Chapitre 8
1. CARACTERES GENERAUX
Les sédiments littoraux des régions de basses latitudes sont à dominance carbonatée. La raison en est le faible apport silico-clastique venant du continent, dû aux conditions topo-graphiques et climatiques, et surtout l'intensité de la production de carbonates d'origine biologique. Sous ces latitudes, les organismes marins côtiers prolifèrent et précipitent l'ion calcium prélevé de l'eau de mer sous forme de carbonate qui s'accumule puisque moins soluble dans les eaux chaudes. Le bilan du calcium en solution dans l'eau de mer reste plus ou moins équilibré : les fleuves apportent des ions calcium issus de l'altération continentale, une partie des carbonates marins est dissoute en eau froide.
La précipitation biologique de carbonate de calcium se
fait
de diverses façons.
* Des animaux fixés fixent le calcium dans leur squelette
et
édifient des constructions carbonatées
(bioconstructions): c'est
le cas des coraux (coelentérés), des bryozoaires, de
certaines
éponges.
* des animaux benthiques fabriquent des coquilles ou tests
calcaires
qui sont transportés, brisés et accumulés
après
leur mort, par exemple: mollusques littoraux (gastéropodes,
bivalves),
oursins, foraminifères benthiques.
* des micro-organismes et organismes planctoniques accumulent le
carbonate
de calcium dans leur test ou leur coquille qui tombent sur le fond
après
la mort: exemple des foraminifères planctoniques, des
coccolithophoridés
(à l'origine de la craie), des ptéropodes
(gastéropodes
pélagiques). Leur contribution
devient prépondérante en haute mer.
* des algues et des cyanobactéries (ou "algues bleues")
précipitent
le carbonate autour de leur thalle et agglomèrent les particules
calcaires
par des mucilages pour former des constructions appelées
stromatolites.
Il existe également une précipitation purement chimique du carbonate autour de particules en suspension, quoique l'intervention de micro-organismes ne peut pas être exclue (formation des oolites).
Enfin, les sédiments carbonatés peuvent provenir du remaniement par les vagues de roches calcaires pré-existantes: sur les côtes atlantiques marocaines, les conditions actuelles sont plutôt favorables à la sédimentation silico-clastiques mais les vagues remanient des dépôts quaternaires carbonatés et les mélangent aux éléments détritiques siliceux: les sédiments sont de composition mixte.
Les sédiments calcaires littoraux comprennent donc des constructions autochtones massives (récifs) ou réduites (stromatolites), des accumulations d'éléments brisés provenant de restes d'organismes ou de roches calcaires érodées, des vases calcaires formées des particules fines d'origine détritique,chimique ou biochimique, des précipitations carbonatées localisées autour de particules quelconques (oolites).
Le carbonate de calcium est sous forme d'aragonite, de
calcite, de
calcite magnésienne (contenant une quantité variable de
MgCO3)
et de dolomite (Ca,Mg) CO3.
2. ZONATION DU LITTORAL ET SEDIMENTATION
2.1 Disposition générale
La plate-forme littorale est généralement coupée par une barrière parallèle à la côte qui isole une plate-forme interne protégée d'une plate-forme externe soumise à l'action des vagues. Comme sur les plages à sédimentation silico-clastique, le balancement des marées détermine les zones supra-, inter- et sub-tidales.
La distance de la barrière à la ligne de
côte
est trés variable; lorsqu'elle est adossée au rivage,
elle constitue
les récifs frangeants. Les exemples actuels sont pris dans les
iles
Bahamas, le Golfe du Mexique, la "Grande Barrière" australienne,
le
Golfe Persique.
Le cas des atolls du Pacifique est particulier; la
barrière de
récif ceinture l'île et isole une plate-forme interne
annulaire;
si l'île s'enfonce, ou le niveau général de la mer
monte,
la barrière isole un lagon circulaire.
Figure 8-2: Formation d'un atoll. (A) cas actuel de l'île d'Uvea ; (B) cas de l'île de Tongareva (Polynésie).
2.2 La plate-forme interne
L'hydrodynamisme est faible, il augmente à marée haute, quand les vagues franchissent la barrière, et en face des passes. La zone intertidale correspond à un niveau d'énergie moyen à faible. Sur la plage s'accumulent un sable bioclastique, formé de débris de squelettes et coquilles calcaires. Des débris moyens à grossiers et des oolites se déposent dans les chenaux de marées. Dans la partie supérieure de la zone intertidale peuvent se développer des encroûtements ou des constructions algaires (stromatolites). Dans certaines régions prolifère la mangrove, végétation particulière faite de végétaux supérieurs adapté à l'eau salée dont les palétuviers sont les plus représentatifs. La zone supratidale peut inclure des dunes éoliennes, des marécages et lagunes à tendance évaporitique (sebkha littorale). La zone subtidale est un milieu trés calme de décantation; il s'y dépose une vase calcaire.
2.3 La barrière
La barrière est généralement construite
par
les coraux; elle est recouverte à marée haute mais
partiellement
émergée à marée basse; elle est localement
interrompue
par des passes qui mettent en communication la plate-forme interne avec
le
large et qui permettent la navigation. Le récif corallien
représente
une bioconstruction complexe dont la charpente est constituée
par
les coraux eux-mêmes (de nos jours des Hexacoralliaires) auxquels
s'adjoignent
des éponges, des bryozoaires, des algues encroûtantes,
d'autres
coelentérés...Il s'installe généralement
sur
un support solide, dans des eaux chaudes, agitées, limpides et
de
faible profondeur: la lumière est indispensable à la
photosynthèse
des algues symbiotiques que renferment les polypes. Des eaux turbides
empêchent
le développement des coraux: la grande barrière
australienne
est interrompue aux embouchures des fleuves côtiers.
Un trés grand nombre d'espèces vivent dans le
biotope
particulier que constitue le récif: mollusques,
échinodermes,
poissons...(biocénose corallienne). La face externe de la
barrière,
du coté de la haute mer, est détruite par l'action des
vagues;
les éléments fins sont mis en suspension, des blocs
s'éboulent
sur le pente du récif. Le récif compense cette
destruction par
une croissance orientée par rapport à la direction du
vent dominant
qui génère les vagues. Du coté interne, l'action
destructrice
des organismes perforants ou brouteurs de récifs produit des
particules
fines qui se décantent dans le lagon.
Sur les côtes des pays tempérés existent
quelques
bioconstructions d'ampleur beaucoup plus limitée mais qui
peuvent
s'opposer à l'énergie des vagues et favoriser la
sédimentation:
c'est le cas de certaines algues incrustantes qui édifient des
trottoirs
et des platiers en Méditerranée, des récifs
d'hermelles
(annélides coloniaux fixées) dans la Baie du Mont Saint
Michel.
2.4 La plate-forme externe
L'énergie sur le fond est moyenne dans la zone d'action
des
vagues. A partir d'une certaine profondeur, une cinquantaine de
mètres,
l'hydrodynamisme est trés faible. Les sédiments se
déposent
en fonction de ce gradient d'énergie: éléments
grossiers
à proximité de la barrière, boue calcaire ou
argilo-carbonatée
au large. La faune comprend des espèces benthiques et
pélagiques
de haute mer. Lorsque la production et l'apport de carbonates sont
importants,
la plate-forme s'étend vers le large et prograde dans le bassin
marin.
La majeure partie des roches carbonatées des séries géologiques provient de la lithification de sédiments carbonatés littoraux.
3.1 Lithification du sédiment
La diagénèse des sédiment carbonaté commence trés précocement. Elle comprend deux aspects principaux: (1) la cimentation, (2) la transformation isochimique des éléments ou néomorphisme. Des changements de composition chimique conduisent à la silicification ou la dolomitisation de la roche. Enfin l'enfouissement produit des dissolutions locales qui constituent des stylolites. La cimentation diffère selon la zone littorale considérée. Elle a été bien étudiée dans les milieux actuels.
Figure 8-3: Diagénèse des sédiments carbonatés dans les principaux milieux littoraux.
Dans la zone supratidale et le domaine continental, les pores
du
sédiment sont remplis alternativement d'eau douce ou d'air dans
la
zone vadose ou constamment remplis d'eau douce dans la zone
phréatique
plus profonde.
* En zone vadose, le carbonate précipite dans les vides
d'abord
sous forme de ciment gravitaire (ou stalactitique) à la face
inférieure
des grains et de ciment en ménisque entre les grains. La
précipitation
se poursuit sous forme de calcite peu magnésienne en grande
cristaux
irréguliers (sparite drusique) qui pouvent se développer
de
façon syntaxiale (en continuité avec le réseau
cristallin
de l'élément entouré par le ciment: ce
phénomène
affecte surtout les débris d'échinodermes). L'aragonite
des
débris d'organismes est dissoute; le magnésium des grains
en
calcite magnésienne est lessivé.
* En zone phréatique, le ciment est d'abord isopaque, en
frange
autour des grains; la sparite remplit ensuite les vides.
Dans la zone intertidale, les sables de plage sont
cimentés par
des ristaux aciculaires d'aragonite et de calcite
magnésienne;
le ciment est isopaque dans la zone phréatique marine; il est en
ménisque
dans la zone vadose.
Dans la zone subtidale, des cristaux aciculaires d'aragonite et
des
petits cristaux de calcite magnésienne remplissent les
cavités
des fragments calcaires d'organismes. Les grains sont rassemblés
en
agrégats, le fond peut être induré en surface
("hard ground"
ou surface durcie). En milieu plus profond, la calcite
magnésienne
microcristalline domine.
Les phénomènes de cimentation continuent pendant l'enfouissement; la calcite sparitique précipite dans les pores. Les cristaux changent de forme et de structure par recristallisation (néomorphisme): remplacement aragonite/calcite, calcite fibreuse/calcite micritique, recristallisation des grains squelettiques...La transformation de calcite en dolomite peut apparaître précocement, peu après le dépôt, ou dans les derniers stades de la diagénèse. La dolomite précipite actuellement dans les milieux supratidaux et évaporitiques. Les séries anciennes sont souvent dolomitisées par action des ions magnésium des eaux interstitielles. La silicification est une phénomène plus restreint; la silice, sous forme de calcédoine ou de quartz, remplace les éléments squelettiques, se concentre en nodules ou couche ou cimente les grains; elle provient surtout de la dissolution des spicules d'éponges et des tests de radiolaires.
3.2 Structures des roches carbonatées
Les sédiments carbonatés contiennent des grains et de la boue carbonatée qui sont ensuite liés par un (ou plusieurs) ciment.
a) Les grains
Ce sont des fragments carbonatés d'organismes (grains
squelettiques
ou bioclastes) ou des grains d'autre origine (grains non
squelettiques).
Les grains squelettiques sont fournis par de nombreuses espèces
qui
varient selon les conditions des milieux et la période
géologique.
Les bivalves et les gastéropodes sont nombreux dans les
milieux
littoraux et contribuent grandement à la sédimentation
carbonatée.
Les coquilles épaisses et résistantes, comme celles des
huître,
peuvent rester entières; les autres sont cassées et
entrent
dans la composition des sables (sables coquilliers).
Les coquilles des céphalopodes pélagiques
s'accumulent
surtout sur la plate-forme externe (calcaires et marnes à
nautiles
et à ammonites).
Les brachiopodes sont communs dans roches calcaires
néritiques
du Paléozoïque et Mésozoïque. Leur coquille est
souvent
conservée en entier. On les trouve plutôt dans les
zonessubtidales.
Les crinoïdes et les oursins, de l'embranchement des
échinodermes,
ont un squelette formé de plaques calcaires bien
cristallisées
qui se cassent facilement et forment une grande partie des bioclastes
des
zones subtidales.
Les foraminifères planctoniques jouent un grand rôle
dans
la sédimentation pélagique (voir chapitre
suivant).
Les foraminifères benthiques agglutinent souvent le
sédiment.
Les coraux et les bryozoaires édifient des
bioconstructions qui
fournissent des débris de toute taille. Les algues vertes,
rouges et
les cyanobactéries précipitent le carbonate de calcium en
petits
cristaux (micrite) qui forment de véritable bioconstructions ou
fournissent
des parties fines aux sédiments.
Les grains non squelettiques comprennent les ooïdes, les
péloïdes,
les agrégats et les intraclastes.
Les ooïdes sont des grains sphériques
millimétriques
composés d'une ou plusieurs couches autour d'un nucleus central.
Les
oolites ont des lamelles concentriques, les pisolites sont des oolites
plus
grosses de taille centimétrique. Les grains revêtus
(coated grains)
n'ont qu'une couche autour du nucléus. Les ooïdes à
structure
radiaires s'appellent encore sphérulites.
Les péloïdes sont des grains arrondis ou
alongés,
parfois anguleux, formés de carbonate microcristallin (micrite).
Beaucoup
sont des déjections d'êtres vivants, comme les
gastéropodes,
les crustacés: ce sont alors des pellets. D'autres
péloïdes
proviennent de la transformation des bioclastes en micrite.
Les intraclastes sont des fragments de sédiment
carbonaté
partiellement lithifié. Les agrégats sont des
particules
agglomérées par un ciment micritique ou organique.
b) La boue carbonatée
Dans les roches calcaires, les grains sont souvent
entourés par
une phase calcaire microcristalline, la micrite, qui correspond
à une
boue déposée en même temps que les grains. Cette
boue
est généralement produite par la
désintégration
des algues fixant le calcaire, l'érosion des bioconstructions
par les
organismes perforants et l'usure mécaniques des grains par
l'agitation
des algues; dans les lagons à tendance évaporitique, une
précipitation
purement chimique peut avoir lieu.
3.3 Classification des roches calcaires
Plusieurs classification sont employées.
a) Classification de "type détritique" : elle repose sur la taille des grains: calcirudites (> 2mm), calcarénites (entre 2 mm et 62 µm) et calcilutites (> 62 µm).
b) Classification de Folk, reposant sur la nature des grains (ou allochems), de la matrice et du ciment.
Figure 8-6: Classification de Folk.
c) Classification de Dunham, répartissant les roches d'après leur texture, c'est à dire la disposition respective de grains et la quantité de matrice ou ciment.
Figure 8-7: Classification de Dunham.
Les roches les plus fréquentes sont les grainstones (oosparites et biosparites), les wackestones (biomicrites et pelmicrites) et les boundstones (biolithites).
3.4 Les calcaires dans les séries géologiques.
Bien que de nombreux stromatolites, souvent de grande tailles,
soient
connus dans les séries du Précambrien, les grands
dépôts
de plate-forme carbonatée commencent au Cambrien. Des
bioconstructions
sont édifiées par des organismes coloniaux proches des
éponges
(?), les Archéocyathes. Comme beaucoup d'autres calcaires
paléozoïques,
ces carbonates sont souvent dolomitiques. A partir du Dévonien
se
développent les récifs de coraux
(Tétracoralliaires,
Tabulés) qui déterminent des milieux de
sédimentation
assez proches de ceux de nos jours; les bioconstruction
dévoniennes
et dinantiennes de l'Ardenne sont célèbres.
Au cours du Mésozoïque, les milieux de plate-forme
carbonatée
se développent sur l'Europe: série carbonatée
triasique
des Dolomites, série jurassique du Jura, de Bourgogne, des
chaînes
subalpines...
Figure 8-9: Reconstitution d'un milieu récifal au
Carbonifère.
(A) plate-forme interne; (B) récif mort; (C) récif
vivant; (D)
pente récifale ; (SWB) limite inférieure d'action des
vagues
Les milieux de sédimentation carbonatée actuelle sont
illustrés
sur le site: