LES MOYENS DE LUTTE CONTRE L'EROSION DES SOLS

Daniel GAUVIN (*)




 

Pour être efficaces, les moyens de lutte doivent se situer dans deux zones bien distinctes :
- une zone émettrice de ruissellement,
- une zone sensible accumulant les précipitations.

Ces deux zones correspondent donc à deux limites différentes auxquelles doivent s'adapter des mesures différentes.

Figure 1: moyens à mettre en oeuvre contre l'érosion ( d'après F. Derancourt, 1995).

Deux aspects sont donc à prendre en compte :

            - couverture du sol,
            - structure du sol, Il convient d'agir en priorité sur le premier ( techniques culturales ) car on considérera que dans la région à dominante agricole, il est à l'origine même de l'érosion, le second aspect n'intervenant que pour limiter les conséquences engendrées par le travail du sol. En fait toute modification de la structure du sol entraîne une variation de sa stabilité dans le temps et de son comportement vis à vis des précipitations.


1. Les techniques culturales

 

1.1. Diminuer l'impact des gouttes de pluie

L'effet des pratiques culturales n'est pas facile à calculer. Néanmoins, tous les experts s'accordent à dire qu'il est possible de réduire d'au moins l mm les volumes de ruissellement sur les terres labourées, ceci rapporté à la surface du bassin versant peut être considérables.

1.1.1.Non déchaumage pendant l'interculture
Il permet de maintenir un effet de "mulch" (couverture végétale morte) qui diminue fortement l'impact des précipitations, le sol n'étant pas travaillé, il reste résistant aux incisions. Pour les récoltes de fin de printemps il permet entre autre de garder l'humidité du sol pour la restituer en été. Il est principalement recommandé dans les zones de concentration ou tout ameublissement du sol est à proscrire et dans les zones de fortes pentes et de ruptures de pentes.

1.1.2.Non labour
Il présente deux effets opposés selon sa position géographique, sur le plateau (impluvium) ou dans la vallée (zone de concentration du ruissellement). En effet il permet de garder un sol compact et peu sensible à l'arrachement dans la zone de ruissellement concentré (située en général en fond de vallée), il favorise au contraire le ruissellement si la parcelle est située sur l'impluvium du fait de sa faible capacité d'infiltration.

1.1.3.Cultures intermédiaires
Outre le fait de diminuer l'impact des gouttes de pluies , le couvert végétal constitue un exceilent piège à nitrate. Il existe quatre techniques d'implantation :

- semis sous couvert avant récolte du blé ;
- semis sur chaumes sans travail du sol ultérieur ;
- semis sur chaumes avant déchaumage, juste après récolte ;
- semis sur chaumes avant déchaumage trois semaines après récolte.
Exemple : (implantation en août) seigle, radis, moutarde, phacélie, vesce, ray-grass d'Italie RGI), ray-grass d'Angleterre fourrage (RGA), RGA gazon, ces deux derniers étouffent difficilement les mauvaise herbes. Après le 15 septembre l'efficacité du couvert diminue, leur destruction s'effectue avant le mois de janvier.

Intérêts des semis d'engrais vert :

1.2. Augmenter la capacité d'infiftration et de stockage à la surface du sol

1.2.1.Travail du sol
- Le déchaumage intervient surtout pour les grandes parcelles à sol compact susceptibles de concentrer l'eau. Contrairement au non déchaumage il sert avant tout à faciliter la décomposition des résidus de recolte (en appliquant un premier mélange avec le sol) et à détruire les graines et les adventices laissés sur le sol. L'application du déchaumage et du non-déchaumage dépend beaucoup du type de sol, de la culture implantée et des conditions météorologiques.
- Le sous solage (ou décompactage) pour éclater la semelle de labour et/ou les zones de tassement pour créer une zone de fissuration et d'infiltration de l'eau, et ainsi retarder l'apparition du ruissellement.

1.2.2. Utilisation d'équipements permettant de répartir les charges des engins
Le tassement du sol par les engins agricoles est un facteur défavorable, les traces servent fréquemment de réseau de collecteur des eaux de ruissellement. L'importance des tassements et des ornières varie selon le matériel utilisé (tasse-avant, roues jumelées, pneus larges...).

1.2.3.Favoriser les céréales d'hiver aux cultures de printemps (betteraves et pomme de terre).
Elle permettent d'obtenir un couvert végétal susceptible de freiner l'impact des précipitations fréquentes en hiver, et d'absorber le surplus d'azote susceptible de ruisseler vers les cours d'eau. Mais la rentabilité reste l'une des préoccupations majeures des agriculteurs et constitue souvent un frein à leur mise en place.
 
 

1.3. Consolider le sol

1.3.1.Par l'apport de matières organiques
Elles favorisent l'agrégation des particules entre elles et améliorent la stabilité structurale en agissant sur la mouillabilité (favorisent l'infiltration de l'eau), et en limitant la battance et la prise en masse des couches labourées.
 
 
SOURCES TYPES TENEURS EN M.O. (1)
Résidus de récolte Pailles
Colza
Betteraves
Engrais verts
800 à 1 000 kg/ha
1 200 à 1 500 kg/ha
800 kg/ha
500 kg/ha
Déchets animaux 80 à 100 kg/tonne
Apports extérieurs 60 Kg/tonne 
70 à 80 kg/tonne (2)
(1) : teneurs moyennes.
(2) : teneurs par tonne de produit brut.

Tableau I-3 : Récapitulatif des différentes sources de Matières Organiques (source: F. Derancourt).
 

 1.3.2 Par l'amendement calcique
Nécessaire à la floculation du complexe argilo-humique; il faut  maintenir un taux de calcaire d'au moins 3 % et un pH entre 7,5 et 7,8 sachant que la consommation annuelle est d'environ 0,5 à 1 tonne par hectare de carbonate de calcium. Il donne au sol une structure plus stable, moins apte à produire une croûte de battance.
 
 
PRODUITS SOL EN ENTRETIEN
apport annuel
SOL EN REDRESSEMENT
apport annuel
carbonate ou craie broyée 1 tonne/ha 5 tonnes/ha
Ecumes 2,5 12
Boues chaulées 4 22
Marnes 3 20

Tableau I-4 : Les différentes sources d'apport d'amendements calciques (source: F. Derancourt).

1.3.3.Favoriser le tassement sur les zones de passage d'eau
Pour constituer une bande de sol compact et ainsi augmenter la résistance du sol et la largeur d'étalement de l'écoulement.
La limite de cette méthode dépend de la pente qui doit être inférieure à 2-3 % et des débits qui doivent être faibles.

(Figure I-12- Source : Derancourt. F)

1.3.4.Eviter l'affinement excessif
Pour éviter la formation de la croûte de battance en travaillant sur sol bien ressuyé, en limitant les passages et en regroupant les outils (peu agressifs et adaptés au type de sol).
 

1.4. Empêcher la concentration des eaux

1.4.1.Taille, forme et orientation des parcelles et des travaux qu'elles induisent

(voir Schéma n°I-3)

Un travail perpendiculaire à la pente évite l'accumulation de l'eau au fond de la parcelle en même temps qu'il limite la prise de vitesse de l'eau lors du ruissellement. En diminuant son énergie cinétique, il diminue aussi les risques d'incisions ou de coulées de boue.

1.4.2. Eviter le tassement du sol à l'intérieur des parcelles par les engins agricoles :
car le risque de ruissellement augmente fortement avec le pourcentage de surface tassée et le degré de tassement.

Le tableau ci-dessous reprend à titre indicatif les surfaces recouvertes par les traces de roues en fonction de la culture et des opérations:
 
 
Opérations culturales Travail du sol, déchaumage Semis de céréale, pois, lin  Semis de maïs, betterave    pomme de terre Récolte de maïs, betterave sucrière, pomme de terre
 Pourcentage de surface  recouverte par les traces de roues 0 %   0 à 5 %
(si traitement  herbicide)
15 à 40 %  70 à 80 % 

Tableau I-5 : Pourcentage de surface recouverte par les traces de roues en fonction de l'opération culturale.
 

1.4.3.Alterner les cultures sur un bassin versant : assolement judicieux et en commun.
Les agriculteurs organisent leurs successions culturales à partir d'assolement comme la betterave, la pomme de terre ou le maïs. Il s'agit dans l'ensemble d'une rotation triennale avec de temps à autres l'introduction en fin de succession du lin ou du maïs.
Pour les assolements qui favorisent les sols nus en hiver avec des chantiers de semis à risque au printemps, il est conseillé d'introduire des cultures intermédiaires pour couvrir la surface, réduisant ainsi fortement les risques d'érosion et de ruissellement (pratique particulièrement développée chez les grosses exploitations légumières).

Les parcelles d'un même versant étant bien souvent cultivées par des exploitants différents, iI est intéressant qu'une concertation se mette en place pour le choix des assolements.

Exemple de rotation : Blé-Betterave-Escourgeon

1.4.4.Découpage du parcellaire.
La réduction des surfaces cultivées avec l'implantation de haies conduit à une diminution des zones de concentration en eau et permet d'obtenir un bassin versant circulaire  où le ruissellement est plus facilement contrôlé.

1.4.5. Binage
(ex: couvert végétal sous maïs).
Semer du RayGrass d'Italie sous couvert de maïs est une technique qui permet d'obtenir un couvert hivernal efficace après maïs qui va piéger les nitrates et limiter l'érosion (les techniques d'implantations sont disponibles dans les Chambres d'Agricultures ). Implanter un couvert, c'est aussi améliorer la structure du sol, limiter le ruissellement des produits phytosanitaires, économiser l'azote pour la culture suivante.
 

1.5. Reconversion des terres

Les mesures agri-environnementales
Elles consistent, pour l'agriculteur volontaire, à mettre en place, dans les zones génératrices de ruissellement, le maximum de cultures d'hiver ou de couvert végétal, afm de protéger les sols contre l'érosion hivernale et les déperditions d'éléments fertilisants. Plusieurs types de contrats existent avec des conditions particulières d'éligibilité.
 
 


2. Les aménagements hydrauliques

Dans les situations à pluviométrie extrême et l'absence d'effort des agriculteurs, les mesures agronomiques ne suffisent pas toujours, et une action complémentaire au moyen d'aménagements hydrauliques s'impose. Ils sont placés le plus en amont possible des phénomènes d'érosion et de ruissellement pour permettre de canaliser et stocker l'eau excédentaire, c'est leur succession le long de la pente qui sera le gage de leur efficacité.
 

2.1. Méthode de travail pour une étude d'aménagement hydraulique

L'approche pour estimer les volumes de ruissellement et les débits reposent sur une connaissance précise du terrain et une adaptation la plus étroite possible des risques à chaque bassin versant. Ces méthodes  sont souvent utilisées par les bureaux d'études afin de dimensionner les ouvrages nécessaires pour contenir successivement le long d'un bassin versant les eaux de ruissellement et limiter ainsi l'érosion. Elles s'appuient sur des analyses d'intensité de pluie, sur des choix de coefficient de ruissellement, sur des estimations de temps de concentration, sur des estimations de débits et de volumes ruisselés.

Les aménagements généralement proposés sont prévus pour lutter contre les phénomènes chroniques. Ils ne sont pas dimensionnés pour faire face à des événements de fréquence rare, mais au mieux, de fréquence décennale (pluie apparaissant statistiquement une année sur dix). Un niveau de protection supérieur exige des ouvrages de capacités plus importantes donc des emprises plus vastes.

2.2.1.Limiter les volumes de ruissellement

2.2.1.1.La bande enherbée
Elle peut de jouer un double rôle : elle permet de lutter à la fois contre l'érosion et contre les pollutions des cours d'eau par les produits phytosanitaires d'origines agricoles et le ruissellement des matières en suspension.

Figure2 : Exemple de localisation de bandes enherbées (d'après Groupe `dispositifs enherbés' du CORPEN )

La localisation des bandes enherbées répond à plusieurs principes. Elles peuvent être :
- en position d'intercepter transversalement le ruissellement diffus au sein de la parcelle, ou en bordure de celle-ci (n°l, 2, 6) : dans ce cas, elles freinent l'eau, retiennent des sédiments etjouent le rôle de diffuseur (limite la concentration de l'eau).
- en position de canalisation du ruissellement, c'est-à-dire qu'elle est implanté dans l'axé du talweg (n°4). Dans ce cas, elle empêche le décollement des particules terreuses dans la zone déprimée. Elle est positionnée de sorte à guider l'eau vers l'aval sans emporter les sédiments.
- en position de banquette d'adsorption, de diffusion associant au filtre une dépression aménagée en amont qui exerce un triple rôle ; décantation, infiltration et répartition de la lame d'eau ruisselante sur le filtre provenant de l'amont (n°3 et 5). En limitant le ruissellement à l'amont, on favorise davantage l'infiltration de l'eau.

2.2.1.2.Dissociation zones émettrices amonts et zones de pente
En fonction du sens du travail du sol, le plateau va diriger le ruissellement vers les fourrières(zone où l'agriculteur relève les outils de la machine lors de son passage). Pour éviter la concentration de l'eau en fonds de talweg, des bandes enherbées et des fossés de rétention sont installés sur toute la longueur correspondant à la zone de collecte du ruissellement.
 

Figure I-14-b : Aménagement anti-érosion

2.2.2.Limiter la concentration du ruissellement et créer des zones de dépôts

Ces ouvrages de stockage du ruissellement situées en général à l'interface entre les terres cultivées et les zones urbanisées n'ont pas d'effet sur l'érosion elle-même (si elles sont bien entretenues) mais sert seulement à la contenir.

- les plis ou modelés.
- les barrages en balles de paille.
- les diguettes avec fossés de stockage. - les mares tampons.
- les talus et bandes boisées.
- les haies.
- les banquettes d'absorption-diffusion.
- les bandes enherbées qui empêchent l'arrachement du sol sur les passages en eau.


En jouant le rôle de barrière et en déviant les écoulements, les haies peuvent protéger une partie des surfaces du bassin versant. Elles peuvent favoriser l'infiltration des nitrates avec d'autres produits phytosanitaires et donc leur piégeage, mais cela dépend beaucoup des pratiques culturales.

Des risques existent selon le mode d'implantation de ces ouvrages. La maîttise de l'évacuation des eaux est primordiale, elle dépend beaucoup de l'entretien des aménagements.

2.2.3.Ouvrages pour protéger les chemins d'eau et organiser l'écoulement

- chenal enherbé :iI sert à acheminer l'eau en évitant l'incision et permet d'éviter le caractère boueux aux inondations. Il permet aussi de filtrer les matières en suspension en créant des dépôts. Les résidus de fauche sont destinés au compostage ou à l'incinération mais en aucun cas ils ne doivent servir pour l'alimentation animale.
- fossés de drainage (ou barrages filtrants) et ouvrages de canalisation. Ils peuvent faire office de bassins de rétention, puisque l'eau est ralentie et donc en partie stockée à l'amont des aménagements.
- Réseau hydraulique cohérent.
Tous ces ouvrages correspondent néanmoins à des actions limitées et apparaissent comme des solu6ons secondaires et coûteuses, d'ou l'intérêt de développer les actions préventives agronomiques.

2.2.4.Ouvrages pour protéger les zones bâties des inondations

Il s'agit en général d'ouvrages de grandes dimensions pouvant supporter des volumes d'eau engendrés par des pluies décennales ou centennales.

- Bassin de rétention.
- Les bassins d'orages
- Aménagement des exutoires pour une bonne répartition des eaux en aval.
2.2.5.Pour les secteurs urbanisés
- Ralentir le transit des eaux de ruissellement par des bassins de rétention (coûts d'entretien élevé).
- Suivre le développement des surfaces imperméabilisées (toitures, routes, parking, trottoirs...) pour contrôler la vitesse de ruissellement.




 

3. Conclusion


Les aménagements les plus efficaces pour lutter contre l'érosion sont à mettre en place lors du remembrement (Prise en charge de certains coûts pour moitié par le département).

Un principe général doit être respecté : les aménagements doivent représenter une contrainte minimale pour les exploitants. Ainsi ils seront toujours disposés parallèlement au sens du travail du sol.

En dehors du cadre d'un remembrement, la mise en place d'action de lutte contre l'érosion se fait en plusieurs étapes :

- une concertation entre agriculteurs au niveau du bassin versant sur le choix des assolements. Celles-ci évitera par exemple que des versants entiers soient occupés uniquement par des cultures de printemps.
- une étude préalable pour inventorier les phénomènes d'érosion, rechercher leur cause et proposer des remèdes en concertation avec les agriculteurs, les élus des bassins concernés et les riverains ;
- un recours à une entreprise de travaux publics ou à la DDE par exemple ;
- un suivi de réalisation ;
- un entretien périodique des aménagements.
Dans le département de la Somme, l'organisation du suivi agronomique et de la mise en place des aménagements prévus est souvent effectuée par la SOMEA (Somme Espace et Agronomie : association de 1901 constituée par le Conseil Général de la Somme et la Chambre d'Agriculture) qui s'occupe des études de bassin versant.


Références citées


DERANCOURT F. (1995) - Erosion des terres agricoles, méthodologie proposées à l'étude de bassins versants agricoles. Rapport Chambre d'Agriculture Pas-de-Calais.

LUDWIG B. (1992) - L'érosion par ruissellement concentrée des terres cultivées du Nord du Bassin Parisien. Thèse, Univ. Louis Pasteur, Strasbourg, 200 p.


(*) extrait de:

GAUVIN D. (2000) - Inventaire des zones sensibles à l'érosion des sols en vallée d'Authie dans une perspective d'application des mesures agri-environnementales. Mém. D.U.E.S.S. "Eau et Environnement", D.E.P., Univ. Picardie Jules Verne, 105 p. + annexes et cartes.

adaptation et mise en page: jacques.beauchamp@sc.u-picardie.fr