LE PLOMB DANS L'EAU.
Stéphanie DESNOUS (*)
A- HISTORIQUE DES LOIS ET DES DECRETS.
1- sur la concentration maximale admise (CMA).
* Le 24 novembre 1954, une circulaire du Ministère chargé de la santé indiquait que la teneur en plomb, classé dans la catégorie des éléments toxiques ne devrait pas dépasser 50 microgrammes par litre (µg/l).
* Le 10 août 1961, un arrêté pris en application du décret 61/859 du 1er août fixait pour le plomb une limite de 100 µg/l dans les eaux de consommation.
* La circulaire du 15 mars 1962 précise que les eaux d’alimentation ne doivent pas être agressives.
La Communauté Européenne a ensuite fixé d’autres normes.
* La directive 80/778/CEE indique que "Dans le cas de canalisation en plomb, la teneur en plomb ne devrait pas être supérieure à 50 µg/l dans un échantillon prélevé après écoulement. Si l’échantillon est prélevé directement ou après écoulement et que la teneur en plomb dépasse fréquemment ou sensiblement 100µg/l, des mesures appropriées doivent être prises afin de réduire les risques d’exposition du consommateur au plomb."
Elle précise également que la mesure doit être faite par absorption atomique sans pour autant fixer une fréquence minimale.
* Le décret 89-3 du 3 janvier 1989 modifié transcrit en droit français cette directive. Dans le chapitre relatif aux substances toxiques de son annexe I-1, il est indiqué que la concentration maximale admise est 50 µg/l pour le plomb sans possibilité de dérogation pour ce paramètre. De plus, les prélèvements pour analyses doivent être effectués avant traitement ou en sortie de filière de traitement.(Annexe 1)
* Le 30 mai 1995, la commission de l’Union Européenne a publié dans le Journal Officiel " une proposition de directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine " (95 C 131/03). Cette proposition prend en compte les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) publiée en 1994. Le vote de cette loi devrait intervenir au cours du premier semestre de l’année 1998.
2- Recommandation de l’O.M.S.
En 1972, l’apport en plomb acceptable par semaine avait été estimé à 0,005 mg/kg de poids corporel. L’enfant avait été exclu de cette analyse, et sur cette base, une valeur de 50 µg/l d’eau avait été proposée. Elle a été ensuite transposée sous forme de concentration maximale admissible dans les directives européennes de 1980 et la réglementation française. L’évolution des connaissances a conduit à estimer que le plomb agissait sans seuil et à modifier cette valeur.
En 1994, la concentration maximale admissible pour le plomb dans les eaux d’alimentation a été abaissée à 10 µg/l. Cette valeur a été calculée en tenant compte du sous groupe de population le plus sensible c’est à dire les nourrissons afin de protéger tous les autres groupes d’âge.
Calcul de la valeur guide V.G.
V.G. = ( D.J.T.x pc x P) /c
Avec:
- D.J.T.: Dose Journalière Tolérable déterminée à partir des données toxicologiques. Le comité F.A.O.-O.M.S. a établi un taux d’ingestion hebdomadaire tolérable pour les nourrissons de 25 µg de plomb par kilogramme de poids du corps soit 3,5 µg/kg par jour.
- pc: Poids corporel du consommateur c’est à dire cinq kilogrammes pour les jeunes enfants.
- P: Proportion de la dose journalière tolérable attribuée à l’eau de boisson. Les autres sources de contamination sont l’air, les aliments et la poussière.
P= 50% pour le nourrisson.
- c: Consommation journalière en eau. pour les nourrissons, on admet que c est égal à 0,75 litre.
D’où V.G.= (3,5x5x0,5)/0,75= 11,7 µg/l.
Cette valeur a été arrondie à 10 µg/l.
La recommandation de l’O.M.S. est accompagnée du commentaire suivant:" Cette valeur ne pourra certainement pas être respectée dans tous les cas; en attendant, toutes les mesures recommandées pour réduire l’exposition totale au plomb doivent être appliquées." Ces mesures sont l’information du public sur la nécessité de faire écouler l’eau en cas de canalisations en plomb, la réduction des autres apports...
S’inspirant de cette dernière remarque, la Communauté Européenne admet que le seuil de 10 µg/l ne devrait être applicable que dans quinze ans et prévoit une étape transitoire où la limite de 25 µg/l devra être respectée dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la directive.
3- Remarques sur la nouvelle recommandation.
Le plomb absorbé provient de plusieurs sources telles que l’alimentation, l’eau et la poussière. Il est donc difficile de déterminer la part de l’apport hydrique.
3 1- Les apports en plomb.
Tableau I: Contribution des différentes sources aux apports de plomb en France (%).
(Hartemann, 1995).
Milieu | Concentration | Nourrisson (3 mois) | Enfant (2 ans) | Adulte (60 kg) |
Air | 0,1-1,0 µg/m3 | 1,6-6,9 |
1,8-8,2 |
2,6-11,3 |
Eau |
10-25 µg/l |
49,0-51,9 |
22,4-25,6 |
26,4-28,4 |
Aliments |
variable |
37,9-32,5 |
48,8-44,8 |
66,1-56,7 |
Poussière |
180-310 µg/g |
11,8-8,6 |
26,9-21,3 |
4,8-3,5 |
Remarque: Les valeurs inférieures caractérisent une situation qualifiée de peu exposante où l’apport en plomb par l’alimentation est égal à 50 µg par jour chez l’adulte.
Les valeurs supérieures définissent une situation qualifiée d’exposante où l’apport en plomb par l’alimentation est cette fois-ci, égal à 100 µg par jour chez l’adulte.
L’eau est responsable de 50 % des apports en plomb chez le nourrisson. Ceci s’explique par leur alimentation essentiellement basée sur du lait maternisé avec peu de complément solide.
La poussière est une source d’exposition plus importante chez l’enfant de deux ans car il a une activité main-bouche très développée.
La concentration en plomb dans les aliments est variable: Les légumes feuilles sont plus contaminés en plomb que les autres légumes ( 100 µg de plomb par kilogramme contre 40 µg par kilogramme).
En 1991, la valeur moyenne pour la viande de boeuf était de l’ordre de 100 µg de plomb par kilogramme, pour le porc 65 % des contrôles donnaient des concentrations inférieures à 50 µg/kg et 14,3 % des analyses effectuées sur les équins étaient supérieures à 1000 µg/kg.
La Direction Générale de la Santé donne des teneurs en plomb dans les boissons:
Vin: 70 µg/l.
Jus de fruit: 30 µg/l.
Cidre: 15 µg/l.
Lait: 15 µg/l.
Boissons gazeuses: 5 µg/l.
3 2- La part de l’apport hydrique.
L’apport tolérable hebdomadaire de plomb a été fixé à 25 µg/kg par semaine.
La différence entre les apports liés aux aliments solides et l’apport tolérable correspond à l’apport de la boisson (tab II).
Tableau II: Teneur maximale admissible de plomb dans la boisson en fonction de l'âge.
(Hartemann, 1995).
Age (an) |
Poids moyen (kg) |
Apports Pb aliments solides |
Apports Pb hebdo. |
Dose tolérable hebdo |
Reste pour boisson µg/semaine |
Volume journalier boisson (l) |
CMA µg Pb/l |
0,5 |
5 |
6 à 10 |
42 à 72 |
125 |
55 à 83 |
0,75 |
10 à 16 |
2 |
13,6 |
30 |
210 |
340 |
130 |
1 |
18,5 |
2 à 5 |
20 |
35 |
245 |
500 |
255 |
1,25 |
29 |
6 à 10 |
30 |
40 |
280 |
750 |
470 |
1,5 |
44,5 |
11 à 14 |
40 |
45 |
315 |
1000 |
685 |
1,75 |
56 |
15 à 18 |
50 |
50 |
350 |
1250 |
900 |
2 |
64 |
Adulte |
60 |
50 |
350 |
1500 |
1150 |
2 |
82 |
Remarque: Le volume de boisson consommé par jour a été défini en prenant comme référence l’eau.
La recommandation de l’O.M.S. est restrictive puisque le poids des enfants évolue rapidement.
De plus, il est évident que pour beaucoup d’enfants, l’eau n’est pas la seule boisson. Ils consomment aussi du lait et du jus de fruit, boissons dont les concentrations en plomb sont supérieures à celle recommandée pour l’eau. On peut donc se demander si cette mesure n’est pas trop restrictive.
B- LE PLOMB DANS L’EAU.
1- Origine.
1 1- Les réseaux.
Les usines de production d’eau potable ont des traitements efficaces pour retenir les traces métalliques présentes dans les eaux superficielles. En outre, la contamination des nappes souterraines demeure en France exceptionnelle.
Aussi, en règle générale, l’eau introduite dans les réseaux de distribution publique a une teneur en plomb inférieure à 10 µg/l et même souvent inférieure à 1 µg/l. L’eau se charge donc en plomb au cours du transport vers le robinet de l’utilisateur.
En France, les canalisations en plomb ont longtemps été utilisées car elles sont étanches et suffisamment souples. Mais elles ont été progressivement remplacées et le plomb ne subsiste plus que dans les trois catégories de conduites que sont les branchements (raccordements entre la conduite et au compteur) d’une longueur comprise entre quatre et quinze mètres, les canalisations de liaison (reliant le compteur à l’habitation) et les tuyauteries des habitations. Ces trois éléments sont responsables de l’augmentation de la teneur en plomb dans l’eau.
Õ Les branchements incriminés ont été posés avant 1984 mais ils demeurent nombreux. Le tableau III montre que les branchements en plomb sur l’ensemble des réseaux de la Lyonnaise des Eaux-Dumez représentent presque 50 % des branchements et que leur répartition est inégale selon les régions. Cette proportion est plus faible dans les zones rurales (10 %) et dépasse fréquemment 50 % dans les grandes agglomérations. La répartition des branchements en plomb est très variable suivant les collectivités, la ville de Paris par exemple a la quasitotalité des branchements en plomb et, à l’inverse des villes nouvelles ont la quasitotalité des branchements en polyéthylène. En 1995, le nombre de branchements en plomb en France est estimé à 4 millions.
Pour la ville d’Amiens, il a été répertorié en 1991, 20 000 branchements en plomb, soit 88 km de conduites.
Tableau III: Evaluation de la proportion de branchements en plomb.
(J.P. Duguet, J. Cordonnier, E. Brocard, 1994).
Région |
Nombre de branchements |
Branchements en plomb |
Pourcentage |
Centre |
268 690 |
10 7476 |
40% |
Est |
125 947 |
50 379 |
40% |
Nord |
596 946 |
310 685 |
60% |
Ouest |
193 350 |
63 290 |
33% |
Reg. Parisienne |
385 778 |
282 336 |
74% |
Rhône Alpes |
55 961 |
11 192 |
20% |
Sud Est |
224 457 |
89 783 |
40% |
Sud Ouest |
429 401 |
169 810 |
69% |
Total |
2 280 530 |
1 084 951 |
47% |
Le plomb n’a pas été utilisé dans les réseaux intérieurs des immeubles et habitations construits après 1945. Il a été remplacé par de l’acier galvanisé, du cuivre, du polyéthylène ou du P.V.C. Mais, à l’échelon national et en prenant quarante mètres comme longueur plausible des tuyauteries intérieures, il reste 42 000 kilomètres de tuyauteries en plomb, répartis sur 10 millions de logement (tab IV).
Les matériaux de remplacement n’évitent pas la contamination par le plomb puisque le zinc utilisé pour la galvanisation des conduites en acier contient jusqu’à 1 % de plomb et que les conduites en cuivre sont assemblées par brasage qui, lorsqu’il est effectué à l’aide de brasure tendre contient environ 60 % de plomb.
Tableau IV: Constitution des installations intérieures de 1 053 habitations.
(D. Bouillot et J. Rançon, 1994)
Age |
Plomb |
Matières plastiques |
Cuivre |
Acier |
Totaux |
De 0 à 10 ans |
0 |
8 |
295 |
0 |
303 |
11 à 20 ans |
10 |
0 |
345 |
15 |
370 |
Plus de 20 ans |
247 |
0 |
271 |
77 |
595 |
Totaux |
257 |
8 |
911 |
92 |
1 268 |
Remarque: 1 268 est supérieur au nombre d’habitations visitées car plusieurs d’entre elles ont des tuyauteries à matériaux multiples.
Les conduites en P.V.C. d’origine étrangère et notamment allemande sont également responsables de l’élévation de la teneur en plomb car elles contiennent un additif à base de ce métal. Seules les conduites en polyéthylène ne possèdent pas de plomb.
En plus des conduites, il faut prendre en compte les raccords et les robinets en laiton car celui-ci contient 5 % à 6 % de plomb. Des teneurs de plusieurs centaines de microgrammes de plomb ont été trouvées dans de l’eau prélevée immédiatement après l’ouverture du robinet alors que le réseau ne comprend pas de conduite en plomb. La teneur élevée résulte du temps de stagnation de l’eau dans le robinet.
L’importance de l’influence des nouveaux matériaux sur la concentration du plomb dans l’eau peut être démontrée grâce à une étude comparative entre un réseau fait de plomb et un autre fait de cuivre ou de P.V.C...
1 2- Etude de la commission "distribution de l’eau".
Cette étude a été menée de novembre 1993 à juillet 1995 pour permettre d’évaluer le risque plomb lié à la consommation d’eau potable en France.
Les mesures sont effectuées au moyen d’un robinet intégrateur. Il s’agit d’un dispositif fixé au robinet de la cuisine qui permet de prélever un volume d’eau proportionnel (environ 5 %) au volume d’eau utilisé pour l’alimentation.
230 sites représentants une bonne approximation de la situation française ont été étudiés. Sur ces sites, 184 présentent des tuyaux en plomb et 46 n’en présentent pas.
- La figure 1 regroupe les résultats pour les sites avec des tuyaux en plomb. On s’aperçoit que la limite de 50 µg/l n’est pas respectée dans 13 % des cas alors que ce seuil est celui fixé par la loi. De plus, les recommandations de l’O.M.S. ne pourront s’appliquer que dans 35 % des cas.
Figure 1: Répartition des concentrations moyennes en plomb dans l’eau des réseaux comportant des canalisations en plomb.
(J. Baron, 1996).
- Dans le cas de conduites ne contenant pas de plomb, la contamination de l’eau provient des matériaux qui ont remplacé le plomb massif (fig. 2). Le choix des matériaux de substitution posera un problème dans les prochaines années car la concentration de 10 µg/l est dépassé dans 20 % des cas. On remarque que la teneur en plomb ne dépasse jamais 50 µg/l, respectant ainsi la norme actuelle.
Figure 2: Répartition des concentrations en plomb sans présence de plomb dans le
réseau. (J. Baron, 1996)
- Lorsqu’on s’intéresse à la totalité des réseaux, le seuil des 10 µg/l de plomb est dépassé dans plus de 50 % des cas, alors que 76 % des installations respectent le seuil de 25 µg/l (fig. 3). Ces résultats confortent l’idée de la nécessité d’une étape transitoire avant d’atteindre les 10µg/l pour permettre l’étalement des travaux à effectuer.
Figure 3: Répartition des concentrations en plomb dans le réseau.
(J. Baron, 1996)
2- La corrosion.
2 1- La dissolution du plomb.
La corrosion du plomb résulte de l’apparition sur la surface métallique de zones anodiques et de zones cathodiques dues aux interfaces plomb/eau et plomb/autres métaux, formant ainsi des couples électrochimiques. De plus, les microcristaux de plomb présentent entre eux des différences portant sur l’espèce cristalline et la composition chimique qui provoquent l’apparition sur la paroi de zones de potentiels électrochimiques différents.
þ A l’anode: Le plomb en phase solide et à l’état d’oxydation zéro passe en phase liquide à l’état d’oxydation deux sous forme Pb2+. Le plomb tétravalent n’existe que dans des conditions extrêmement oxydantes qui ne sont pas rencontrées dans les eaux.
La réaction est Pb Õ Pb2+ + 2e-.
þ A la cathode: L’oxygène est réduit suivant la réaction 1/2 O2 + H2O + 2e- -----> 2OH-
Remarque: On considère seulement la réduction de l’oxygène car les potentiels d’électrode qui correspondent à la réduction de NO3-, NO2-, SO42- et H3O+ sont trop proches du potentiel anodique du plomb.
Nous avons donc la réaction de corrosion: Pb +1/2 O2 + H2O < ----- > Pb2+ + 2OH-
Les ions Pb2+ se combinent aussitôt avec les anions présents dans l’eau pour former des complexes moléculaires ou ioniques (fig. 4 et 5).
Figure 4: Complexes formés à partir du plomb et des éléments fondamentaux anioniques.
(Leroy, Legrand, 1995)
Remarque: Les éléments fondamentaux sont au nombre de six. On les rencontre en concentrations plus ou moins importantes dans toutes les eaux. Ce sont les molécules d’anhydride carbonique et d’acide carbonique généralement considérés indistinctement et appelés soit H2CO3 ou CO2 libre, les ions bicarbonates HCO3-, les ions carbonates CO32- et hydroxyde OH- et enfin les cations Ca2+ et H+.
Figure 5: Complexes formés à partir d’éléments caractéristiques anioniques.
(Leroy, Legrand, 1995)
Remarque: Les éléments caractéristiques sont tous les autres ions susceptibles d’être présents. Ce sont les cations magnésium Mg2+, sodium Na2+ et potassium K+ et les anions tels que les ions sulfate SO42-, les chlorures Cl- et les nitrates NO3-.
Comme le montre la figure 4, l’ion Pb2+ peut réagir avec les anions CO32- et OH-, contenus en concentrations importantes dans la couche limite en contact avec la paroi, pour former des composés susceptibles de précipiter.
Ces composés se déposent sur les parois et y adhèrent.
La solubilité de ces composés dépend du pH: S’il est inférieur à 6,5 les concentrations des ions CO32- et OH- au voisinage de la paroi ne sont pas suffisamment élevées pour que les complexes précipitent. Lorsque le pH augmente, il se forme d’abord le carbonate de plomb PbCO3, puis l’hydroxycarbonate de plomb Pb3(CO3)2(OH)2 et l’hydroxyde de plomb Pb(OH)2. L’hydroxycarbonate de plomb apparaît lorsque le pH se situe entre 7 et 10. Il est donc le plus souvent rencontré dans les eaux de distribution.
2 2- Les caractéristiques de la corrosion.
2 2 1- L’uniformité.
Lorsque le pH est trop faible pour qu’un dépôt puisse se former, la corrosion provient des microcouples qui se manifestent sur la paroi. Chaque microcristal cationique peut après dissolution d’un microcristal voisin, devenir anionique. Par conséquent, les zones de réduction et d’oxydation changent continuellement.
Lorsque le pH est suffisamment élevé pour qu’un dépôt se forme sur la paroi, la corrosion se manifeste également par des microcouples qui agissent sur la paroi car le dépôt est constamment renouvelé.
Dans les deux cas, la corrosion est uniforme.
De plus, les ions Pb2+ étant toxiques pour les bactéries, on ne trouve pas de prolifération bactérienne importante dans des canalisations contenant du plomb et donc il n’existe pas un surplus de consommation en oxygène.
2 2 2- La vitesse de corrosion.
Elle peut être mesurée à partir de l’écart des potentiels d’électrode de l’oxydation et de la réduction (annexe 2)
La vitesse de corrosion du plomb est plus faible que celle du fer car l’écart entre les potentiels d’électrode du plomb et de l’oxygène est plus réduit celui du fer et de l’oxygène.
2 2 3- Le plomb particulaire.
On le trouve sous forme de sels de plomb carbonates ou d’hydroxycarbonates. Il provient soit d’une vanne, d’un raccord, ou d’un élément de conduite raccordé au plomb par soudage soit des dépôts qu’une trop grande vitesse de soutirage a décroché de la paroi.
Ces conclusions sont obtenues à la suite d’étude menée par le Centre de Recherche et de Contrôle des Eaux de Paris (CRECEP):
- La canalisation utilisée pour cette étude ne contient pas de plomb, a une longueur de quatre mètres et est munie à son extrémité d’une vanne de laiton soudée au plomb.
- Le premier soutirage correspond à l’eau ayant stagné dans la partie de la conduite comportant la vanne de laiton. Le second soutirage correspond à l’eau ayant stagné le même temps dans une conduite uniquement faite en plomb (tab V).
Tableau V: Teneur en plomb particulaire.
(P. Leroy, 1994)
Débit l/h |
100 |
200 |
300 |
400 |
500 |
600 |
700 |
800 |
900 |
Plomb particulaire (µg/l) |
|||||||||
1er soutirage |
60 |
34 |
41 |
87 |
155 |
80 |
335 |
55 |
835 |
2nd soutirage |
10 |
3 |
1 |
6 |
57 |
32 |
35 |
10 |
0 |
2 3- L’influence des caractérisques de l’eau sur la corrosion.
L’importance de la dissolution du plomb des canalisations dépend des caractéristiques physico-chimiques de l’eau.
2 3 1- Notion d’équilibre calco-carbonique.
L’eau contient différents éléments tels que CO2, H2CO3 et quelques ions. Il existe des relations qui lient ces éléments entre eux. L’équilibre calco-carbonique est atteint lorsque tout le gaz carbonique est lié aux ions calcium et qu’il n’y a plus de CO2 libre.
Dans ce cas, le pH de l’eau est égal au pH de saturation définit par
pHs = pK’-pK’s -Log [Ca2+] - Log [CO32-]
Avec K’ = [H+][CO32-] / [HCO3-] et K’s = [Ca2+][CO23-]
Remarque: K’ et K’s sont des constantes dépendantes de la température.
Trois possibilités:
- pH = pHs. L’eau est indifférente au calcaire et dans ce cas, elle n’attaque pas les canalisations.
- pH < pHs. L’eau est dite agressive. La concentration de CO2 dissous est trop élevée, l’excès de gaz est appelé CO2 agressif et il dissout le carbonate de plomb.
- pH > pHs. L’eau a tendance à précipiter au contact des germes de CaCO3 et elle est dite incrustante.
2 3 2- Dureté et alcalinité de l’eau.
La dureté de l’eau est notée TH (Titre Hydrométrique). Elle est mesurée par la somme des concentrations de Ca2+ et de Mg2+.
Le titre alcalimétrique complet (TAC) est mesuré par la somme des concentrations des anions hydrogénocarbonates, carbonates et hydroxydes alcalins (Na) ou alcalino-terreux (Ca, Mg).
L’eau est dite bicarbonatée calcique lorsque la différence TH - TAC est positive. C’est le cas de l’eau d’Amiens.
Dans le cas du plomb, les eaux à risque sont:
- Les eaux douces à faible pH.
- Certaines eaux dures avec des pH souvent inférieurs à 7,5 et une teneur en bicarbonates trop élevée.
Plusieurs formules et graphiques permettent de définir le caractère agressif ou incrustant de l’eau. Ce sont des méthodes basées sur l’utilisation d’abaque comme Langellier, Tillmans, Hallopeau et Dubin. (Annexe 3)
2 4- Autres facteurs.
2 4 1 - La température.
La solubilité des carbonates de plomb dans l’eau augmente avec la température (fig. 6).
Figure 6: Influence de la température sur la concentration en plomb dans les canalisations.(P. Leroy, 1994)
Cette influence explique que la teneur en plomb dans l’eau de distribution due aux branchements demeure faible car la température de l’eau reste basse. Par contre, pour les réseaux intérieurs des immeubles et des appartements, la température influence de manière importante la concentration en plomb car l’eau se réchauffe pendant la stagnation. Ce phénomène s’accentue en présence d’une mauvaise isolation des conduites de chauffage dans les immeubles anciens ou lorsque ces canalisations passent à proximité des conduites de distribution d’eau.
Le pH, l’alcalinité, la température jouent un rôle prépondérant dans la solubilisation des sels de plomb mais ce n’est pas suffisant pour expliquer toutes les fluctuations des teneurs en plomb. Il faut prendre en compte l’utilisation du réseau et ses caractéristiques.
2 4 2- L’exploitation du réseau.
Une étude menée par différents distributeurs réalisée en 1993 permet de montrer l’influence du temps de stagnation sur la concentration.
Il s’agit d’un réseau expérimental réalisé avec des matériaux neufs qui se compose d’un circuit en plomb de 20 mm de diamètre et d’une longueur de 20 mètres.
L’eau est caractérisée par un pH compris entre 7,0 et 7,1, TAC égal à 2,5 F° et un TH de 11,5 F°.
Au cours des essais, 600 litres d’eau par jour du lundi au vendredi ont été utilisés:
- 100 l d’eau le matin vers 09h00 au débit de 1 000 l/h.
- 250 l après quatre heures de stagnation vers 13h30 au débit de 500 l/h.
- 250 l d’eau après deux heures de stagnation vers 16h00 au même débit de 500 l/h.
Au débit de 1000 l/h, quatre échantillons sont prélevés au temps t = 0, 2, 4, 6 minutes et trois échantillons pour le débit de 500 l/h au temps t = 0, 2, 10 minutes.
Les résultats sont regroupés dans le tableau VI.
Tableau VI : Caractéristiques des concentrations en plomb total après différents temps de stagnation et d’écoulement.
(R. Seux, M. Clément, 1994)
Durée de stagnation |
2 |
4 |
17 |
Moy.hebdo µg/l |
Moy.hebdo µg/l |
Moy.hebdo µg/l |
|
Temps écoulé avant prélèvement (minutes) |
|||
0 |
580 |
730 |
1842 |
2 |
36 |
71 |
87 |
4 |
_ |
_ |
45 |
6 |
_ |
_ |
15 |
10 |
19 |
16 |
_ |
Pour un même débit de 500 l/h, on constate que la concentration s’élève rapidement avec le temps de stagnation: 580 µg/l après un temps de stagnation de deux heures et 730 µg/l pour un temps deux fois plus long.
La même étude effectuée avec de l’eau de caractéristiques différentes ( pH compris entre 8,1 et 8,2, TAC = 4,2 F° et TH =13,5) obtient les mêmes conclusions: après deux heures de stagnation, la concentration de plomb dans l’eau est égale à 60 µg/l et pour quatre heures de stagnation, la nouvelle concentration est alors de 84 µg/l.
Une troisième étude effectuée dans les mêmes conditions mais avec cette fois-ci un circuit en cuivre contenant dix soudures au plomb, de dimensions identiques au précédent. L’eau utilisée est de l’eau neutralisée. Pour le débit de 500 l/h, la concentration après deux de stagnation est 19 µg/l et après un temps de quatre heures, elle passe à 46 µg/l.
Ces trois expériences montrent bien l’influence du temps de séjour de l’eau dansles canalisations sur la concentration du plomb pour différents types d’eau et des matériaux de nature différente.
Le type d’habitation a aussi son importance. Il est évident que la stagnation est beaucoup plus fréquente dans les tuyauteries d’un réseau privé aboutissant à un seul puisage que celui desservant la totalité des demandes d’un immeuble.
2 4 3- Les mesures de la canalisation.
En 1985 l’américain Wagner a montré que la longueur et le diamètre d’une canalisation en plomb ont une influence sur la concentration en plomb dissous dans l’eau.
Après stagnation de l’eau, il a remarqué que les concentrations les plus fortes se trouvent à la sortie des canalisations de plus faible diamètre.
De même, pour un diamètre donné, les concentrations en plomb dissous sont plus élevées pour les canalisations les plus longues.
2 4 4- L’âge du réseau.
Plus le réseau est ancien, moins il y a de relargage de plomb.
2 4 5- Les polyphosphates.
Le réseau de distribution est composé de plusieurs centaines de conduites et de branchements. Toutes ces canalisations ne sont pas faites avec les mêmes matériaux et cela pose un problème dans le choix des produits comme par exemple les polyphasphates utilisés pour limiter la corrosion des conduites en fonte ou en acier, mais qui, lorsqu’ils pénètrent dans une canalisation en plomb, augmente la concentration des ions Pb2+ en formant un complexe soluble.
3- Les problèmes liés à l’échantillonnage.
Nous avons vu que la concentration en plomb au robinet de l’utilisateur dépend de nombreux facteurs comme la nature des installations, les caractéristiques de l’eau et de l’utilisation du réseau qui diffère avec chaque utilisateur. Il est donc difficile d’évaluer le risque lié à l’exposition hydrique pour chacun.
Pour veiller à l’application des recommandations de l’O.M.S., il est nécessaire de mettre en place une nouvelle méthode pour la mesure du plomb au robinet de l’utilisateur.
3 1- Les méthodes actuelles d’échantillonnage.
Il existe de nombreuses méthodes de prélèvement mais peu sont capables d’amener un échantillon représentatif.
® Le prélèvement aléatoire.
Le site est choisi au hasard sans avoir étudié la nature des canalisations. Il faut prélever un volume donné avec ou sans purge préalable.
Les résultats de cette méthode d’échantillonnage doivent être interprétés en termes statistiques car ils sont d’une grande variabilité (ils peuvent varier dans un rapport de un à dix pour un même point de prélèvement à différents moments de la journée). L’interprétation des résultats donne un ordre de grandeur du niveau moyen d’exposition au plomb pour une zone géographique précise.
® L’échantillonnage en eau courante ou deuxième jet.
Avant le prélèvement, il est nécessaire de purger le réseau intérieur en laissant écouler un volume d’eau deux à trois fois supérieur à celui du réseau.
Avec cette méthode, on mesure la concentration minimale en plomb pour un point précis du réseau.
® L’échantillonnage au premier jet.
C’est la méthode inverse. Grâce à la stagnation nocturne et à un prélèvement sans purge préalable, on mesure la concentration maximale du plomb au robinet.
® Le prélèvement après stagnation contrôlée.
La stagnation correspond à une durée moyenne entre deux soutirages. De plus, on effectue une purge partielle du réseau avant de faire le prélèvement afin d’obtenir un échantillon d’eau ayant stagné uniquement au contact des conduites.
® Le robinet intégrateur.
Ce dispositif permet de prélever 5 % du volume d’eau utilisé par l’utilisateur pour son alimentation pendant une semaine. C’est la seule méthode qui permette d’avoir un échantillon représentatif de l’eau consommée mais elle nécessite une coopération de l’usager qui doit fermer le système lorsque l’eau soutirée n’est pas destinée à l’alimentation.
3 2- Nouvelle méthode.
Le prélèvement proportionnel étant contraignant pour l’utilisateur et pas toujours contrôlable, le groupe de travail échantillonnage de l’Association Générale des Hygiénistes et Techniciens Municipaux (A.G.H.T.M.) a mis en place une méthode plus rapide pour évaluer le risque d’exposition au plomb. L’objectif de cette méthode est d’estimer si la concentration moyenne hebdomadaire en plomb dépasse ou non le seuil de 25 µg/l lorsqu'une mesure effectuée par le prélèvement en eau courante excède 10 µg/l. Cela suppose une connaissance de la nature du branchement et des canalisations intérieures pour chaque abonné. C’est donc un outil statistique.
Suivant que le deuxième dépasse ou non le seuil de 10 µg/l et la concentration moyenne de 25 µg/l, il existe quatre cas possibles (tab VII).
Tableau VII: Critère de classement.
(J. Baron, 1995)
Catégorie |
Concentration |
Concentration |
Diagnostic |
1 |
inférieure à 10 |
inférieure à 25 |
prédiction correcte |
2 |
inférieure à 10 |
supérieure à 25 |
cas critique non détecté |
3 |
supérieure à 10 |
inférieure à 25 |
fausse alerte |
4 |
supérieure à 10 |
supérieure à 25 |
cas critique détecté |
La qualité de prédiction dépend surtout de la fréquence du cas n°2.
La répartition des valeurs dans chaque catégorie varie selon que les sites présentent ou non des éléments de tuyaux en plomb.
205 valeurs ont été étudiées et on a supposé que la moitié des logements contient des tuyaux en plomb. Les résultats sont les suivants (tab VIII)
Tableau VIII: Résultats des essais.
(J. Baron, 1995)
Parmi les cas |
Parmi les cas |
95,6% de bonnes |
46,1% de fausses |
prédictions |
alertes |
4,4% de cas critiques |
53,9% de cas critiques |
non détectés |
détectés |
Le faible pourcentage des cas critiques non détectés montre que cette méthode est satisfaisante et qu’elle peut être proposée à l’exploitant pour gérer la conformité de son unité de d’exploitation au seuil de 25 µg/l. Par contre, cette méthode ne sera pas convaincante lorsque la limite réglementaire passera à 10 µg/l.
La loi ne dit rien au sujet du lieu de prélèvement. Doit-il être effectué au niveau du compteur, là où s’arrête la responsabilité des distributeurs d’eau ou au robinet de l’abonné qui devra donner son autorisation?
(*) extrait de:
DESNOUS S. (1998) - Le plomb dans les réseaux de distribution d'eau potable. Mem. DUESS, DEP, univ. Picardie, Amiens, 52 p .
mise en forme:
Jacques.beauchamp@sc.u-picardie.fr
Therese.Roussel@u-picardie.fr