ET LA PROTECTION DES BAS CHAMPS
Le cordon littoral protégeant les Bas-Champs d'Ault-Onival à la pointe du Hourdel est constitué de galets de silex provenant de l'érosion des falaises de craie depuis la côte normande jusqu'à Ault. Au cours de leur transit, ces galets se déposent momentanément sur le cordon pour finalement en atteindre son extrémité. Ils s'accumulent à l'entrée de la Baie de Somme en un corps arqués en crosse, le poulier. Les pouliers successifs s'emboitent l'un dans l'autre en progressant vers le Nord. Les galets ne pénètrent ni ne traversent la baie.
La houle est produite en grande partie par les vents locaux. Par
vents
de secteur ouest, la houle est plus forte du fait de la longueur du
fetch dans la Manche. Les fronts d'onde sont obliques à la
côte et la dérive littorale engendrée se dirige
vers
le Nord. Les vents de secteur nord-est sont moins fréquents et
la houle de
force moindre (fetch plus court); il apparait une dérive de sens
opposée
dirigée vers le Sud.
Figure 10: Longueur du fetch dans la Manche: les vents d'ouest génèrent les plus fortes houles. |
Fronts d'onde obliques générés par vent d'ouest. |
Les galets sont projetés sur le cordon par le jet de rive oblique à la côte; ils redescendent selon la ligne de plus grande pente au retrait de la vague. Cette asymétrie du mouvement de va et vient produit un lent déplacement des galets dans le même sens que la dérive littorale engendrée. Le transit vers le Nord est prépondérant; il a lieu principalement pendant les mois d'hiver, quand les vents dominants sont de secteur ouest. Pour une houle d'amplitude 0,50 m et de période 5 secondes, arrivant à 20° du trait de côte, des vitesses instantanées très variables, mais atteignant 4 cm/s selon l'axe parallèle au rivage, ont été mesurées pour des galets de 7 cm.
L'énergie nécessaire au déplacement d'un galet demande une amplitude de la vague suffisante pour obtenir un jet de rive efficace. A marée basse, la pente de la plage est très faible et le déferlement s'effectue loin du rivage; le transport et la sédimentation n'affectent que les matériaux de faible taille, essentiellement les sables. A la marée montante, la profondeur augmente; l'eau atteint le cordon de galets dont la pente plus forte permet l'arrivée et le déferlement de la houle près du rivage: le jet de rive déplace les galets. La rupture de pente dans le profil transversal de la plage est conservée. Les galets ne sont accumulés que dans la partie supérieure de l'estran; l'épaisseur du cordon avoisine 10 m au niveau de l'Amer de Cayeux, au Sud de la ville. La dérive littorale intervient également dans le transport des matériaux par traction sur le fond. Sa vitesse dépend notamment de l'amplitude et de la période de la houle. Par houle forte de 1,50 m d'amplitude, la vitesse de la dérive atteint 0,85 m/s en surface.
L'étude du déplacement des galets le long du cordon a déjà été menée dans les années 50 par traçage radio-actif (Beauchêne et Courtois, 1957). Les galets ont été marqués au Titane 182, placés sur le cordon à 2 km au Nord d'Ault et suivis pendant 6 mois environ. La vitesse du déplacement a dépendu étroitement de l'agitation de la mer. La vitesse moyenne a varié de 2,3 m/jour (mer calme) à 14 m/jour (tempête). A partir des résultats obtenus sur les 6 mois d'hiver, le calcul a permis d'aboutir à une quantité de matériaux transporté (galets + sable) égale à 36 000 m3 par an vers le Nord et 5 000 m3 par an vers le Sud.
Plus récemment, des mesures de déplacement au moyen de traceurs fluorescents ont été conduites au niveau de l'Amer de Cayeux, au Sud du bourg. La dispersion d'un stock de galets colorés a été suivie au cours d'un cycle de marée. Au delà, la dispersion, l'enfouissement des galets et l'usure de la peinture ne permettent plus d'obtenir des résultats représentatifs. Les résultats montrent que le déplacement se fait selon une direction parallèle au rivage avec des vitesses moyennes de déplacement variant de 1 à 3,6 m à l'heure pour un cycle de marée, avec une remontée de l'ensemble des galets vers le haut du cordon, la différence de niveau atteignant 7 m. Le déplacement des galets se fait en général vers le Nord. Par vents de secteur Nord et Nord Est, l'obliquité des fronts de vagues et le sens de la dérive s'inversent; les galets sont ramenés vers le Sud.
Figure 11: évolution cartographique du cordon de galets au Nord d’Onival entre 1965 et 1994 (d'après Rapport SOGREAH, 1994). Changing position of the pebble barrier North of Onival, between 1965 and 1994.
Au cours de leur transport, les galets se choquent, se cassent et s'usent. Ils diminuent en taille et s'arrondissent. Les fragments arrachés sous forme d'esquilles subissent le même sort. Ils constituent des grains de taille inférieure au millimètre qui constituent un sable siliceux. Sur la plage d’Ault, les sables grossiers contiennent des grains de silex très anguleux; les sables moyens montrent à la fois des grains anguleux et des grains arrondis. Ils comprennent entre 40 et 50 % de grains de silex; les autres grains sont des grains de quartz banals et des fragments de coquilles et de craie. Au Hourdel, à l'extrémité du cordon, le sable est formé également de 5 à 10% de fragments de silex (Beauchamp, 1994c).
Au niveau du Hable d'Ault, le cordon est en cours d'érosion,
le stock de galets, qui transitent le long du littoral et s'accumulent
momentanément dans le cordon, est en diminution:
l'épaisseur
du cordon diminue et devient de plus en plus fragile face aux vagues de
tempête. L'homme cherche à combattre cette
évolution
naturelle par des travaux d'aménagement de plus en plus lourds,
sans pour cela empêcher semble-t'il l'affouillement du cordon
à
sa base (Figures 11 et figure 12). Il n'en est pas de
même au Nord de
Cayeux.
Au niveau de Brighton, la barrière littorale est complexe et se
développe sur près de 1000 m de large. Elle est
formée
d'une juxtaposition de cordons de galets dont les plus anciens sont
vers
l'intérieur; c'est à cet endroit qu'ont lieu actuellement
les exploitations industrielles. L’apport annuel est estimé
à
80 000 m3 depuis 1990 (SOGREAH, 1995). Une partie est
prélevée
par l’exploitant local de galets, une autre par la D.D.E. qui les
utilise
pour recharger le cordon au Sud. Les cordons de galets sont
bordés
à l'Est par des massifs dunaires approvisionnés par les
vents
d'ouest qui arrachent les sables de l'estran. Ces dunes littorales sont
en majorité fixées d'abord par des plantations d'oyats
puis
par une végétation arbustive faite d'argousiers et de
sureaux.
Le cordon de galet continue à progresser vers le Nord. Il est actuellement en 2006 à une centaine de mètres au Sud du blockhaus du Hourdel. Cette progression tend à protéger la "route blanche", reliant Cayeux au Hourdel, qui est menacée localement par la proximité de la mer dont elle est séparée par une mince bande sableuse. La Pointe du Hourdel représente l'extrémité nord de la flèche littorale (poulier). Celle-ci est constituée par une succession de crochons imbriqués les uns dans les autres et progressant vers le nord-est sous l'impulsion de la dérive littorale. (Figure 13). Les compilations cartographiques et les relevés photogrammétriques montrent l'accroissement de la surface du cordon de galets vers le Nord; actuellement, on note un ralentissement de la progradation provoqué par un déficit d'alimentation en galets. L’accroissement de surface entre 1978 et 1989 est de 3 200 m2 environ, ce qui peut correspondre à 15 000 m3 de galets apportés en 11 ans. Mais à cela il faut ajouter 35 000 m3 prélevé par la DDE en 1988. Il faut également retirer le stock de galets provenant du remaniement du poulier précédent. La quantité de galets parvenant à l’extrémité du poulier est ainsi estimée à environ 4 000 m3 par an de nos jours. Leur origine paraît provenir en grande partie du remaniement des galets déposés précédemment au Nord de l’accumulation actuelle de La Mollière: en effet peu de galets sont visibles le long des dunes qui se développent à cet endroit. L'avancée actuelle du poulier est estimée à 2 m par an.
Figure
12: Evolution du profil du cordon de galets au niveau du Hable d'Ault
(d'après rapport
SOGREAH, 1994). Changing section of the pebble barrier between Onival
and
Cayeux.
Figure 13: Progradation du poulier du Hourdel (adapté par C. Petit de Dallery, 1955 et Dolique, 1991). Progradation of the pebble barrier point at Le Hourdel.
De nombreuses défaillances du cordon de galets ont été enregistrées dans les temps récents. Au 16ème siècle une rupture importante a provoqué l'inondation partielle des Bas Champs et formé le Hable d'Ault et une cinquantaine d’inondations ont été répertoriées depuis 1751. Des travaux de défense contre la mer ont dû être conduits, principalement sous forme d’épis. En 1990, 50 épis protégeaient la digue au Nord d’Ault; les apports artificiels de galets étaient importants (420 000 m3 de matériaux apportés entre 1973 et 1990). Après l’inondation de 1990 et jusqu’en 1994, 4 nouveaux épis ont été ajoutés tandis qu’un rechargement d’urgence en galets était effectué (660 000 m3!)
Les inondations de 1990 ont relancé la polémique portant sur l'impact des exploitations de galets et des divers travaux d'aménagement du littoral normand. De nouvelles expertises ont été demandées afin de remédier à la rupture de la digue naturelle formée par le cordon littoral de galets. La catastrophe naturelle de février 1990 a été le produit de la conjonction de conditions exceptionnelles: fort coefficient de marée (98 à 108), tempête d’une durée de 4 jours avec des vents violents de secteur WSW (151 km/h), produisant une surcote de 0,40 à 0,90 m et des vagues de 6,1 m (Queffeulou, 1992; Stucky, 1995; Picouet, 1996). Le marnage dépassa les 10 m, soit la cote 8 à 9 m NGF alors que la cote du cordon s’abaissait localement à 8,50 m NGF et que les Bas-Champs étaient en contre-bas à 4 m NGF. Les vagues passèrent par dessus le cordon et l’arasèrent; l’eau de mer envahit les Bas Champs sur 3 000 ha; elle s’accumula en arrière du cordon puis le détruisit au niveau du Hable d’Ault en créant une brèche sur 100m de longueur qui permit la vidange vers la mer.
Des mesures d’urgence s’imposaient. Le choix des interventions pouvait se résumer en une alternative: (1) accepter le risque d’inondation épisodique mais le limiter dans l’espace et prévoir un fond de dédommagement, (2) maintenir coût que coût la digue de galets actuelle. La première solution, plus économique, se serait traduite par l’envahissement du Hable d’Ault par la mer, situation connue au Moyen Age jusqu’à l’endigage du XVIII ème siècle, contenue au Nord par le renforcement des digues protégeant la ville de Cayeux. Mais cette idée insoutenable d’abandonner une partie des Bas Champs à la mer a orienté le choix vers la 2ème solution.
Les études confiées à la SOGREAH/LNHF ont
comporté
d’abord un état actualisé de la morphologie et de la
position
du cordon, une estimation du bilan sédimentaire (Figure 14),
enfin
une modélisation en cuve à houle (modélisation qui
avait déjà été faite par le LCHF en 1966 et
1974). La solution retenue a été le maintien du trait de
côte par renforcement de la digue naturelle. Les travaux à
entreprendre comprennent (Figure 15):
* la restauration des épis
au Nord d’Ault
* la construction de 25 nouveaux épis jusqu’au Sud
de Cayeux.
* la protection du sommet des épis par une carapace en
béton
* le reprofilage du sommet du cordon à la cote 10 m
NGF sur une largeur de 20 m en crête
* la saturation en galets des
casiers délimités par les épis
* l’entretien du dispositif
par des rechargements régulier en galets.
Le rechargement initial comprend 600 000 m3 galets à fournir
sur 3 ans: 300 000 m3 venant du Domaine Public Maritime de la
Mollière
(recyclage des galets transportés par la mer vers le Nord), 300
000 m 3 des carrières du Crotoy et éventuellement du
gisement
marin de Dieppe. L’entretien sera fait au moyen de 80 000 m3/an de
galets
provenant du recyclage du DPM de La Mollière et
éventuellement
du gisement marin de Dieppe. Le coût total de l’opération
est estimée à 125 MF HT + 4 MF annuel (Rapport D.D.E.,
1995;
ANTEA, 1996). Les travaux ont commencé en 1997, ils ont
été achevés en 2002. Pour installer 79
épis, 3 600 tonnes de palplanches en acier ont été
enfoncés et 500 000 tonnes de béton coulés. Le
rechargement des casiers délimités par les épis a
nécessité 500 000 tonnes de galets apportés
par une noria de camions. Il est maintenant question de prolonger cette
protection au niveau de la plage de Cayeux.
Figure
14: Localisation des épis, des zones d'extraction et transit
sédimentaire
le long du cordon (rapport SOGREAH, 1994). Les volumes correspondent à la
fraction supérieure à 20 mm.
Existing defence works,
pebble quarrying and sedimentary flux
along the pebble barrier.
La pertinence de la stratégie d’aménagement adoptée, illustrant la volonté de « tenir le littoral » quelque soit le coût, a été bien documentée par R. Regrain (1992b). Ses observations et ses conclusions sont toujours d’actualité. Pour conforter son analyse, on peut faire remarquer qu’entre Ault et Cayeux l’érosion des fonds au pied du cordon a été en moyenne de 1 m entre 1965 et 1990; plus de 1 million de m3 de galets est parti en 25 ans, essentiellement au Nord du dernier épi. Entre 1990 et 1993, avec un apport d’urgence de 490 000 m3 de matériaux, le solde n’est positif que de 40 000 m3 (SOGEAH, 1995), ce qui signifie que 450 000 m3 sont partis en 3 ans, presque la totalité du rechargement: on peut alors mettre en doute l’efficacité à long terme de la solution retenue.
Figure
15: Proposition d’aménagement du cordon de galets (rapport
SOGREAH,
1994). Proposed defence works along the pebble barrier.