LE RECUL DES FALAISES CRAYEUSES DE

MERS-LES-BAINS A ONIVAL

Les falaises crayeuses de Haute Normandie se poursuivent au delà de l’embouchure de la Bresle de Mers-les-bains jusqu’à Ault et Onival. La hauteur de la falaise atteint 80 m entre Mers et Ault, elle est de 38 m à Ault. A son pied s'étend une étroite plage de galets et de sable qui se poursuit vers le large par un platier crayeux découvert à marée basse et large de 300 à 400 m. Le bourg d'Ault est bâti au bord de la falaise crayeuse qui s'ennoie plus au Nord.

A Onival part un cordon de galet qui se dirige vers le Nord tandis que la falaise continue vers l'intérieur des terres en une falaise morte qui s'abaisse progressivement et forme la limite orientale des Bas-Champs (Figure 3). La plage était plus vaste au début du siècle, des hôtels et des villégiatures étaient édifiées en bordure. Elle est formée de galets de silex et de sable composé de grains de quartz d'origine marine, de débris de silex et de coquilles. L'estran rocheux qui lui fait suite est une plate-forme d'érosion marine faiblement pentée vers le large (0,5 à 1%) et montre des formes d'érosion karstique soulignant les diaclases.

L'érosion rapide de la falaise est conditionnée par la conjonction des agents météoriques et hydrodynamiques. Les vents sont de secteur ouest à sud-ouest dominant (Figure 5).

La moyenne annuelle des précipitations est de 800 mm environ et l'on compte jusqu'à 60 jours de gel. L'onde de marée vient de l'ouest et le marnage est important: la pleine mer atteint la cote IGN69 6,15 m au Hourdel en vive eau; dans ces conditions le marnage est de 9,1 m à Cayeux (d’après les données du SHOM). Les vagues ont une amplitude généralement inférieur au mètre et la périodes de la houle est courte (moins de 10 secondes); les hauteurs supérieures à 5 m sont exceptionnelles. Leurs directions de provenance sont en majorité de l’WSW et de l’Ouest; les fronts d'onde obliques au littoral engendrent une dérive littorale dont la direction prédominante est vers le Nord (Figure 6 et 7) .

La craie de la falaise est datée du Coniacien tandis que celle de la plate-forme d'abrasion est du Turonien supérieur. C'est ici une craie friable et gélive, finement diaclasée à la partie supérieure. Les nombreuses diaclases sont les témoins d'une néotectonique qui a interféré en particulier sur l'épaisseur du remplissage sédimentaire des Bas Champs (Binet, 1994). Les silex sont disposés en rognons alignés dans les bancs, en plaques horizontales dans les joints de stratification et en plaques sécantes en remplissage de diaclases.

L'érosion est facilitée par les hétérogénéités de la falaise: diaclases, stratification, poches de dissolution. L'infiltration des eaux météoriques dans les diaclases produit leur élargissement et l'accumulation localisée d'argile rouge à silex qui peut ruisseler à la surface de la falaise. A ce phénomène de dissolution karstique s'ajoute celui de la gélifraction de la craie (cryoclastie) en surface et la corrosion chimique des embruns (dissolution et haloclastie). La base de la falaise et le platier subissent en outre l'action dissolvante de l'eau de mer et les perforations de certains animaux; le choc des vagues produit une surpression et une aspiration dans les diaclases et un mitraillage avec les galets. La destruction se fait par effritement lent ou écroulement massif. L'accumulation des débris au pied de la falaise la protège momentanément (« falaise stabilisée »).


Figure 5a: Fréquence des vents à la station météorologique d’Abbeville (période de 1949 à 1992; document Météo France). Wind regime at the weather station of Abbeville (1949-1992




Figure 5b : teneur en Ca++ de l'eau de mer (mg/l).

         
 La quantité de silex contenu dans les falaises a fait l'objet de nombreuses évaluations. Les falaises normandes contiennent 2 à 5 % de silex , les falaises picardes en renferment 5 à 10 % . La vitesse du recul des falaises a également été diversement quantifié; les valeurs proposées varient de 0,26 à 0,70 m/an de 1835 à 1935 et de 0,25 à 0,30 m/an pour les années récentes (Dolique, 1991). Entre Mers et Ault, la falaise crayeuse s'alonge sur 6 Km pour une hauteur moyenne de 50 m. En prenant comme vitesse moyenne de recul 0,30 m/an, évaluation la plus récente, c'est un volume annuel total de 90 000 m3 de craie, correspondant à 200 000 tonnes, qui est érodée, soit environ 4 500 m3 de silex (environ 7 300 tonnes); cependant la SOGREAH en 1994 propose une évaluation plus faible, 2 800 m3. A ces silex picards s'ajoutent ceux provenant du recul des falaises normandes dont la quantité est considérable, au vu de la longueur du trait de côte, mais dont le transit sous forme de galets atteint peu la côte picarde: beaucoup sont arrêtés par la jetée du Tréport et exploités. La masse totale libérée par les falaises et transitant effectivement au droit d'Ault devrait être donc supérieure aux estimations précédentes. La craie est dispersée dans l'eau de mer puis elle est dissoute. L'eau enrichie en carbonate de calcium prend une teinte laiteuse ("côte d'opale"). Les silex roulés par les vagues sont usés et forment des galets arrondis et une partie du sable. Les matériaux transitent statistiquement vers le Nord.

L’impact de l’érosion de la falaise est critique dans le secteur urbanisé d’Ault-Onival. L’historique en a été fait notamment par R. Regrain (1992a). Le recul de la falaise a détruit progressivement le bourg et contraint les habitants à chercher à en retarder la destruction et à en déplacer constamment l'implantation. La lutte contre le recul de la falaise a consisté d’abord à protéger la base de la falaise de l'action de la mer. Les perrés et digues parallèles au rivage ont eu une durée de vie limitée et un résultat nul. On a songé ensuite à retenir les galets au pied de la falaise en ralentissant leur transit. Plusieurs séries d'épis perpendiculaires au rivage ont été édifiés à partir du siècle dernier, en pieux de bois puis en palplanches et béton. L'efficacité de ces ouvrages s'est avérée assez faible et la vitesse de destruction de la falaise n'a pas été notablement diminuée, bien au contraire, puisqu'entre 1974 et 1978 un recul de 1 m/an a été mesuré (Dolique, 1991; Regrain, 1992a).

Figure 6: Fronts et orthogonales de houle sur la côte picarde (d’après document SOGREAH). Wave directions along the Picardie coast.

Figure 7: Provenance et hauteur de la houle au large (période d’observation: 1961 à 1993; d’après documents SOGREAH). Wave provenance in open sea (1961-1993) off Picardie coast.

La situation devenant préoccupante, de grands travaux furent entrepris en 1981 pour chercher à stopper "définitivement" le recul. Un remblaiement recouvert par des enrochements a été mis en place en avant de la falaise (Figure 8). De plus des travaux de drainage ont permis de canaliser les eaux météoriques d'infiltration tandis que la bordure supérieure de la falaise était protégée par une dalle de béton ("casquette"). Plus de 36 millions de francs ont été investis pour protéger moins de 1 km de falaise.


Figure 8a: Travaux de protection de la falaise entre Ault et Onival (document D.D.E.). Protection of chalk cliff between Ault and Onival (works completed in 1986).

Depuis 1986, date de la fin des aménagement, la falaise était considérée comme stabilisée à Ault jusqu’à ce que la digue de protection de la plage montrât de nouveau des amorces de destruction tandis que la falaise menaçait de s’ébouler. Une inspection rapide des ouvrages 20 ans après leur complétion  montre la fréquence des dégradations. Un nouveau programme de travaux devait être entrepris pour assurer la stabilisation et la restauration de la plage et pour continuer les ouvrages de protection de la falaise jusqu’à Onival (rapport D.D.E., 1995). En fait, seules des réparations d'urgence ont été effectuées. La falaise continue à reculer en revanche au Sud, entre Mers-les-Bains et Ault, en entraînant chaque année la perte d’une frange de patures, sans qu’il soit économiquement possible d’y remédier à moins de rétablir la circulation des galets provenant des falaises normandes.


Figure 8b: Proposition d'aménagement du secteur d'Ault (SOGREAH, 1999). Proposition of Ault cliff  management according to SOGREAH (1999).

L’accumulation des galets aux pieds des falaises joue un rôle protecteur: encore faut’il que le transit soit suffisant pour entretenir l’accumulation. L’aménagement du littoral haut normand et l’exploitation des galets comme matériaux n’ont fait que contrarier la production, l’accumulation et le cheminement des galets (Legras, 1996). Dans le cadre du Contrat de Plan Interrégional du Bassin Parisien, un projet de collaboration a été établi pour aboutir à une gestion global du littoral de la Baie de Seine à la Baie de Somme. Il a été envisagé de revenir à la situation « naturelle », c’est à dire au retour à un stock et un transit de galets tels qu’ils existaient avant l’intervention humaine. Cette solution impliquerait (1) un rechargement massif en galets sur les côtes de Haute Normandie (2,4 millions de m3!), (2) le contournement des grands ouvrages portuaires qui bloquent le transit (jetée de Dieppe, du Tréport...), (3) la remise en cause des systèmes de défense des points de fixation du littoral. Il reste à démontrer qu’en situation dite naturelle le bilan de galets est équilibré, c’est à dire que l’érosion des falaises en produit une quantité suffisante. Or il est possible qu’il ait eu jadis des stocks de galets fossiles remis en mouvement et que le volume de galets en transit ait été ainsi supérieur à celle fournie par le recul des falaises. Le contexte actuel d’élévation du niveau de la mer a placé ces stocks trop loin du rivage pour pouvoir être remobilisés.

Figure 9a: Stock de galets au pied des falaises normandes et picardes (d’après L.C.H.F. in Legras, 1996 et D.D.E., 1995). Pebble stocks at the foot of chalk cliffs.

En vue d’étudier la faisabilité du rétablissement du transit côtier, un Groupe Technique « Galets » a été constitué dans les années 1990. Ses dernières réunions au Conseil Régional de Picardie ont abouti à formuler quelques propositions en phase avec les interventions urgentes à réaliser, en particulier sur la plage de Mers-les-bains en situation d’érosion. Une expérimentation en grandeur nature du franchissement des ouvrages de la plage de Dieppe par transport des galets, si possible par voie marine, a été proposée; cette opération de « by-pass » d’un ouvrage bloquant pouvant être ensuite appliquée à d’autres sites de la côte normande si les résultats se révèlent positifs, en particulier le rechargement de la plage de Mers-les-bains avec des galets provenant des gisements marins au large de Dieppe en excluant le recours à la voie terrestre. Mais les difficultés présentées par le transport par voie marine et le déchargement sur la côte n'ont pu être surmontés;  le rechargement en galets de la plage de Mers comme celui du cordon de galet des Bas Champs sera donc fait par voie terrestre (voir ci-après).

Figure 9b: Proposition de défense des sites critiques contre l’érosion marine (rapport du Groupe de Travail Technique Galets, 1996). Proposition of coastal defence. 
La plage de Mers-Le Tréport a été depuis lors protégée par des enrochements.

 
 
 

PLANCHE PHOTOGRAPHIQUE