Les interventions de l’atelier concernent les apprentissages de jeunes enfants de la toute petite enfance à la fin de l’école maternelle. Circulation de la mascotte entre école et famille, réception des affiches didactiques en école maternelle française; rôle des objets dans les apprentissages de tout jeunes enfants en Espagne.
Voici ci-dessous les résumés des communications de l’atelier.
C1 – La circulation d’une mascotte entre école maternelle et familles : un objet nomade non littératié « pour apprendre » la forme scolaire ? – Marie-Noëlle Dabestani, Université de Paris 8, CIRCEFT-ESCOL.
Etudiant le rapport entre socialisations familiale et scolaire dans un dispositif de mise en circulation, entre école maternelle et familles, d’objets nomades (Rayou, 2015) marqués par une littératie étendue (Bautier & Rayou, 2013), nous proposons de communiquer sur un couple d’objets « à part » qu’une centaine de professeurs enquêtés par questionnaire (N=472, 2018) a déclaré utiliser : la mascotte (peluche) et son cahier. Leurs circulations dans les familles les plus populaires sont particulièrement préconisées par l’institution pour « impliquer » les parents et leur « expliciter » (IGEN, 2011, p. 143) la forme scolaire (Vincent, 1994). La dotation à l’enfant d’un cahier signifie en effet son entrée dans la culture écrite (Lahire, 1993). Toutefois, dans une approche sociologique des inégalités scolaires, l’emploi d’une mascotte nous interroge pour ce qu’il nécessite comme changements de statuts à opérer entre espaces de socialisation, l’usage par les parents d’objets à priori éloignés de l’univers scolaire, comme outils d’apprentissage, étant socialement différencié (Vincent S. , 2000).
En effet, la logique familiale du jouet peut être celle d’une mise en scène privée de la relation affective (Brougère, 2003) alors qu’en classe, la peluche devient un bien public, dans un espace régi par des règles plus impersonnelles. Les objets du quotidien nécessitent aussi un changement de regard lorsqu’ils sont mis en scène en classe « pour apprendre ». Alors que cette objectivation constitue un obstacle à la réussite scolaire des élèves dès l’école maternelle, et ce particulièrement pour les élèves des milieux les plus populaires (Bautier, 2006), nous questionnons la manière dont l’école signifie les reconfigurations attendues (Bautier, 2005) lorsque la mascotte circule entre espaces de socialisation. A partir de l’analyse croisée des couples d’objets recueillis par photographies dans les classes (N=10), des entretiens semi-directifs menés auprès d’enseignantes(N=10) les utilisant et auprès de mères (N=10) scolarisant leurs enfants dans ces classes et ayant reçu la mascotte, nous décrirons les objets recueillis et discuterons des questions suivantes : En classe, la mascotte est-elle pensée comme un objet-médiateur pour que l’enfant apprenne la mise à distance affective entre enseignant et élèves et l’objectivation intellectuelle attendues ? Quelles sont les définitions sociales de l’enfant qui sous-tendent (Chamboredon & Prévot, 1973) les choix des professeurs ? Hors la classe, comment les parents(ré)-interprètent-ils ce couple d’objets : comme une situation visant l’objectivation attendue ou au contraire comme une dissolution du scolaire, ou encore comme une normalisation des pratiques familiales, le cahier collectif donnant à voir successivement les traces de chacune des familles ?
C2 – Constructions différenciées de la signification des objets scolaires en maternelle : usages et difficultés des élèves pour interpréter le sens des affiches didactiques en grande section – Elisabeth Mourot, Université de Paris 8, CIRCEFT-ESCOL.
La proposition de communication prend appui sur les résultats mis au jour par une récente recherche empirique portant sur l’interprétation d’affichages didactiques en grande section (Mourot, 2016). Celle-ci montre que lorsqu’on les confronte à la compréhension de ces supports hautement symbolisés, la difficulté majeure pour certains élèves est d’identifier l’intention portée par l’objet au-delà de sa matérialité extrinsèque et d’élaborer une signification qui passe par la mise en cohérence de toute une série d’éléments disparates et fragmentés sur la surface graphique. Contrairement à d’autres, ces élèves ne référent pas les significations au contexte des apprentissages scolaires où les objets du monde sont pensés comme des objets de savoir.
Quelle attention accorder, en contexte d’enseignement-apprentissage, aux discours sur les objets ? Lorsqu’on analyse finement le discours des élèves quand ils tentent de construire la signification de ces objets, nous observons des différences dans la nature des modalités interprétatives liées à la capacité qu’ils ont ou pas à utiliser le langage dans sa fonction élaboratrice. Prenons l’exemple du petit train des jours de la semaine emblématique des « objets pour apprendre » l’organisation du temps social en maternelle. L’activité, simultanément cognitive et langagière qui consiste à travailler explicitement sur la relation entre le petit train affiché au tableau et la notion temporelle qu’il représente,favorise ce que j’ai nommé le processus de symbolisation des objets du monde. Le fait de pouvoir désigner l’ensemble des wagons du petit train par le terme générique de semaine crée une distance avec l’objet train en tant que tel, connotant la référence à un nouveau cadre interprétatif, non pas expérientiel, mais conventionnel et culturel pour questionner l’objet. Il témoigne bien d’une autre manière de dire, de penser le monde et de construire son rapport au savoir.Or pour certains élèves,penser les objets de l’école ne semble pas différent de les penser en dehors de l’école, autrement dit, c’est dire à propos de ces objets, ce qu’ils savent déjà de leur environnement familier ou ce dont ils se souviennent d’y avoir fait.
La communication vise à présenter une catégorisation des modes de construction de la signification des affiches plurisémiotisées, en grande section. Celle-ci permet de construire théoriquement trois configurations de sujets sociaux interprétants, reposant sur un rapport soit réaliste, soit pragmatique, soit symbolique aux objets pour apprendre.
Tisser un réseau de relations entre le réel et le symbolique
Ce serait une piste intéressante à creuser en considérant ces objets hybrides, à la fois supports de représentations d’un réel familier et à la fois porteurs du savoir scolaire, comme des occasions de jouer (au sens de donner du jeu, faciliter le mouvement) avec ces deux valences sémiotiques en présence. Cette activité cognitivo-langagière, pratiquée pour certains élèves au cours de leur socialisation première, dévoilerait pour d’autres qui n’ont que l’école pour le faire, les potentialités cognitives de l’activité de symbolisation. En apprenant (en étant contraints de le faire avec la bienveillance qui s’impose) à se frustrer de la signification immédiate qu’ils ont l’habitude de donner à ces objets, l’école maternelle participerait à la construction d’une représentation d’un savoir scolaire émancipateur qui ne se bornerait plus, pour bon nombres d’élèves,aux référents de l’univers du quotidien.
Le corpus
La question centrale de la recherche est fondée sur l’hypothèse que le processus de symbolisation, tel que je l’ai défini, pourrait être à l’origine de différentiations significatives au sein de la classe. Une partie du corpus,mobilisé pour la communication, est constitué d’une sélection de photos d’affiches (21) et d’extraits de transcriptions des échanges langagiers entre la chercheuse et 74 élèves de grande section de trois écoles de milieux sociogéographiques contrastés. La méthode Adossée aux cadres théoriques d’une psychologie du développement social de l’enfant (Wallon, Bruner, Vygotski), d’une sémiologie peircienne et d’une sociologie du langage (Bautier, Bernstein), cette recherche qualitative en sciences de l’éducation, à visée davantage sociologique que didactique, cible plus particulièrement les processus d’inégalités d’apprentissage qui se forment dès la maternelle. La démarche inductive et empirique, a consisté à catégoriser dans un premier temps les modalités interprétatives mises en œuvre par les élèves interrogés «hors la classe» sur la signification des affiches, puis à croiser ces types de modalités avec la nature figurative ou abstraite des systèmes sémiotiques constitutifs des supports proposés, et enfin à analyser finement les différence dans les énoncés produits par les élèves de chaque catégorie mise au jour. L’ensemble des analyses débouche sur trois configurations mettant en interrelation des composantes hétérogènes sémiotiques, langagières et cognitives pour chacune des catégories. Ces configurations questionnent, in fine, le lien entre le rapport des élèves au langage, au savoir et au symbolique.
C3 – Executives Functions in the Infant School : Uses of Objects as objectives for the children – Ivan Moreno Llanos, Universidad Autonoma de Madrid.
Executive Functions (EF) are cognitive processes that allow control over our behavior in order to achieve goals, avoiding interferences and distractions (see, for example, Miyake, Friedman, Emerson, Witzki & Howerter, 2000). Although their origin is situated by the end of the first year of life (see, for example, Diamond, 1990) and their relevance for the development, their study has been done mostly through standardized tasks, which require comprehension of spoken language, with children older than 2 years. Moreover, the cultural status of the objects has gone unnoticed in the study of EF.
From the Pragmatics of the Object (see, for example, Rodríguez & Moro, 1999), we consider that objects are located within a social and cultural frame, rooted in social rules. They have uses and functions imposed by the culture that uses them, and they are not accessible immediately by young children. Contrary, they require adult mediation or another more expert person who guides the child’s learning. Therefore, cultural uses of the objects entail significant challenges for children, who must organize their behavior through EF in order to achieve them.
Our work focused in the study of the origin and development of EF through prelinguistic semiotic systems (uses of objects and gestures), with children younger than 2 years. Based in previous studies from this perspective (see, for example, Rodríguez, Estrada, Moreno-Llanos & De los Reyes, 2017), we conducted a longitudinal study. We observed two girls and one boy, once per month for 5 months. Children age ranged from 11 to 16 months.
We observed the activities that the teacher prepared for the day inside the classroom; no modifications were suggested. We selected and analyzed the significant sequences relevant to the study of EF, when children gave themselves challenges and regulated their behavior in order to achieve them. For the analysis, we registered which were their objectives, how much attention time they directed towards it, and which uses of objects and gestures they realized. We also take into account the educative intervention of the teacher.
C4 – Le statut des objets au travers de leurs usages dans les premières manifestations des Fonctions Exécutives en classe 0-1 à l’école enfantine : Quelques implications éducatives ? – Cintia Rodriguez Garrido, Universidad Autonoma de Madrid.
Il suffit de jeter un coup d’œil à la littérature scientifique pour s’en apercevoir que la recherche sur les Fonctions Exécutives (FEs) occupe une place proéminante. Un bon fonctionnement exécutif joue un rôleessentielpour le succès à l’école(Diamond, 2013). Diverses traditions sont très actives dans ce domaine. Les paradigmes cognitivistes, socioculturels, ou la psychologie piagétienne et l’École de Genève se sont intéressés à la manière dont les sujets parviennent à contrôler leur propre comportement.
Les enfants commencent à se contrôler cognitivement vers la fin de la première année (Zelazzo et Müller, 2004), cependant, il y a très peu de recherche avant l’âge de 3 ou 4 ans. On sait très peu par rapport aux premières manifestations des FEs (Marcovitch & Zelazo, 2009). La méthode habituelleconsiste àproposer aux sujets des tâches standardisées censées mesurer l’inhibition, la flexibilité cognitive ainsi que la mémoire de travail. L’expérimentateur dit ce qu’il faut faire, quand, comment e tà quel moment changer d’objectif. Or, très peu est connu concernant la fonctionnement exécutif des enfants dans leurs contextes quotidiens (Moro, 2012) pendant la première et la seconde année de vie, les défis que l’enfant lui-même se donne, ainsi que les moyens de les résoudre. Les objets matériels, en tant que culture matérielle, n’ont pas joué un rôle quelconque dans ce domaine de recherche (Rodríguez et Palacios, 2007). Ce qui contraste avec le statut hégémonique du langage, ce qui constitue un dénominateur commun des différentes traditions (Basilio et Rodríguez, 2017). Développement psychologique et FEs sont rarement mis en dialogue. Les études sont encore plusrares à l’école enfantine (voir Rodríguez, Estrada, Moreno-Llanos et de los Reyes, 2017).
Dans l’étude longitudinale que nous présentons, nous analysons les premières manifestations des FEs d’un enfant dans ses activités quotidiennes en classe 0-1, à l’École Enfantine (Publique). Au début de l’année scolaire l’enfant a 8 mois, 17 mois à la fin. Les séquences significatives sont sélectionnés et analysés en microgenèse. Aucune contrainte n’a été proposée à la maitresse. Nous prenons appui sur la Pragmatique de l’objet (Rodríguez et Moro, 1999 ; Rodríguez, Basilio, Cárdenas, Cavalcante, Moreno-Núñez, Palacios, et Yuste, 2018). Les usages des objets et les gestes constituent une excellente piste d’analyse à fin de déterminer les objectifs spécifiques et les moyens pour y parvenir que l’enfant se donne, ainsi que comment opère l’inhibition, la planification oula flexibilité. Gestes et usages sont analysés en fonction de leur complexité sémiotiqueainsi que sadirection(l’enfant est tout seul avec ses défis, ou bien il introduit la maîtresse). L’action éducative de la maitresse est analysée au travers les défis que l’enfant se donne concernant la matérialité mise à disposition. Des vidéos illustrant nos propos seront présentées.