Gestes d’écriture dans les pratiques artistiques contemporaines
Colloque les 27, 28, 29 octobre 2021
Université de Picardie Jules Verne, Frac Picardie, Musée de Picardie – Amiens
« Sait-on ce que c’est qu’écrire ? Une ancienne et très vague mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère du cœur. »
(Stéphane Mallarmé, conférence sur Villiers de l’Isle-Adam, 1890)
Les relations entre les mots et les images ne sont neuves ni dans leurs manifestations ni dans leurs enjeux. Elles ont été abondamment commentées et analysées, depuis les Livres d’heures du Moyen-Âge jusqu’à l’art conceptuel en passant par Dada, le surréalisme, le lettrisme et d’autres mouvements artistiques mettant en jeu et en œuvre le langage et l’image au sens le plus large.
Historiquement, ce qui ressort de ce tropisme linguistique de l’art, c’est l’usage des mots, par exemple dans l’œuvre de René Magritte, visant notamment à souligner leur écart avec la chose ou l’image. C’est-à-dire à faire apparaître l’irréductibilité de l’image au texte, et inversement, attestant la séparation des disciplines et leur appartenance aux domaines du temps ou de l’espace. Séparation confirmée ou infirmée par les relations étroites qu’ont pu entretenir artistes et poètes à la fin du XIXe siècle.
Récemment, de nouveaux points de rencontre des cheminements croisés de l’art et de la littérature ont par ailleurs été soulignés. Ils ont pour nom « tentation littéraire de l’art contemporain » (Pascal Mougin), « littérature d’exposition » ou « littérature hors du livre » (Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel) et même « écriture sans écriture » (Kenneth Goldsmith). L’introduction de mots dans l’art suggère également une modification de l’appréhension visuelle des oeuvres au profit d’une « lecture » de celles-ci, modifiant ainsi notre regard critique comme notre perception.
Il y a des artistes qui utilisent le langage (des mots ou des lettres, des phrases ou des discours, des récits) :
- qui écrivent dans leur œuvre, c’est-à-dire qu’ils intègrent mots, phrases, lettres ou récits à une pratique plastique que ce soit de la peinture, de la gravure, de la sculpture, du dessin, de l’installation…
- qui écrivent devant leur œuvre, c’est-à-dire qu’ils réfléchissent à leur travail par l’écriture, celle-ci pouvant être réflexive ou poétique.
Et il y a des artistes qui s’appuient sur l’interrelation entre le dessin et l’écriture en revenant à leur origine commune, le verbe graphein (γράφειν) qui a le sens de dessiner et d’écrire, mais aussi de gratter une surface, renouant par là avec une forme d’interaction entre le visuel et le verbal, mettant en évidence leur racine commune : une intermédialité (Simon Morley). L’écriture est un geste archaïque enraciné dans le domaine du visuel où le corps est présent. Quand les artistes s’en emparent, c’est parfois avec les mêmes outils. Ainsi voit-on poindre des formes résultant de gestes qui puisent dans une histoire longue du travail de la main, n’excluant pas pour autant les outils machiniques et numériques.
L’ambition récente des artistes à se saisir de l’écriture semble ouvrir de nouvelles pistes sur lesquelles s’était engagé, de manière isolée, Henri Michaux. Mais ce qui point actuellement, et qui paraît renverser d’une certaine manière ces usages, c’est une tendance à privilégier le geste d’écriture plutôt que le mot écrit.
Dans ce cadre, certaines pratiques artistiques contemporaines font apparaître un rapport à l’écriture qui n’est plus celui d’une subordination, d’une réflexivité ou d’une juxtaposition, mais d’un entrelacement, d’un chiasme (au sens que lui donne Merleau-Ponty). Dans cette relation de l’œuvre au texte, du mot à l’image, le chiasme permet de déplacer, sans l‘évacuer, le sens. Il n’est plus question d’un discours mais d’un geste. Cette nouvelle relation fait du geste d’écrire un geste artistique dans lequel s’élabore une pensée en acte qui passe par le corps.
Ce rapport serait celui de la scription (l’écriture comme une suite de gestes) et permettrait de repenser les manières de dire et de faire dans le champ de l’art contemporain. L’absence de lisibilité de ce recours détourné au langage peut s’interpréter comme une réponse à la prégnance de la communication dans les sociétés contemporaines et comme une mise en cause d’une forme de domination du texte.
« …quelque chose comme le supplément d’un acte, écrivait Barthes à propos de Cy Twombly, : le geste c’est la somme indéterminée et inépuisable des raisons, des pulsions, des paresses qui entourent l’acte d’une atmosphère. Distinguons donc le message qui veut produire une information, le signe qui veut produire une intellection, et le geste, qui produit tout le reste, sans forcément vouloir produire quelque chose. »
Ce colloque se propose de présenter et de questionner à la fois ces nouvelles modalités d’inscription du geste et de l’écriture dans l’oeuvre et de s’interroger sur les usages que les artistes font de l’écriture, non plus seulement comme récit, comme narration ou comme sens, mais comme geste : geste d’inscription ou geste d’effacement et de penser ces gestes dans une histoire longue pour aborder le contemporain.
Les deux journées permettront de rassembler des interventions d’artistes et de théoriciens.
Organisation :
Sally Bonn, maître de conférences en esthétique, UFR des arts, de l’Université de Picardie Jules Verne, laboratoire CRAE (axe 2 OGRE).