SEDIMENTOLOGIE/Jacques Beauchamp
Chapitre 9
TALUS ET BASSIN OCEANIQUE
1. LE TALUS ET LE GLACIS
1.1 Structure
Le talus borde l'extrémitée distale de la plate-forme. Il est généralement entaillé par des canyons sous-marins par où transitent les matériaux qui sont épandus sur le glacis et la plaine abyssale.
Figure 9-1: Morphologie d'une marge continentale passive.
1.2 Transport des matériaux
Les matériaux proviennent de la plate-forme: les
détritiques
issus du continent ou les carbonates de la production biologique s'y
accumulent
; tout déséquilibre déclenche un
déplacement gravitaire
vers le glacis. Les mouvements gravitaires sont de plusieurs types.
* Eboulement de blocs et panneaux (éboulis sous-marins);
fréquemment
observés sur les pentes récifales. Les
éléments
se retrouvent dispersés dans les sédiments profonds; on
les
appelle olistolites quand ils sont petits, klippes sédimentaires
quand
ils sont grands (centaines de mètres).
* Glissement en masse de sédiments en voie de
lithification,
souvent à la faveur de failles listriques; l'ensemble reste
cohérent
mais se déforme en produisant des convolutes (ondulations
décimétriques)
ou des slumps (plis métriques).
* Coulées de débris: écoulement de blocs
portés
par une matrice abondante; produit un dépôt en vrac comme
dans
les coulées de débris continentales.
* Courant de turbidité: nuage d'eau chargée de
matériaux
de la taille des graviers, sables et argiles.
Ces déplacement de matériaux produisent une
érosion
plus ou moins notable du talus.
1.3 Courants de turbidité
La majeure partie des matériaux est transportée par ce mécanisme. Les courants se déplace grande vitesse, plusieurs dizaine de km/h et parcourent plusieurs dizaines de km. Ils produisent une érosion par aspiration à l'avant puis un dépôt après leur passage. Les plus gros éléments sont déplacés sur le fond par traction, les autres particules restent en suspension.
Figure 9-2: Déplacement d'un courant de turbidité.
1.4 Cône sous-marin profond
Les matériaux transportés par courant de turbidité s'accumulent en bas du talus pour former un éventail sous-marin nommé encore cône bathyal ("deep sea fan"). Les courants suivent des chenaux, les dépôts forment des lobes. Les éléments grossiers se déposent en amont, dans la partie proximales du cône, lesparticulent fines en aval, dans la partie distale.
Figure 9-3: Structure d'un cône sous-marin profond.
1.5 Séquence turbiditique
Les sédiments déposés par un courant de turbidité, ou turbidites, se déposent en fonction de la diminution de vitesse de l'eau en une suite d'intervalles formant la séquence de Bouma. A la base se trouvent les éléments grossiers (graviers, fragments d'argile prélevés au sommet de la séquence précédente); au sommet se décantent les particules fines. La séquence complète comprend 5 intervalles; elle se dépose au niveau des lobes du cônes.
Figure 9-4: Séquence de Bouma.
1.6 Faciès turbiditiques
L'organisation de la séquence turbiditique change en fonction de sa position dans le cône sous-marin et donc de la vitesse du courant. Dans la partie amont, les faciès "A" sont ceux de coulées de débris, les faciès "B" trés riches en sable ressemblent à ceux des courants de traction, les faciès "C" sont les turbidites classiques à séquence de Bouma complète, de type a-b-c-d-e, les faciès "D" riches en particules fines présentent des séquences de Bouma tronquées à la base, de type b-c-d-e, c-d-e ou d-e.
Figure 9-5: Répartition des faciès turbiditiques d'amont en aval d'un cône, d'après la nomenclature de Mutti et Ricci-Lucchi.
Dans la frange du cône, les sédiments sont fins; ils sont souvent remaniés par des courants profonds suivant les contours des continents et appelés pour cela "courants de contours"; les sédiments remaniés présentent des rides de courants; ils constituent des contourites.
1.7 Turbidites anciennes
Les turbidites se déposent actuellement au pied de toutes les marges continentales; elles ont pu être bien étudiées par sondage sismique, sonar et carottage. Les cônes sous-marins de la côte californienne ont servi de modèle. Elles sont abondantes car elles représentent tous les sédiments détritiques issus du continent qui n'ont pu s'accumuler et demeurer sur la plate-forme. L'accumulation de turbidites est particulièrement
importante
dans les zones orogéniques. Les montagnes plissées sont
constituées
en partie de séries turbiditiques de plusieurs milliers de
mètres
d'épaisseur. On emploie souvent le terme de "flysch". Ce terme
a une double signification: De plus, certains auteurs estiment que ce terme ne doit
être
employé que pour le domaine alpin, lieu où il a
été
créé au siècle dernier. En employant le terme dans
son acception la plus large, on connaît du flysch depuis le
Précambrien.
Citons les flysch alpins principalement d'âge
mésozoïque; les Grès d'Annot comportent des
turbidites proximales, le flysch
à Helminthoïdes correspond à des faciès
distaux.
Le "wildflysch" est un faciès désorganisé à
blocs mise en place sur les marges instables des zones
orogéniques.
Les flyschs pyrénéens sont principalement
déposés au cours du Crétacé
supérieur dans un bassin en
compression. La chaine hercynienne comprend également des séries turbiditiques: citons les flyschs carbonifères de la Montagne Noire et des Pyrénées. |
Figure 9-6: Exemple de série turbiditique ancienne (Carbonifère inférieur de la chaine hercynienne); les faciès turbiditiques sont subdivisés en C1, D2... Le faciès F désigne des zones désorganisées.
2. LA PLAINE ABYSSALE
2.1 Caractères de la sédimentation pélagique
Les grands fonds océaniques ne reçoivent
guère
que des particules détritiques fines et des squelettes de
microorganismes
planctoniques. Le taux de sédimentation y est trés
faible, de
l'ordre de 1 cm pour 1000 ans. Les sédiments pélagiques
forment
une mince pellicule recouvrant la croûte océanique. Sur
les
bordures proches du continent des bouffées de courants de
turbidité
arrivent sporadiquement qui déposent des sédiments plus
grossiers.
Les particules terrigènes sont principalement des argiles
d'origine
continentale apportées en suspension par les courants
océaniques
et des poussières transportées par les vents qui
proviennent
de l'érosion continentale ou de l'activité volcanique.
Dans
les hautes latitudes s'ajoutent les matériaux glaciaires
apportés
par les glaces flottantes et les vents.
Les éléments planctoniques sont essentiellement des
débris
carbonatés et siliceux. La nature du sédiment
accumulé
sur le fond dépend de la nature et de l'abondance du plancton,
de la
température et de la profondeur de l'eau qui agissent sur la
dissolution
de la calcite et de la silice.
Figure 9-7: Répartition actuelle des sédiments
océaniques
carbonatés.
Figure 9-8: Courbes de dissolution des tests siliceux (Radiolaires) et calcaires (Foraminifères et Coccolithes) en fonction de la profondeur.
2.2 Les boues calcaires
La dissolution du calcaire augmente avec la profondeur: ce phénomène est dû à la teneur en CO2 qui est grande à basse température et sous pression. Au delà d'une certaine profondeur, tous les débris carbonatés sont dissous et le sédiment ne contient pas de carbonates: cette limite est la profondeur de compensation des carbonates ou CCD (Carbonate Compensation Depth). Cette limite est située vers -5000 m dans l'Atlantique. Elle est moins profonde dans les hautes latitudes où l'eau est plus froides.
Figure 9-9: Variation de la profondeur de compensation des carbonates, exprimée en km, dans le Pacifique.
Les boues calcaires se déposent sur les fonds au-dessus
de
la CCD qui ne reçoivent pas d'apports terrigènes
importants.
Selon la nature des organismes, on distingue:
* les boues à Foraminifères, abondantes dans
l'Atlantique;
* les boues à coccolites, petites plaques de
Coccolithophoridés
d'une dizaine de microns, plus petites donc plus solubles que les tests
de
Foraminifères;
* les boues à Ptéropodes, coquilles trés
fines
de mollusques pélagiques, trés facilement dissoutes
(elles
ne déposent pas au delà de -2000m).
2.3 Les boues siliceuses
La dissolution des tests siliceux est grande dans les eaux
superficielles
sous-saturées en silice. Elle diminue en profondeur sous l'effet
de
la pression et de la basse température. A grandes profondeurs,
au dessous
de la CCD, la sédimentation siliceuse domine à condition
que
la production de silice par le plancton ait été
suffisamment
importante en surface. On distingue:
* les boues à Diatomées abondantes dans les mers
froides;
* les boues à Radiolaires bien représentées
dans
la zone équatoriale des océans Pacifique et Indien.
2.4 Les boues argileuses et organiques
Les boues argileuses sont abondantes dans le Pacifiques; les
minéraux
argileux proviennent de l'érosion continentale. En revanche,
l'argile
rouge des grands fonds, riche en fer et en manganèse, contient
de nombreux
minéraux néoformés. Elles peuvent être
associées
à des nodules polymétalliques. Les
phénomènes
hydrothermaux, nombreux à proximité des rides
médio-océaniques
et des points chauds, fournissent de nombreux éléments
chimiques
sous forme de sulfures et d'oxydes.
Des vases riches en matière organique s'accumulent dans
les bassins
anoxiques. La matière organique est un sapropèle issu de
la
décomposition des constituants organiques du plancton. Ces vases
donnent
après diagénèse des black shales. La Mer Noire
constitue
un exemple actuel de bassin marin anoxique.
2.5 Les sédiments pélagiques anciens
Les formations pélagiques sont peu répandues
dans les
séries géologiques. En effet, les sédiments sont
peu
épais, ils restent au fond de l'océan et sont souvent
absorbés
dans les zones de subduction. La convergence des plaques dans
l'orogénèse
les remonte sur le continent: ils affleurent surtout dans l'axe des
chaines
de collision, où ils sont associés aux ophiolites, mais
sont
souvent trés déformés et
métamorphisés.
Dans les Alpes, les schistes lustrés du domaine
piémontais
représentent les sédiments pélagiques de la
Téthys
ligure. Dans la chaine hercynienne, on connait des radiolarites qui
sont
d'anciennes boues à radiolaires.
Dans l'Atlantique sud, les sédiments du
Crétacé
inférieur, connus par sondage profond, sont des black shales. A
cette
époque l'Atlantique sud était un bassin anoxique.
Jacques Beauchamp