un peigne composite, à double denture.
Il s’agit de deux individus, respectivement d’un manche à semelle plate d’ustensile rivetée et d’un manche monobloc de couteau (OI 277). Ce dernier élément est remarquable. Le manche a été tourné et la cavité naturelle a permis l’enfoncement de la soie métallique de forme quadrangulaire, celle-ci est encore conservée. Le corps possède un décor de motifs géométriques simples, composés de deux ensembles de lignes d’incisions parallèles (deux groupes de trois rainures comprenant deux autres rainures centrales).
La fouille a permis de mettre au jour deux longs fragments de plus de 26 cm et plats de section rectangulaire, prenant une forme légèrement serpentée (OI n° 258). Des stigmates de fabrication ou d’utilisation sont visibles sur un côté, le côté opposé présente un aspect lisse (polissage). Cet élément est dépourvu de fixation. La forme et la section rectangulaire de ces deux placages sont caractéristiques des clefs de détente d’arbalète à noix circulaire. Réalisées généralement en bois de cervidés, les clefs de détente d’arbalète se composent de deux placages symétriquement similaires, rivetés l’un à l’autre. La détente pressée faisait alors basculer la noix sur son axe de rotation, libérant ainsi la corde et décochant du même geste le carreau. L’absence de perforation et de rivets sur ces deux exemplaires montre qu’il s’agit d’éléments préparatoires à la réalisation d’un tel mécanisme.
Sur le plan de la répartition des objets, on observe une nette sur-représentativité des artefacts provenant de contextes datés du Xe-XIe siècle (niveaux les plus anciens). Certains éléments témoignent d’un mobilier d’appartenance à un milieu social privilégié.