La matérialité de l’album de jeunesse, des objets porteurs de récits, du café et du sucre et la mobilisation d’objets divers en classes multilingues réunit ces quatre communications qui abordent l’entrée dans l’écriture de jeunes enfants, la compréhension d’albums anglophones en maternelle, le plurilinguisme d’élèves du monde ultramarin et enfin les pratiques pédagogiques en classe bilingue français-espagnol en Amérique latine.
Voici ci-dessous les résumés des communications de l’atelier.
B1 – L’album de littérature de jeunesse authentique à l’école : un objet pris en compte dans sa matérialité – Elise Ouvrard, ESPE Université de Caen-Normandie ; ERIBIA.
L’enseignement–apprentissage de l’anglais intègre depuis plusieurs décennies les albums de littérature de jeunesse authentiques en tant que supports d’apprentissage. Ces albums existent en dehors de l’école, ils sont écrits et publiés par des anglophones pour des enfants anglophones. Depuis les années 2000, les ressources pour accompagner les professeur.e.s des écoles dans leur projet de travailler à partir d’albums en anglais se sont multipliées et la recherche s’intéresse de plus en plus à cette littérature de jeunesse qui est mobilisée « à des fins d’apprentissage des langues, de découverte des cultures, mais aussi, plus largement, pour sensibiliser à la diversité linguistique et culturelle ».
Dans la perspective du colloque, il nous semble important d’envisager la manière dont ces albums sont pris en compte en tant qu’objets dans les propositions de didactisation qui sont faites ou dans l’accompagnement que peuvent proposer les conseillers pédagogiques sur le terrain, mais aussi dans les pratiques des enseignant.e.s. Dans quelle mesure la matérialité du livre, telle que peut la présenter Sophie Van der Linden, retient-elle l’attention des enseignant.e.s et par conséquent celle de leurs élèves ? A quelles transformations de l’objet peut-on assister ? A partir d’entretiens semi-directifs menés dans une approche qualitative avec des conseillers pédagogiques, mais également avec des professeurs des écoles débutants ou plus expérimentés qui ont fait le choix d’intégrer la littérature de jeunesse authentique dans leurs projets d’enseignement apprentissage, il s’agira de s’attarder sur les raisons qui motivent l’utilisation d’albums en classe de langue ainsi que sur la manière dont ils sont introduits dans les séances dans le cadre d’une recherche empirique. Les élèves ont-ils accès à l’objet livre, ou la manipulation est-elle effectuée par les enseignant.e.s seulement ? L’expérience sensible, qui peut faire référence aux différents sens comme à l’affect des lecteurs, est-elle véritablement mise en jeu et contribue-t-elle aux apprentissages ? La construction d’un album par les élèves permet-elle, lorsqu’elle est mise en place, de garder trace du projet, et des émotions qui ont pu l’accompagner ?
B2 – Enjeux linguistiques et didactiques des objets en classe bilingue – Anne-Claire Raimond, Université de Franche Comté, ELLIAD ; Laura Uribe, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 ; Laurence Corny, Malory Leclere, Dias Mendonça, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3, DILTEC ; Marie-Odile Hidden, Université Bordeaux Montaigne, TELEM ; Laurence Le Ferrec, Université Paris-Descartes, EDA.
En contexte d’enseignement-apprentissage bilingue, les apprenants alternent constamment les deux langues qu’ils possèdent dans leur répertoire langagier pour construire des savoirs linguistiques et disciplinaires. De nombreux travaux en didactique des langues étrangères ont analysé les phénomènes d’alternances codiques repérables dans les discours des élèves et des professeurs qui les accompagnent dans leur parcours d’appropriation bilingue et biculturel (Causa2002, Cavalli 2005, Anciaux, 2016). Si les manuels pédagogiques restent souvent un support privilégié en classe bilingue, les enseignants mobilisent néanmoins un certain nombre d’objets qui leur permettent d’établir des ponts entre les deux langues en contact. De nature très diverse (marottes, jeux, instruments de musique détournés de leur fonction première, etc.), ces supports revêtent des fonctions pédagogiques variées permettant, par exemple, de consolider l’apprentissage de l’oral ou de faciliter la conceptualisation grammaticale. À quels moments les professeurs jugent-ils pertinent de convoquer ces supports au cours de leur séance de classe ? Dans quelle mesure leur exploitation pédagogique s’écarte-t-elle de leur fonction initiale ? De quelles façons les objets sont-ils impliqués dans les phénomènes d’alternance codique en classe bilingue ? En quoi les objets constituent-ils des outils de médiation pour conduire les élèves à mieux appréhender les spécificités linguistiques de la L1 et de la L2 ? En d’autres termes, nous nous interrogerons sur l’incidence de ces objets manipulés par les professeurs et/ou leurs élèves sur le processus d’apprentissage bilingue et chercherons à déterminer si le recours et l’utilisation de ces supports influencent la manière d’enseigner/apprendre les langues.
Pour répondre à ces questions, nous prendrons appui sur des données recueillies auprès d’enseignants de langue française et de langue espagnole exerçant dans plusieurs écoles primaires du réseau AEFE, en Amérique latine et dans la péninsule ibérique : questionnaires et entretiens menés auprès des professeurs, fiches didactiques des enseignants ainsi que des photographies prélevées lors de séances de classe du cycle 1 au cycle 3.
Au regard des recherches centrées à la fois sur les pratiques pédagogiques en contexte bilingue et sur les liens entre processus d’enseignement-apprentissage et supports mobilisés en classe de langue pour enfants, nous dresserons une typologie des objets introduits en classe bilingue pour en dégager la pluralité des formes et des usages. Nous tenterons ensuite d’identifier les fonctions linguistiques et pédagogiques assignées à ces objets qui constituent, dans une certaine mesure, des leviers d’ajustement aux besoins et aux compétences des élèves.
B3 – Les objets comme catalyseurs d’écriture – Bruno Hubert, MC Sciences de l’Éducation, Université de Caen, CIRNEF.
La présente recherche, entre didactique du Français et approches biographiques, s’intéresse aux objets comme inducteurs d’écriture dans des classes primaires, des « donneurs d’impulsion » dirait Peter Alheit (2008), des objets qu’on apporte de chez soi parce qu’ils comptent pour la personne: photographies, objets souvenirs, objets traces de passion, cahiers des classes précédentes qu’on fait parler (Hubert, 2012), qui par leur présence vont pouvoir établir un pont entre l’enfant et l’élève et l’aider à construire l’idée qu’écrire c’est se dire, c’est s’appréhender comme « une personne singulière avec une histoire, des émotions, un engagement sensé dans ce qu’elle dit ou fait et qui, pour ce faire, pense, communique avec son stylo ou son clavier » (Bucheton, 2014, p. 11). Même s’ils sont jeunes, les élèves ont une histoire et les objets agissent comme des passeurs via l’émotion que suscite leur présence matérielle : « Avec les objets et les photographies, c’est la part visible de l’iceberg de la mémoire qui est montrée. Par eux, la mémoire familiale devient concrète, préhensible, partageable » (Muxel, 1996, p.149). Parce que les objets familiers structurent un espace d’apprentissage, ils deviennent objets d’écriture.
Mais les objets peuvent aussi aider à écrire parce qu’ils rendent le jeu possible bien au-delà de l’école maternelle, ils donnent un caractère réel aux situations que l’enfant peine à se représenter tant cela demande un haut niveau d’abstraction. Leur existence physique facilite le recours aux ressources de l’imaginaire qui se trouve ainsi étayé. Pour inventer une histoire de bateau, rien de tel que d’avoir un bateau à manier sur l’eau, fût-il une coquille de noix dans une baignoire. L’objet invite au récit et développe les capacités narratives, c’est ce que nous montrerons au travers de vidéos ou de productions réalisées avec des classes primaires. Au fil des propositions du groupe classe, le playmobil deviendra « le petit bonhomme » et celui-ci aura besoin de rencontrer « concrètement » un cheval (en plastique) pour que le dialogue puisse se réaliser : « Il dit… ˵Est-ce que t’as vu un poisson d’or ? (…) – Non j’en n’ai pas vu de poisson d’or répond le cheval. – Alors viens avec moi, allons le chercher.˶ Et le cheval saute dans le bateau ». L’objet, qu’il soit jouet, du quotidien ou inconnu, structure l’espace d’invention, il appelle les mots comme organisateurs du monde et mobilise les enfants qui s’appuieront sur ce qu’il leur aura permis de ressentir, de vivre pour inscrire cette expérience sur la feuille, dans un va-et-vient entre réel et fiction.
L’analyse qualitative des situations de classe interroge le rôle des objets concrets dans le processus d’élaboration perceptive et mentale, et la part qu’ils prennent dans la transformation par l’écriture d’objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques permettant à l’enfant de s’inscrire comme sujet singulier dans un collectif, une société, un monde dont il s’initie peu à peu aux codes.
B4 – Le rôle des artefacts et des gestes dans les activités utilisant l’approche EMILE : le cas des jeunes apprenants – Zehra Gabillon, Université de Polynésie française, EASTCO ; Rodica Allincai, Université de Polynésie française, EASTCO.
Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire longitudinale, menée en Polynésie française entre 2012 et 2018, au sujet de l’Enseignement d’une Matière Intégré à une langue Etrangère (EMILE) avec des apprenants débutants en anglais. L’objectif de cette recherche était de mettre en évidence le rôle joué par les artefacts et les gestes dans les échanges dialogiques et la médiation assurée par l’enseignant dans le contexte de l’enseignement des langues vivantes étrangères (LVE). S’inscrivant dans les paradigmes socioculturels (Lantolf et Pavlenko,1995) et interactionnistes de l’apprentissage des langues étrangères (Gass et Varonis, 1994), la recherche a été construite sur la base de trois modules expérimentaux qui se sont déroulés dans trois écoles primaires de Tahiti, avec des élèves âgés de 7à 11 ans.
Le premier module de travail, mené entre 2012 et 2013, avait comme objectif de déterminer si l’enseignement EMILE était possible avec de jeunes apprenants débutants en LVE. L’étude a comparé quatre activités en sciences, basées sur des expérimentations utilisant des artefacts : deux activités ont été menées dans la langue maternelle des apprenants, le français (L1) ; et deux autres dans la LVE, l’anglais (L2). Les résultats de cette première étude ont indiqué que la pratique de l’approche EMILE avec les élèves débutants en LVE est possible, à condition d’une utilisation habile des artefacts et des gestes pour compenser le manque de compétences en L2 des apprenants (Gabillon & Ailincai, 2013).
Les deux autres modules de travail ont été conçus à partir des résultats de cette première étude, et se sont concentrés plus particulièrement sur le rôle joué par les artefacts et les gestes.
Le recueil des données a été réalisé par des enregistrements vidéo et complété par des prises de notes. Les transcriptions des éléments verbaux et non verbaux ont été réalisées selon le système de transcription de Jefferson (2004). Les deux premiers corpus(2012-2015) ont été analysés manuellement à l’aide d’une série de techniques de codage et de segmentation (codage initial, codage axial et codage sélectif) par itération (Gabillon & Ailincai, 2016). Le dernier corpus (2017-2018) a été analysé à l’aide du logiciel d’analyse de données qualitatives Atlas.ti. Après le codage initial, qui consistait à identifier la fonction de chaque intervention verbale ou non verbale, des regroupements ont été réalisés dans des catégories plus significatives. Ces dernières ont été étudiées par rapport au rôle joué par les artefacts et les gestes dans les échanges dialogiques en L2. Les résultats de cette recherche ont indiqué que l’utilisation des artefacts et des gestes dans les apprentissages de type EMILE facilitait l’étayage de l’enseignant en LVE, prolongeait les échanges dialogiques, améliorait la qualité communicative des interactions en classe, et créait des opportunités pour le tutorat entre pairs.