Jacques Beauchamp/Applications
de la
géologie
dans les travaux de génie civil
4.
Les aménagementS ET LEUR IMPACT
Les interventions humaines sur le littoral sont diverses; elles visent
souvent
à pérenniser le trait de côte. On peut citer:
la continentalisation
de
zones marines littorales (polders)
la protection de la ligne
de
côte contre l'hydrodynamisme et l'érosion marine
l'entretien des chenaux
d'accès
aux ports.
D'autres
interventions visent à exploiter la production alimentaire de la
zone
littoral: conchyliculture, pisciculture.
4.1 Annexion de zones marines
Les
zones littorales sont plates et
constituées
de sédiments fins trés fertiles lorsqu'ils ont perdu leur
sel.
Depuis longtemps, l'homme a cherché à
récupérer
ces terrains par des endiguements.
Chronologie de la construction des digues et l'extension du domaine continental sur le littoral picard: les polders formés constituent les "Bas Champs". |
En Baie de Somme, les digues successives construites depuis le Moyen-Age ont peu à peu réduit la zone marine et diminué le volume d'eau oscillant à chaque marée. Les courants ont diminué et la sédimentation a été favorisée. Le processus naturel de comblement a été accéléré. Les terrains endigués (polders ou "bas-champs") se trouvent au-dessous du niveau des hautes mers. Leur drainage est effectué en direction du rivage par des chenaux fermés par une porte à marée haute. Les digues anciennes généralement en terre sont rendues plus fragiles par la remontée du niveau marin et peuvent être ouvertes par brèche au cours des tempêtes: les zones internes qu'elles protègent sont alors inondées. Ce risque est bien présent dans les grands estuaires de la Mer du Nord. L'inondation des Bas-Champs picards s'est produite lors de la grande tempête de 1990. |
4.2
Maintien de la ligne
de
côte
42.1 Falaises
Le
recul des falaises est un phénomène bien connu
historiquement
qui a provoqué notamment la disparition ou la relocalisation
périodique
de villages ou de bourgs. Sur le littoral picard, le cas de la petite
ville
d'Ault est exemplaire: l'emplacement du bourg au Moyen Age est
situé
sur le platier d'érosion actuel. La vitesse du recul peut
atteindre 30 cm par an.
L'érosion
et le recul des falaises sont ralentis par des perrés, des
épis et autres travaux de consolidation. L'accumulation de
galets aux pieds de la falaise joue également un rôle
protecteur. Les interventions lourdes, comme celles appliquées
à la falaise d'Ault, sont coûteuses, ont une
durée limitée et ne font que déplacer
la zone d'érosion vers les portions du rivages non
protégées. La protection de la falaise d'Ault
a déplacé l'érosion en
aval par rapport au sens moyen de la dérive
littorale. Travaux de protection d'une falaise (d'après document D.D.E.): (1): épi (2): stock de galets retenus par l'épi (3): perré (4): galets mobiles déplacés par la dérive littorale |
|
l |
Travaux
de protection d'Ault-Onival (Somme): épi sur le platier,
enrochement
et remblai en pied de falaise, console bétonnée
("casquette")
au-dessus.
|
Epi
métalique
en pied de falaise
|
Accumulation
de galets aux pieds de la falaise
|
|
41.2 Cordons
littoraux
Epi
en bois sur un cordon de galet (Angleterre)
|
Dans le cordon des
Bas Champs, les galets sont constamment déplacés par
l'action du déferlement et migrent
préférentiellement vers le Nord. Le transit est rapide,
plusieurs dizaines de mètres pour certains galets en un cycle de
marée. Ce remaniement constant du cordon pose problème puisqu'il implique un apport constant de nouveaux galets. Ces galets proviennent de l'érosion des falaises crayeuses situées au Sud. Or, les travaux de protection des falaises ralentissent la production de galets; les travaux d'aménagement portuaires interrompent leur transit; le prélèvement industriel de galets diminue le stock local. Le cordon démaigrit par déficit d'alimentation et la protection des polders qu'il limite est fragilisée. Il est donc nécessaire d'intervenir afin d'éviter le franchissement du cordon au cours de tempête et l'inondation des polders. |
Des épis ralentissent le transit des galet et limitent des
casiers alimentés par des recharges
périodiques de galets provenant de carrières terrestre
qui compensent la perte due au transit résiduel; les
prélèvements industriels sont compensés par un
apport équivalent de galets terrestres de moindre
intérêt économique. Là encore, on observe le
déplacement des
phénomènes d'érosion dans les parties non
protégées.
Sur
le littoral anglais de la Manche, où la configuration
géologique de la côte et les problèmes
d'érosion sont similaires, les galets sont transportés
par camions en sens inverse pendant l'hiver.
41.3 Plages et Dunes
Protection contre l'érosion
L'érosion
des plages a des conséquences économiques
négatives puisqu'elle en diminue l'attrait touristique et
ludique et menace les implantations placées sur
l'arrière-plage. Le démaigrissement d'une plage est
généralement la conséquence de la rupture de
l'équilibre entre les apports et les départ des
matériaux. Le déficit sableux a des causes diverses:
interruption de la dérive littorale par des travaux
portuaires, barrages sur les fleuves diminuant l'apport
détritique, déplacement des zones de sédimentation
par aménagement divers: sur la côte picarde, la mise en
place de plusieurs dizaine de milliers de pieux pour la mytiliculture a
induit une forte sédimentation locale au détriment des
plages situées en aval de la dérive littorale.
L'érosion de la haute plage affecte la base
des dunes littorales qui sont soumises en outre à la
déflation entraînant le sable ves l'intérieur des
terres.
L'érosion
des plages est observée sur la côte du
Languedoc-Roussillon; ses causes principales sont aussi l'endiguement
de fleuves côtiers et la mise en place d' ouvrages de
protection. Ses conséquences sont particulièrement
dommageables pour les
stations
nouvelles construites trop près du rivage.
Les solutions
proposées sont trop souvent des solutions
locales et faites sans étude et modélisation plus
globale,
avec une connaissance incomplète des processus, en particulier
des apports du
large. Les aménagements sont d'importance, de coût,
d'efficacité, de durabilité et d'impact sur le paysage
trés variés. Les interventions les plus lourdes ne sont
pas obligatoirement les plus satisfaisantes.
Protection du haut de plage par enrochement |
Protection du haut de plage par perré. |
Protection par palissade en rondins: notez l'affouillement latérale |
Protection de l'arrière-plage par épis en gabions. |
Protection de l'affouillement à la base des rondins par gabions. |
Fixation des dunes de l'arrière-plage par plantation d'oyats. |
Aménagement
de la basse plage:
L'installation d'épis pour intercepter le transit sableux
déplacé par la
dérive est efficace mais peu esthétique. Les épis
demandent un entretien car ils sont aisément
déchaussables
(phénomène observé en Petite Camargue). La
recharge régulière en
sable
du bas de la plage apparaît efficace et d'un coût
acceptable. La mise en place de brise-lame sur l'avant-plage est
également une solution intéressante mais
nécessite des équipements lourds pour la
construction.
Aménagement
de la haute plage:
La protection de la haute plage se fait par des
enrochements et des digues (perrés, palissades), comme pour
celle de la base du
système dunaire. De plus le sable des dunes est fixé par des fascines, des claies et
des plantations d'oyats. Des cônifères sont plantés
plus à
l'intérieur des terres.
Ces
aménagements ont malheureusement souvent pour conséquence
la dénaturation du paysage naturel et
l'accélération de l'érosion en d'autres points du
rivage.
Prolifération
organique sur l'estran
L'invasion d'une plage sableuse par les végétaux
aquatiques (algues, graminées) déclasse cette
dernière en détériorant sa valeur ludique. De
plus, ces végétaux constituent autant d'obstacles qui
favorisent le dépôt de sédiments fins (vase). Des
animaux comme certaines annélides (Pygospio elegans par exemple)
peuvent alors coloniser les zones plus vaseuses. Cette
prolifération est souvent due à la pollution.
L'augmentation de la charge en phosphore et en azote de l'eau littorale
par apport continental d'origine humaine (en particulier des pratiques
culturales et des rejets de stations d'épuration) est
particulièrement favorables aux "blooms" algaires et à
l'essaimage des graminées comme les Spartines. La lutte contre
ce phénomène passe par le ramassage des algues,
l'arrachage des pieds de graminées et des mesures plus
ambitieuses s'attaquant à la cause: mise aux normes des stations
d'épuration, contrôles des rejets industriels, diminutin
des intrants dans l'agriculture.
4.3
Accès aux ports
digues
Elles
sont levées pour stabiliser la position
de chenaux souvent
divaguant.
Cette construction diminue localement l'hydrodynamisme et favorise la
sédimentation dans les zones calmes.
dragage et curage
Le
dépôt de matériaux fins est
important dans les zones calmes que sont les bassins des ports. Il s'agit
de
vases salées sans utilisation possible en travaux publics et
généralement
fortement polluées par des hydrocarbures et des métaux
lourds. Leur enlèvement se fait à l'aide de drague ou de
suceuse. Le
problème posé est celui du stockage
et
de l'utilisation des sédiments prélevés.
Le rejet au large est généralement adopté pour les
ports
de la Manche, avec retour des polluants à la côte sous
l'effet
des courants...
Curage par succion. |
Bassin de retenu
Cet aménagement permet de retenir une quantité d'eau
à marée haute qui est ensuite libérée
brutalement dans le chenal d'accès au port à marée
basse. Le chenal est curé par effet de chasse à chaque
cycle de marée. Ce bassin est rapidement comblé par les
particules fines apportées par l'eau de mer et un curage
régulier est nécessaire, avec comme problème
l'entrepôt et l'utilisation des sédiments vaseux
prélevés. La forme et le mode de fonctionnement des
portes de ce bassin perrmettent de limiter la sédimentation.
4.4. Conchyliculture
L'implantation de pieux (bouchots) sur l'estran diminue la
vitesse des
courants et favorise donc la sédimentation à
l'emplacement des pieux au détriment des plages situées
en aval de la dérive littoral, pouvant provoquer
l'érosion de ces dernières.
La zone côtière, d'importance cruciale pour l'homme, est le champ d'action de nombreux facteurs conflictuels. Les zones côtières avec leurs industries, leur circulation et leur tourisme, sont en constante interaction avec la nature. Le profil d'une côte résulte d'actions complexes exercées par le vent, les vagues, les marées, les courants... La tendance actuellement observée se résume en une érosion des côtes rocheuses et des plages, et une sédimentation préférentielle dans les estuaires et les baies. Les causes de cette évolution résultent de la conjonction entre un phénomène global, l'élévation du niveau de la mer, et l'action humaine locale: extraction de sables, construction de barrage sur les fleuves, de ports de plaisance.
Le rôle principal de
l'ingéniérie littorale est d'équilibrer ces
interactions de façon de permettre leur usage optimal et de
limiter l'impact humain sur la nature, en tenant compte de
l'évolution à long terme aussi bien que des risques de
catastrophes soudaines. Les facteurs morphodynamiques, par essence de
haute variabilité naturelle, sont altérés par
l'homme avec comme but de préserver le statut actuel. Cette
intervention humaine continuelle, comme la construction de digues, de
jetées, de recharge de plages, vise à
protéger le paysage naturel aussi bien qu'à
préserver sa valeur économique. A cela s'ajoute le
contrôle de la bathymétrie côtière
nécessaire pour la sécurité du trafic maritime,
afin de minimiser le risque d'accidents et de pollution
conséquente qui s'avère hautement dommageable pour la
faune et à la flore, l'usage récréatif du
littoral et la production piscicole et conchylicole.