La présente exposition vous propose de découvrir la forêt de Retz de façon originale, à travers ses bornes…
Le laboratoire Edysan (Ecologie et dynamique des systèmes anthropisés – UMR 7058) et la plateforme Humanités Numériques de l’Université de Picardie Jules Verne ont lancé une étude sur l’histoire de l’occupation du sol en forêt de Retz (Aisne).
Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet de Cité internationale de la langue française, porté au château de Villers-Cotterêts par le Centre des monuments nationaux (CMN), et la labellisation Forêt d’exception® de la forêt domaniale de Retz, qui s’étend sur près de 13 000 ha autour de Villers-Cotterêts.
Vous pouvez également contribuer au projet participatif sur l’inventaire des bornes forestières !
Propriété royale, apanages et tréfonds… L’histoire du bornage traduit bien la complexité des structures de propriété propres à la forêt de Villers-Cotterêts.
Les différents bornages cherchent d’abord à délimiter la propriété des comtes de Valois, puis des rois de France et des ducs d’Orléans. Au milieu du Moyen Age, la forêt de Retz appartient aux comtes de Valois. Le roi Philippe II Auguste impose sa suzeraineté au comté de Valois en 1185. En 1214, après le décès d’Aliénor, dame de Valois, la forêt est annexée au domaine royal.
Mais le Valois est à plusieurs reprise distrait du domaine royal et donné en apanage. Les apanages sont des domaines royaux confiés à des fils puinés de la couronne, c’est-à-dire aux frères des rois. A partir de la fin du XIVe siècle, il devient habituel de donner le duché de Valois en apanage aux ducs d’Orléans, frères des rois de France, ou à leurs héritiers. Entre 1630 et 1830, le domaine reste durablement en possession de la maison d’Orléans, si l’on exclut la période de 1791 à 1814, où il revient au domaine national. En 1830, la forêt de Retz redevient une forêt royale, avec l’accession au trône du roi Louis-Philippe. Elle devient forêt domaniale à l’avènement de la IIe République, en 1848.
L’originalité de la forêt de Retz est de faire aussi l’objet de droits de tréfonds. Ces droits ont probablement été accordés à des communautés ecclésiastiques ainsi qu’à des seigneurs laïcs par les comptes de Valois, aux XIe-XIIe siècles.
Les tréfonciers bénéficient de droits importants. Certains peuvent avoir accès au bois vert, pour leur usage particulier, ainsi qu’au pâturage, le roi n’étant propriétaire que du sol. La plupart bénéficient seulement du tiers du prix de vente des coupes ordonnées par les agents du roi. En contrepartie, ils ne peuvent donner, vendre ou défricher leur bois sans autorisation.
En 1672, 28 % de la surface est encore sous tréfonds, sur 17 parcelles. Les principaux tréfonciers sont :
Ces droits sont abolis sous la Révolution.
Les plus belles bornes de la forêt de Retz délimitent les tréfonds. Elles sont souvent gravées, avec parfois une fleur de lis du côté de la forêt royale, et une lettre du côté du tréfonds :
Elles pourraient remonter à l’époque médiévale.
Jusqu’à la Révolution, et parfois même après, les habitants des villages voisins, mais aussi certaines communautés ecclésiastiques (abbayes, hôpitaux) et certains nobles peuvent bénéficier de droits spécifiques d’accès au bois, appelés droits d’usage. Au XVIIe siècle, 12 communautés ecclésiastiques, 12 seigneurs et membres de la noblesse, et 44 communautés d’habitants profitent de ces droits. Ces droits sont très anciens. Ils ont généralement été accordés par les comtes de Valois, aux XIe-XIIe siècles, ou par les rois de France, aux XIIIe et XIVe siècle. La particularité de ces droits, par rapport aux forêts voisines, est qu’ils sont payants. Ils sont soumis à une redevance annuelle, en argent ou en nature, encore exigée à la fin du XVIIIe siècle.
Derrière la grande variété des usages peuvent se dégager deux grands types de droits. On distingue les « petits usagers » des « grands usagers ».
Les « grands usagers » possèdent le plus souvent le droit de prélever le « bois mort gisant », c’est-à-dire les arbres morts tombés à terre, le « mort-bois », c’est-à-dire les arbustes et les arbrisseaux, le bois sec « en estant », c’est-à-dire sur pied, et le bois vert versé, c’est-à-dire les chablis, parfois dans toute la forêt. S’ajoutent généralement à ces droits le droit de pâturage pour les vaches et les chevaux. Il faut donc imaginer une forêt intensément parcourue, par les habitants et leurs troupeaux.
Les « petits usagers » n’ont généralement accès qu’au bois mort gisant et au mort-bois, converti en une petite quantité de bois-bûche à partir de 1672. Contrairement à d’autres forêts, les habitants des villages voisins ne semblent par contre pas avoir le droit de mener leurs porcs en forêt. Il est possible que ce droit ait été loué annuellement à de grands fermiers.
Dans ces conditions, le bornage est là pour marquer plus clairement les limites entre l’espace agraire et l’espace forestier, en facilitant le contrôle des gardes. Il s’agit de signifier l’étendue des droits, en imposant la norme juridique à toutes les communautés voisines.
Principale énergie et matériau de construction essentiel, le bois est une ressource stratégique durant les siècles passés. L’enjeu est donc de sanctuariser l’espace pour éviter les spoliations. Plusieurs techniques peuvent être mises en application, successivement ou simultanément : le bornage, le fossoyage et la cartographie.
Le bornage est une opération attestée dès l’Antiquité. Des bornes, si possibles lourdes, difficiles à déplacer et facilement identifiables, sont posées de proche en proche pour matérialiser l’espace. Les premières bornes de la forêt de Retz doivent remonter au Moyen Age. Il est probable qu’elles aient été posées aux emplacements les plus importants, notamment aux limites des grandes propriétés voisines (abbayes, seigneurs voisins). Les textes de l’époque moderne attestent des opérations de bornage en 1540 et 1612. La plus grande révision du bornage est opérée lors de la réformation de 1671. En 1673, il est procédé à la reconnaissance de toutes les bornes, anciennes et nouvelles sans distinction. Le procès-verbal de reconnaissance précise que 3938 bornes ont été reconnues. Le bornage effectué à l’époque est censé matérialiser précisément tous les angles tournants et rentrants en limite de forêt, avec éventuellement des bornes intermédiaires sur les plus longues lignes continues.
D’autres reconnaissances générales des bornes, assorties de bornages supplémentaires, sont effectuées ensuite, notamment sous l’apanage de Louis-Philippe d’Orléans (1752-1773), ainsi que sous le règne de Louis-Philippe Ier (1830-1848).
Le fossoyage consiste à creuser un fossé de périmètre le long de la propriété. Ce fossé est souvent profond d’1 à 1,5 m, avec un jet de terre, la berme, du côté du propriétaire. Il est probable que les premières opérations de fossoyage ont été effectuées durant le règne d’Henri IV, à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. Lors de la réformation de 1671, les commissaires réformateurs demandent aussi à tous les riverains de revoir les fossés de périmètre. Il est probable que tous les fossés actuellement visibles sur le terrain aient été rectifiés durant cette période.
L’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye de 1669, sur les Eaux et Forêts, précise les dimensions réglementaires d’un fossé de propriété. Celui-ci doit faire 4 pieds de large (131 cm) sur 5 pieds de profondeur (163 cm). Les fossés réalisés aux XVIIIe siècle sont généralement un peu plus larges (environ 2 m). Leur profil dissymétrique est caractéristique.
De manière à retrouver tout déplacement de borne et tout comblement de fossé, une cartographie de la forêt complète ce dispositif. Jusqu’au XIXe siècle, la forêt ne comporte pas de parcellaire stable.
La cartographie des XVIIe et XVIIIe siècle sert essentiellement à représenter les limites de la forêt et l’emplacement des communautés voisines. Au XVIIe siècle, ces plans sont seulement confortés par des procès-verbaux de reconnaissance de bornage, qui recensent les bornes une par une, garde par garde.
Au XVIIIe siècle apparaissent les premiers plans de bornage. Il s’agit de plans très précis, qui représentent l’ensemble des lisères et l’ensemble des bornes.
L’unité territoriale de l’office national des forêts (ONF) à Villers-Cotterêts conserve un recueil intitulé Plans des contours et des propriétés limitrophes de la forêt de Retz dite de Villers-Cotterêts faisant partie de l’apanage de son altesse royale monseigneur le duc d’Orléans, levés en MDCCLXIV [1764], à l’effet de former une bordure en taillis de quatre perches d’épaisseur au pourtour de la dite forêt ; et vérifiés en MDCCCXXIV [1824] en ce qui concerne les mutations des propriétés riveraines.
Ce recueil comporte des plans de bornage, exceptionnellement bien conservés et très précis, qui représentent l’ensemble des lisères et des bornes de la forêt de Retz (Aisne).
Il contient 246 planches et a été entièrement numérisé. Ces plans sont visibles ici dans la collection « Plans de bornage de la forêt de Retz – ONF »
La forêt de Retz présente une forme originale, « en fer à cheval ». La carte du massif témoigne de l’ouverture de multiples clairières, parfois habitées (plaine de Fleury, de Dampleux, d’Oigny-en-Valois , d’Ivors, de Châvres), parfois seulement cultivées (le Champ Mentard). De cette forme très découpée résulte un important linéaire de lisières : plus de 320 km !
Les lisières correspondent à ce que les scientifiques appellent un écotone. Il s’agit d’une zone de transition entre deux écosystèmes, très riche en biodiversité.
Cette forme témoigne de l’intensité des défrichements. Les entreprises sur l’espace forestier semblent très anciennes. Il est probable que la majorité des défrichements remonte au cœur du Moyen Age, au temps des comtes de Valois (XIe-XIIe siècle). Cette période correspond notamment à la phase d’implantation de grands établissements ecclésiastiques : abbaye Notre-Dame de Valsery (1124), abbaye Notre-Dame de Longpont (1131), abbaye Notre-Dame de Lieu Restauré (1138), abbaye de Vez (1160). Mais les communautés d’habitants et leurs seigneurs ont pu aussi participer à ces déboisements. A partir de 1214, le roi Philippe Auguste lance de grandes enquêtes qui visent à limiter ces appropriations parfois illicites. Les premiers bornages pourraient remonter à cette période, notamment les bornes de tréfonds.
La surface de la forêt semble globalement stabilisée à la fin du Moyen Âge. Dans le détail, on remarque cependant que certaines parcelles défrichées ont pu être réincorporées à la forêt au cours des siècles suivants, notamment aux XVIIe et XVIIIe siècle. On rencontre donc parfois en pleine forêt d’anciennes bornes qui témoignent des limites de parcelles agricoles aujourd’hui reboisées.
Dans le cadre de l’étude sur l’occupation de la forêt de Retz (Aisne) et la mise en place du projet participatif « 5000 bornes », nous vous proposons de découvrir une des clairières de la forêt de Retz, défrichée au Moyen Âge : le Champ Mentard, sur la commune de Montgobert.
A l’origine, le bois Dementard était un tréfonds de l’abbaye cistercienne de Longpont, qui s’étendait jusque la lisière actuelle de la forêt, vers Montgobert et Valsery. Son acquisition s’était faite entre 1132 et 1179. Si le roi possédait le sol, les moines pouvaient profiter des produits de la forêt (bois et pâturage). A l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), une partie de ce bois, appelée le Champ Mentard ou les Champs Mentard, est déjà une clairière de défrichement.
La prospection sur la lisière forestière a permis d’inventorier 10 bornes sur le pourtour du champ actuel.
La visite virtuelle permet de découvrir cette ancienne clairière et les bornes qui y sont rattachées :
Dans le passé, les bornages ont surtout été mis en place pour marquer la limite entre l’espace forestier relevant du roi ou des ducs d’Orléans, et l’espace agraire.
Parfois, les champs bordant la forêt ont été abandonnés. Au fil du temps, ils se sont boisés spontanément. Dans ce cas de figure, le bornage sépare aujourd’hui une forêt ancienne à des forêts récentes.
On appelle forêt ancienne un espace qui a connu une continuité du boisement depuis plus de deux siècles. C’est bien le cas de la forêt de Retz, attestée depuis plus d’un millénaire. A contrario, une forêt récente est un boisement qui s’est effectué depuis moins de deux siècles.
Forêts anciennes et forêts récentes sont souvent très différentes dans leur composition floristique.
Dans les forêts anciennes se trouvent davantage d’espèces à faible capacité de dispersion :
Leur reproduction se fait souvent par voie végétative (rhizomes, bulbilles), avec des graines lourdes, ou parfois aidée par les fourmis (Violette, Anémone des bois, Lamier jaune…). Ces espèces tolèrent aussi davantage l’ombre. Certains arbustes ou arbrisseaux comme le Nerprun purgatif, le Poirier sauvage ou le Tilleul à petites feuilles sont aussi plus fréquents dans les forêts anciennes.
Dans les forêts récentes se trouvent au contraire des espèces à plus forte capacité de dispersion, souvent plus banales, fréquentes aussi dans des milieux ouverts : Sureau noir, Cornouiller sanguin, Prunellier épineux, Troène… D’autres espèces peuvent témoigner d’une forte charge en azote, souvent caractéristique d’anciens pâturages : Ortie dioïque, Gaillet gratteron, Alliaire, Chélidoine…
Si le bornage n’a bien évidemment pas été ordonné pour séparer les espèces, il se trouve fréquemment à la frontière entre des cortèges floristiques différents.
La plupart des bornes ont été taillées dans des pierres extraites dans les environs. Elles sont révélatrices de la géologie du Valois. Elles sont presque toutes taillées dans des calcaires et des grès.
Les calcaires utilisés localement sont le plus souvent les calcaires grossiers du Lutétien. Ils datent du début de l’ère tertiaire, il y a environ 48 millions d’années. Ces calcaires sont des roches sédimentaires, formées sous des mers tropicales par l’accumulation de nombreux débris organiques carbonatés, notamment des coquillages, dont l’empreinte se retrouve parfois dans la pierre : calcaires à cérithes, à ditrupes et milioles, à orbitolites, à nummulites (appelé aussi localement « pierre à liards »)… Ces roches forment la corniche surplombant les vallées, à environ 100 m d’altitude, sur une épaisseur de 40 m. Elles ont été exploitées depuis des siècles dans des carrières, en galerie souterraine ou en galerie ouverte, pour fournir les matériaux qui ont permis la construction des monuments et des villages de la région. Les calcaires sont des roches qui peuvent être taillées et sculptées. Les bornes les plus régulières et celles qui présentent des inscriptions ont généralement été taillées dans ce matériau.
Les grès sont des roches sédimentaires provenant de l’agglomération de grains de sables, généralement siliceux. On les trouve essentiellement sur les pentes sableuses, surtout dans les sables de Beauchamp (formés il y a environ 41 millions d’année), à une altitude de 125-150 m au Sud du massif, de 150-170 m au Nord. Ils peuvent localement affleurer sous forme de gros blocs ou de chaos rocheux. Leur face inférieure est souvent mamelonnée, présentant des protubérances arrondies. Au Nord du massif, on les rencontre aussi dans les sables de Fontainebleau (formés il y a environ 33 millions d’années), le long de la route du Faîte, à une altitude d’environ 220-240 m. Ces grès sont des roches de couleur grise ou ocre, très dures, difficiles à tailler. Elles étaient le plus souvent grossièrement équarries dès leur sortie de terre, mais ne pouvaient pas être gravées. Elles ont été exploitées autour de Faverolles et d’Oigny-en-Valois pour fournir des pavés destinés aux grandes laies forestières, aux grands chemins et aux rues des agglomérations.
Les pierres meulières sont des roches formées par l’altération de calcaires et de marnes, c’est-à-dire d’argiles calcaires, en milieu lacustre. Ce sont des roches siliceuses d’aspect irrégulier, avec des parties cohérentes et dures, et des parties plus altérées. Ces matériaux très résistants à l’usure ont longtemps été utilisés pour la fabrication des meules à grain, ainsi que comme matériaux de construction, notamment en Ile-de-France et en Champagne. En forêt de Retz, ces pierres se retrouvent sur les parties les plus hautes, à la surface des sables de Fontainebleau.