Les silences de la mémoire : cartographies sensibles du patrimoine matériel et immatériel autour de la Grande Guerre dans les Hauts-de-France

Séminaire au FRAC Picardie le vendredi 8 décembre 2023 de 9h à 18h

Le patrimoine autour de la Grande Guerre, bien que suffisamment connu et circonscrit dans les Hauts–de-France (voir des nombreux sites, cimetières, musées, et monuments), demande à être éclairé sous un jour nouveau. Car, si l’accent est mis sur la mémorialisation et la patrimonialisation, ce paysage marqué par la guerre gagnerait à être re-visité et cartographié du point de vue du sensible et des silences de la mémoire. Qu’en est-il par exemple de ce territoire blessé, ces « sols bouleversés », ces « paysages cassés », ces villages disparus et dont ne subsiste qu’une plaque indiquant l’existence passée ?
Les cimetières ne sont pas des monuments comme les autres ; espaces de recueillement et de silence, ils sont des lieux de mémoire d’une disparition.  Ils portent en eux-mêmes la mémoire des corps absents. Il s’agissait, à partir de ces traces silencieuses de la guerre, de créer une cartographie qui relie ces sites cimetières au reste du territoire et construire des ponts entre les continents afin de rendre aux personnes disparues une vie dans la mémoire. Car les très nombreuses personnes mortes qui s’y trouvent sont des signes d’une présence passée ici et d’une présence ailleurs – dans l’esprit des descendants.

Le projet, véritable work in progress, a vocation à être continué. Chercher par exemple les descendants des soldats morts qui vivent dans plusieurs pays du Commonwealth, dresser cette cartographie des sites sur notre territoire qui trouvent leur écho en Australie (dans des noms des rues par exemple) c’est rappeler comment ce territoire lointain est lié à l’histoire de la Grande guerre et au territoire picard par ces soldats venus combattre en terre étrangère. Il s’agirait de relier en somme les sites des cimetières situés dans les Hauts-de-France avec le lieu de provenance des soldats. La collaboration à venir avec le Commonwealth soulignera l’importance que nous accordons à la dimension internationale du projet et de la liaison de ce territoire à plusieurs autres – Australie, Chine, Canada pour n’en citer que quelques-uns. Autour de l’Anzac Day du 25 avril 2023 à Villers-Bretonneux, l’une des plus importantes dates en Australie, les acteurs du projet (lycéens, étudiants, artistes) rencontreront des australiens venus rendre hommage aux 46000 soldats australiens tombés sur le front de la Somme et partageront leurs réflexions, productions et créations.
Des projets collaboratifs entre artistes impliqué.e.s, étudiant.e.s et lycéens/lycéennes du campus des métiers et des qualifications ont été mis en place pour déjouer l’anonymat et le silence qui entoure toutes les personnes mortes dans le champ de bataille. Il s’agissait de donner corps et voix aux morts par la recherche des descendants, des traces et des « monuments » au sens défini par Rancière, à savoir des traces qui n’avaient pas destination à être conservés – ces traces qui n’avaient pas vocation d’écrire l’histoire et qui font aussi l’histoire.
Agissant du côté du sensible, avec des performances d’archives et des gestes de reenactement in situ[1] en cours d’élaboration, les artistes proposent une autre cartographie du territoire. Par une approche du patrimoine comme actualité, ils cherchent à redonner la voix aux archives muettes, en reliant le passé au présent, en performant de façon vivante cette mémoire silencieuse.
Le projet aborde les sites mémoriels de la Première Guerre mondiale par la question de ses intersections avec les productions artistiques qui touchent aussi aux histoires coloniale et/ou de l’immigration. Il envisage les sites mémoriels liés à la Grande Guerre comme des « récits » d’histoires passées dont nos sociétés contemporaines subissent encore les répercussions. Révéler les enchevêtrements culturels qui se jouent dans ces lieux de mémoire au prisme des interactions artistiques donne l’occasion de réinterroger la notion de patrimoine et d’envisager la façon dont les artistes engagés dans la création contemporaine mettent en œuvre ce que l’on pourrait nommer de véritables inédits patrimoniaux instaurant ainsi un rapport renouvelé aux archives[2], aux récits et aux monuments.
A partir des cicatrices sur le territoire, des traces parfois invisibles, des villages disparus, il s’agirait ici d’aller à la recherche des fantômes de l’histoire, des silences de la mémoire.

Le projet Les silences de la mémoire : cartographies sensibles du patrimoine matériel et immatériel autour de la Grande Guerre dans les Hauts-de-France est porté par Androula Michael (Directrice du Centre de recherches en arts et esthétique (CRAE UR 4291) de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV), Pascal Neveux (directeur du frac Picardie) et Didier Lemaire (directeur du Campus des Métiers et des Qualifications Métiers d’art et patrimoine – Campus des métiers et des qualifications.). Il fait partie des recherches menées par des chercheurs et chercheuses des Universités d’Artois, de Picardie Jules Verne, et de Littoral Côte d’Opale dans le cadre du projet CPER Anamorphose. Le Patrimoine sous le Territoire. Le territoire sous le patrimoine  (Patricia Rochwert-Zuili, coordonnatrice scientifique du projet Anamorphose, Université d’Artois et Etienne Clausse Ingénieur en charge du projet. https://anamorphose.hypotheses.org/
Porté conjointement par la région académique Hauts-de-France et la Région Hauts-de-France, le Campus Métiers d’art & patrimoine est un réseau d’acteurs du monde de la formation, de la recherche et de la culture et du monde économique qui, ensemble, accompagnent la structuration et le développement de la filière des métiers d’art en Hauts-de-France et expérimentent de nouvelles modalités de coopération. Le FRAC Picardie, le CRAE et le lycée professionnel de l’Acheuléen sont tous trois membres du Campus.
Le lycée professionnel de l’Acheuléen dont Michel Desachy, proviseur, assure la direction, est l’établissement support du Campus Métiers d’art & patrimoine. Situé à Amiens, rue du 31 août 1944, il présente une offre de formation complète dans les secteurs du Bâtiment et de la Coiffure dont deux formations rares qui conduisent aux métiers de Tailleur de pierre et de Graveur sur pierre.

Programme

9h00 Accueil café
10h00 – 12h30 : Donner à voir, donner à lire : Workshop artistique mené par l’artiste Agnès Geoffray avec des élèves du lycée professionnel de l’Acheuléen et des étudiant.e.s de l’UFR des arts de l’UPJV.
Comment donner à voir, comment donner à lire, les traces et les écrits passés ? Comment restituer des voix tout en les morcelant ? L’acte artistique procède du choix et de ce fait, du fragment. Il s’agira lors de ce workshop de repenser les archives, les images, les événements, tout en leur portant attention, en leur donnant une forme qui les porte et les accompagne. Être au plus près, et les déplacer.
12h30-13h30 : Déjeuner
Workshop théorique
13h30 : Les silences de la mémoire – cartographies sensibles, Mot d’accueil par Pascal Neveux et introduction par Androula Michael.
14h00 : « Geocaching », performances d’élèves et d’artistes : comment réinventer le travail de mémoire :  Présentation des travaux des élèves du lycée professionnel de l’Acheuléen menés sous la direction des Benoîte Hervouët (professeure de lettres et d’histoire) et Hervé Vancaelemont (professeur de taille de pierre).
14h30 : Donner à voir, donner à lire, Agnès Geoffray (artiste), discussion avec Léa Bismuth (critique d’art et commissaire d’exposition, A.T.E.R à l’UFR des arts, UPJV)
15h00 : Syncopes du paysage. La représentation de la Grande Guerre, Véronique Dalmasso, (Historienne de l’art HDR, enseignante à l’UFR des arts, UPJV)
15h30 : Objets parlants, Lise Lerichomme (artiste et Maîtresse de conférences en arts plastiques à l’UFR des arts, UPJV) discussion avec Marine Shütz (Maîtresse de conférences en histoire de l’art à l’UFR des arts, UPJV).
16h00 : Paysages cassés, Emmanuelle Raingeval (responsable de la recherche à l’ESA, Bruxelles)
16h30 : Sols bouleversés, Nicolas Daubanes (artiste) discussion avec Androula Michael (Professeure des Universités en Histoire de l’art contemporain à l’UFR des arts, UPJV, directrice du Centre de recherches en art et esthétique (CRAE UR 4291).
17h00 : Flux, Fabien Lerat (artiste et professeur associé à l’UFR des arts, UPJV), discussion avec Pascal Neveux (directeur du frac Picardie)
17h30 : Discussion et mot de clôture par Didier Lemaire (directeur du Campus des métiers et qualifications).


[1] Nous pourrions également utiliser le terme Outdoor Art proposé par Joelle Zask pour se détourner de ceux d’art public ou d’art in situ, qui l’un porte le poids de la commande publique, et l’autre, de l’attachement des œuvres à l’institution. Voir Joelle Zask, Outdoor Art, La Sculpture et ses lieux, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond, La Découverte, 2013.

[2] Une réflexion sera portée également aux « archives sauvages » dont la constitution, selon Christophe Kihm, « ne passe pas par l’établissement de catégories exclusives et fixes, mais au contraire par la déstabilisation de tout classement et par la densification des singularités ». Voir KIHM Christophe., « À propos des archives sauvages », L’Institut des archives sauvages, livret d’exposition, Nice, Villa Arson, 2012, p. 3-7.